« Dis, Plume, tu le trouves pas bizarre, ce nouveau marchand ?
- Chon fromage est chucculent, répondis-je la bouche pleine à notre petite mousse qui trottait devant moi.
- Mais il a le poil tout ébouriffé et collé à la fois ! Et il sent le chamembert pourri !
- Mystère ! Les Secondes de la Chapitaine ont une mauvaise influence sur toi ! Mais ne t'inquiète pas, je te ferai goûter. »
La chatonne s'étant tue, je la suivis quelques pas en silence, les bras chargés. Son cri faillit me faire lâcher mes paquets :
« Nooon ! Le château a noirci !
- Le bateau ? Les vrais pirates disent navire ! Il a brûlé ?
Abaissant mes pattes chargées de courses, je vis la mousse penchée au bord du quai, scrutant la mer. Elle se tourna vers moi, les yeux pleins de larmes :
- Noirci. Dans l'eau.
- Sombré ? traduisis-je enfin. Mais non, ma souris, ce n'est pas assez profond, le mat dépasserait.
- La Chapinaine Mélusine est partie sans nous ! s'écria la petite en passant des larmes à l'indignation.
- Sans les provisions ? Pas de son plein gré, je la connais. Il a dû arriver quelque chose."
Le museau pointu de Mystère changea encore d'expression, prenant un air déterminé :
"C'est quand la pleine lune ?
- Ce soir, c'est pour cela que j'ai pris tant de froma...
- Bave !
- Pardon ? demandais-je en m'essuyant le museau.
- Il nous faut un Chagarou d'urgence ! Alors bave !
- Que je crache mon from...
- Voui ! Tu craches le fromage, on court récupérer le deuxième château...
- Navire...
- Voui, la Murène Plumeuse !
- La Sirène Duveteuse...
- Voui ! Tu te transformes en Chagarou et on va libérer la Chapitaine et les Deuxièmes ! Exécution !
*
« Chapitaine ! Réveille-toi nom d'un rat d'eau ! Myosotis, tu crois qu'elle est morte ?
- Ivre morte, tu veux dire ? C'est bien possible.
- Je vous entends les Siamoises, grogna Mélusine en ouvrant les yeux, c'est pas pour aujourd'hui, la mutinerie. Ça fait longtemps qu'on est là, suspendues la tête en bas ? Qu'est-ce que vous attendez pour nous libérer ?
- Ton ordre, répondit Saphir en donnant un spectaculaire coup de rein pour saisir le nœud qui lui liait les pattes au plafond.
- Non, ne faites-pas cela ! couina une petite voix. Grisou est un horrible méchant pirate ! Si vous tentez de vous échapper il va vous faire très mal !
- Et tu es qui, toi ? siffla la Siamoise.
- Nana, sa mousse. Et j'ai très peur !
- Et tu as raison, vermine ! lança un marin en surgissant dans la cale. Ça va être votre fête, les Minettes !
*
Encerclées par les matoulots de Grisou et malgré les liens qui leur entravaient les pattes arrières deux à deux, les prisonnières refusaient de s'avouer vaincues. Si la petite Nana se blottissait contre Mélusine, cette dernière, était prête à en découdre furieusement. Quant aux Siamoises, yeux mi-clos et griffes sorties, elles semblaient sur le point de bondir en un double tourbillon dévastateur. La situation semblait figée quand un choc sourd fit gîter le navire, déséquilibrant tout le monde.
Mystère venait de garer la Sirène Duveteuse un peu trop près du Garou des Mers...
Agrippé au bout d'un bout, je m'envolai du mat de misaine en hurlant « A l'abordave ! »
Ayant déjà eu affaire à moi, l'équipage de Grisou répondit « Au Chagarou ! » en reconnaissant mes longs crocs et s'éparpilla sur le navire, paniqué. J’atterris sur le pont en faisant mine de poursuivre un premier malchanceux tandis que ma brave petite mousse, instigatrice de cette brillante stratégie, se glissait entre les pattes des jumelles pour les libérer. Levant la tête, elle croisa le regard de Nana, dont le petit museau sortait de derrière notre Chapitaine. Mystère eut un hoquet de souffrance et de jalousie et jeta un regard éperdu à Mélusine qui serrait la chatonne tigrée contre elle.
Une voix malheureusement bien connue hurla, semblant tomber des nuages, quelque chose comme quoi il n'existait pas de Chagarou en plein jour, comme si ce maudit Grisou était spécialiste en smilodonose ! L'instant suivant, je reçus trois matous sur le dos, me faisant cracher les arêtes de poisson qui jouaient le rôle de crocs surdimensionnés. Car oui, bien sûr, c'était vrai, les symptômes disparaissaient en même temps que la pleine lune. Les matoulots m'attachèrent patte à patte à Mystère, lièrent derechef Myosotis à Saphir et nous encerclèrent, griffes sorties.
