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Université de Nouakchott Al-asriya - Mauritanie
N’oublie jamais d’où tu viens ma fille.
Je ne peux raconter d'où je viens, j'ai tout oublié. C'est ma seule certitude aujourd'hui. On a beau dire : « Oublions, c'est le passé », mais est ce que tout passé est beau á oublier ?
Je ne sais plus qui je suis, d'où je viens, où je suis, ni pourquoi, je me rappelle de rien J'erre comme un nouveau-né, sans souvenirs, sans repères.
Je cherche, mais rien ne vient, pas une image claire les visages sont flous, les noms m'échappent, les souvenirs s'effacent avant même de naître et tout comme ma mémoire aussi mon corps me lâche peu à peu. Je me demande si je suis née ainsi ou si, autrefois, j'étais autonome : je marchais seule, je cuisinais, je m'habillais seule. Aujourd'hui, ce sont d'autres qui prennent soin de moi avec amour, et bien que je ressente un lien spécial avec eux, je ne sais plus qui ils sont. Je ne sais plus où j'ai grandi, si j'ai aimé, souffert ou été heureuse.
NON: Tout passé n'est pas beau à oublier ni fait pour être oublié .aujourd'hui je suis comme une maison dont on a effacé les mur,un livre dont les pages se sont envolées au vent, et Je suis fatigué de chercher ce que je ne trouve plus, peut être que cette belle jeune fille qui me côtoie tout le temps à qui je me sens liée et dans son visage j'ai l'impression de voir le visage de la jeune fille que J'etais autre fois mais que j'arrive pas à me rappeler, saurait me dire qui je suis d'où je viens et qu'est elle ?
Néné, je suis Djiefoulbe Ba, ta fille née le 07 août 1999. Les deux garçons avec moi, ce sont tes fils : mes petits frères, nés le 27 octobre 2005 et le 20 octobre 2022.
Tu t'appelles Jemila Ba, née en 1974, fille de Penda Ba et Pathé Ba, une famille peulh nomade. Tu as grandi à Tintane avec ta mère. Tu as deux frères, quatre sœurs, et plusieurs demi-frères du côté paternel.
Dans un monde où les filles étaient destinées aux mariages précoces, Tu es la seule fille de ta génération , de ta famille à avoir tenu tête aux traditions pour poursuivre des études. Tu fais partie des deux premières filles de notre communauté Fualbe à décrocher le bac, et la seule et première à aller jusqu'au Doctorat. Tu es une battante, une femme de défis.
Docteure en sciences sociales et éducation, tu étais professeure d'arabe au lycée. Autrefois tu étais , Autonome, indépendante, forte, tu faisais tout toute seule. marcher,te lever, te laver et tu cuisinais pour nous, ici là où on est cette belle maison dans laquelle on vit aujourd'hui , c'est chez nous celle que tu as construite pour nous, mais un jour, malheureusement sans prévenir, une maladie est entrée sans frapper emportant ta mémoire
Désolé Néné Yaafo je saurais pas te dire qui t'es et d'où tu viens
Pardon de ne pas pouvoir soutenir ton regard rempli d'espoir.
Celui que tu poses sur moi quand tu espères, à travers moi, retrouver ton histoire, savoir d'où tu viens, qui tu es, et ce que tu as traversé.
Je ne pourrai pas honorer cet espoir, comme je le faisais autrefois, quand je te ramenais un bulletin avec la mention « rang numéro 1 », et que tu avais foi en ma réussite.
Et si tu savais combien j'ai mal de ne pas pouvoir combler ce vide.
Combien j'aimerais t'aider à retrouver ton histoire, à reconstruire ta mémoire.
, Le destin, le temps, la vie, la maladie tout m'a trahie Ou est-ce moi qui t'ai trahie ? . Là où je croyais avoir tout le temps d'apprendre ton histoire,d'où tu vient, la vie m'a prise de court. Par une tempête , une maladie degeneratrice de mémoire , d'histoir , de passée , d'idéntite , de souvenir, qui m'a laissé sans voix
Si jamais j'avais eu la moindre idée de ce que nous attendais Je serais devenue cette journaliste acharnée, ou même cet agent du FBI de ta vie prête à traquer chaque détail de ta vie, de ton passé, de ton histoire.
J'aurais noté chaque détail de ta vie dans mon carnet : ton enfance de fille nomade peulh, ton histoire d'amour avec mon père, tes échec , victoires, tes études J'allais l'appeler aujourd'hui La Mémoire de ma mère, et chaque soir, comme tu me lisais une histoire, je t'en aurais lu une page.