La voix de Grisou cria « trois, quatre ! » La totalité de son équipage se mit à chanter « ♫ Joyeux channiversaire ! ♫»
Un gros chat rasé sortit de ma cambuse en portant un superbe cheese cake. «♫ Joyeux channiversaire ! ♫» Une odeur répugnante de chamembert rance m'envahit les narines tandis que des mèches de poils collés plurent sur nous, suivies d'un chat gris agrippé à un bout, qui nous survola en capturant adroitement une Nana hurlant de terreur.
«♫ Joyeux channiversaire, Corona ! ♫» Le maître coq rasé ramassait discrètement les mèches tombées de Grisou (le marchand de fromage !) d'un air nostalgique, tandis que Grisou dansait la gigue, la pauvre chatonne à bout de pattes.
«♫ Joyeux channiversaire ! ♫
- Merci papa ! » cria Nana en éclatant de rire sous les applaudissements.
Le raffut festif ne réussit pas couvrir complètement les réactions des prisonnières : le grondement sourd de la Chapitaine Mélusine, tel un ronronnement annonciateur de drame. Le double sifflement serpentin des Secondes qui me hérissait l'échine. Le feulement vibrant, inconnu jusqu'à ce jour, qui naissait de la fureur de ma petite mousse. Les borborygmes de ma panse vide à la vue du gâteau au fromage dans lequel la fille de Grisou plongeait une patte gourmande. Depuis quand avait-il une fille, lui, d'abord ?
Grisou, ennemi juré officiel de notre belle Chapitaine Mélusine, ne put résister à chabotiner :
« C'est qu'il me manquait, mon Frémulon Asiatique ! Et puis, l'avoir renommé le Garou des Mers, franchement ! ricana-t-il en me désignant, ce qui déclencha l'hilarité générale. Corona eut donc l'idée du stratagème me permettant de récupérer mon Frémulon et de gagner la Sirène duveteuse en prime ! Que je lui offre pour son channiversaire !
Un concert de Hou-rats retentit parmi les pirates. Ils festoyaient éhontément devant nos museaux affamés.
Mais Grisou avait un public, ligoté certes, mais à l'écoute tout de même et il en profitait :
« S'il était facile de s'emparer du Frémulon en droguant des chattes gourmandes, il fallait ruser pour faire venir à nous la Sirène, puisque nous ignorions où vous l'aviez cachée. Et c'est là que ma Minouchette a eu une idée de génie, aidée par un talentueux chimiste, mon maître coq ! »
Je réprimai un gloussement à la vue du maître-coq, que ses poils sacrifiés faisaient ressembler à un poulet plumé. Le discours de Grisou n'en finissait pas :
« Comme j'avais besoin de mon équipage sur Le Frémulon, il fallait que la Sirène vienne toute seule jusqu'à lui. Et qui peut faire naviguer un navire sans équipage ? Un chagarou, bien sûr ! À la pleine lune ! Mais comme vous l'empêchez à chaque fois de se métamorphoser en le gavant de fromage, il fallait ruser ! C'est là que mon intolérance au lactose a donné cette idée géniale à Nana : faire absorber à ce goinfre de Plume le coq, la création de mon coq à moi ! J'ai donc vendu une partie de ma réserve personnelle à ce pauvre chagarou ! Ha ! Ha ! Il ne m'a même pas reconnu !
Les Hou-rats retentirent encore un moment, jusqu'à ce que les pirates lancent la chaloupe à la mer. Puis, sans même nous détacher, ils nous jetèrent dedans, deux par deux. Serrant Mystère contre moi je me roulai en boule pour la protéger du choc. Grisou coupa lui-même l'amarre et deux de ses matoulots poussèrent notre embarcation à l'aide d'une gaffe. On ne nous jeta même pas de rame. Une île secouait ses palmiers un peu plus loin pour nous dire bonjour. Tandis que nous commençâmes à pagayer à coups de pattes, je vis le regard appuyé que s'échangeaient les deux chatonnes. Mon estomac se serra brusquement, Mystère venait de rencontrer son ennemie jurée.
- Chon fromage est chucculent, répondis-je la bouche pleine à notre petite mousse qui trottait devant moi.
- Mais il a le poil tout ébouriffé et collé à la fois ! Et il sent le chamembert pourri !
- Mystère ! Les Secondes de la Chapitaine ont une mauvaise influence sur toi ! Mais ne t'inquiète pas, je te ferai goûter. »
La chatonne s'étant tue, je la suivis quelques pas en silence, les bras chargés. Son cri faillit me faire lâcher mes paquets :
« Nooon ! Le château a noirci !
- Le bateau ? Les vrais pirates disent navire ! Il a brûlé ?