Malheureusement même quand j'ai commencé le journalisme, pleine de motivation, courant derrière des récits de vie, je me suis pas intéressée à ton histoire, tu étais là, à la mes côtés et je croyais que j'avais tout le temps du monde, encore mille occasions J'imaginé pas qu'un jour s'approchaient de moi et je serais face à 0 occasion
J'aurai aimé avoir une vidéo de toi à te montrer.Je suis sûre que si on t'avait prévenue qu'un jour un virus allait voler ta mémoire,,pendant que tu préparais tes cours tu aurais tout noté de toi , tu nous aurais laissé un journal,un guide, une lumière. pour ne jamais nous laisser sans repère dans cette vie aux mille chemins.
Tout ce que je peux faire maintenant, c'est de te témoigner de ce que je sais de toi: T'as toujours été une femme forte, Brave, une maman exceptionnelle, tu te demande si t'as aimé ?
Oui, tu as aimé profondément. Tu nous as aimés plus que tout, tu as aimé mon père envers et contre tout, bravant les traditions pour l'épouser. Nous sommes le fruit de cet amour fidèle, même après 15 ans d'absence.Tu as sacrifié un visa de cinq ans pour les États-Unis, pour ne pas nous laisser seuls, pour rester à nos côtés, veiller sur notre avenir. Ce lien inexplicable que tu ressens encore aujourd'hui en est la preuve.
Tu amais ton travaille , tu le faisais avec passion , tu aimais transmettre ce que t'as même en cas de crise financière tu partais de kilomètres à pied pour accomplir tes devoirs tu avais du mal à laisser tes élèves t' attendre dans le vide aujourd'hui tu sais pas ecrire ni lire mais autre fois tu écrivais au tableau avec de la craie, tu ecrivait au papier un stylo bleu et tu corrigeais des copies avec un stylo rouge, Tu as enseigné, éduqué, inspiré des générations entières pendant une décennie du fond de la Mauritanie,d' Ayoun jusqu'à la Capital Nouakchott.
Tu te demandes si tu as souffert ? Oui, Néné, tu as souffert pour nous. En 2013, tu t'es interposée face à un voleur pour nous protéger, et tu as été poignardée. En 2021, tu t'es brûlée en me sauvant d'une explosion de gaz. Et un jour, faute d'argent, tu as donné ta pièce d'identité comme garantie pour que je sois soignée. Tes cicatrices en témoignent encore.
Tu te demandes si tu étais heureuse ? Oui, tu l'étais. Malgré les difficultés, ce qui te rendait heureuse, c'était de nous voir grandir, en bonne santé, aller à l'école, manger, vivre. Te sacrifier pour nous était ta plus grande source de bonheur.
Je me souviens de ces instants simples et précieux avec toi,Même les souvenirs douloureux, comme quand tu m'enseignais l'arabe et me tirais les cheveux, sont aujourd'hui parmi les plus chers à mon cœur. s'évapore et s'envolent ce n'est pas juste ta mémoire , c'est une partie de moi aussi qui s'envole aussi car tout les souvenirs que t'as de moi sont entrain de s'envoler aussi.On ne pourra peut-être pas retracer tout ce qui a été , comme on l'aurait souhaité,mais on a le present un présent tissé d'amour pur, même sans mémoire , et on va le vivre
Ton sourire chaque matin, tes yeux encore pleins d'espoir de retrouver d'où tu viens, qui tu es c'est notre présent et peut-être, une autre manière pour nous d'habiter un nouveau passé non pas un passé réinventé,mais un passé tissé d'amour, même quand l'oubli à gagnée du terrain,quelque chose d'invisible à su résister et rester .c'est le point commun entre ce passé qui s'est évaporé et ce passé que nous sommes en train de reconstruire, à nouveau, Ç'est notre amour On s'aimait,on s'aime encore aujourd'hui,plus qu'hier et demain encore plus , Pour toujours ,á l'infini et + l'infini moi C'est ma seule certitude
Tu me disais toujours cette phrase héritée de ta mère et de ta grand-mère, cette phrase transmise de génération en génération, ancrée dans nos traditions et notre culture peulh :
« N'oublie jamais d'où tu viens, ma fille. » Mais toi, Néné, tu as oublié d'où tu viens...et je n'ai pas pu te raconter .
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