Abaissant mes pattes chargées de courses, je vis la mousse penchée au bord du quai, scrutant la mer. Elle se tourna vers moi, les yeux pleins de larmes :
- Noirci. Dans l'eau.
- Sombré ? traduisis-je enfin. Mais non, ma souris, ce n'est pas assez profond, le mat dépasserait.
- La Chapinaine Mélusine est partie sans nous ! s'écria la petite en passant des larmes à l'indignation.
- Sans les provisions ? Pas de son plein gré, je la connais. Il a dû arriver quelque chose."
Le museau pointu de Mystère changea encore d'expression, prenant un air déterminé :
"C'est quand la pleine lune ?
- Ce soir, c'est pour cela que j'ai pris tant de froma...
- Bave !
- Pardon ? demandais-je en m'essuyant le museau.
- Il nous faut un Chagarou d'urgence ! Alors bave !
- Que je crache mon from...
- Voui ! Tu craches le fromage, on court récupérer le deuxième château...
- Navire...
- Voui, la Murène Plumeuse !
- La Sirène Duveteuse...
- Voui ! Tu te transformes en Chagarou et on va libérer la Chapitaine et les Deuxièmes ! Exécution !
*
« Chapitaine ! Réveille-toi nom d'un rat d'eau ! Myosotis, tu crois qu'elle est morte ?
- Ivre morte, tu veux dire ? C'est bien possible.
- Je vous entends les Siamoises, grogna Mélusine en ouvrant les yeux, c'est pas pour aujourd'hui, la mutinerie. Ça fait longtemps qu'on est là, suspendues la tête en bas ? Qu'est-ce que vous attendez pour nous libérer ?
- Ton ordre, répondit Saphir en donnant un spectaculaire coup de rein pour saisir le nœud qui lui liait les pattes au plafond.
- Non, ne faites-pas cela ! couina une petite voix. Grisou est un horrible méchant pirate ! Si vous tentez de vous échapper il va vous faire très mal !
- Et tu es qui, toi ? siffla la Siamoise.
- Nana, sa mousse. Et j'ai très peur !
- Et tu as raison, vermine ! lança un marin en surgissant dans la cale. Ça va être votre fête, les Minettes !
*
Encerclées par les matoulots de Grisou et malgré les liens qui leur entravaient les pattes arrières deux à deux, les prisonnières refusaient de s'avouer vaincues. Si la petite Nana se blottissait contre Mélusine, cette dernière, était prête à en découdre furieusement. Quant aux Siamoises, yeux mi-clos et griffes sorties, elles semblaient sur le point de bondir en un double tourbillon dévastateur. La situation semblait figée quand un choc sourd fit gîter le navire, déséquilibrant tout le monde.
Mystère venait de garer la Sirène Duveteuse un peu trop près du Garou des Mers...
Agrippé au bout d'un bout, je m'envolai du mat de misaine en hurlant « A l'abordave ! »
Ayant déjà eu affaire à moi, l'équipage de Grisou répondit « Au Chagarou ! » en reconnaissant mes longs crocs et s'éparpilla sur le navire, paniqué. J’atterris sur le pont en faisant mine de poursuivre un premier malchanceux tandis que ma brave petite mousse, instigatrice de cette brillante stratégie, se glissait entre les pattes des jumelles pour les libérer. Levant la tête, elle croisa le regard de Nana, dont le petit museau sortait de derrière notre Chapitaine. Mystère eut un hoquet de souffrance et de jalousie et jeta un regard éperdu à Mélusine qui serrait la chatonne tigrée contre elle.
Une voix malheureusement bien connue hurla, semblant tomber des nuages, quelque chose comme quoi il n'existait pas de Chagarou en plein jour, comme si ce maudit Grisou était spécialiste en smilodonose ! L'instant suivant, je reçus trois matous sur le dos, me faisant cracher les arêtes de poisson qui jouaient le rôle de crocs surdimensionnés. Car oui, bien sûr, c'était vrai, les symptômes disparaissaient en même temps que la pleine lune. Les matoulots m'attachèrent patte à patte à Mystère, lièrent derechef Myosotis à Saphir et nous encerclèrent, griffes sorties.
La voix de Grisou cria « trois, quatre ! » La totalité de son équipage se mit à chanter « ♫ Joyeux channiversaire ! ♫»
Un gros chat rasé sortit de ma cambuse en portant un superbe cheese cake. «♫ Joyeux channiversaire ! ♫» Une odeur répugnante de chamembert rance m'envahit les narines tandis que des mèches de poils collés plurent sur nous, suivies d'un chat gris agrippé à un bout, qui nous survola en capturant adroitement une Nana hurlant de terreur.
«♫ Joyeux channiversaire, Corona ! ♫» Le maître coq rasé ramassait discrètement les mèches tombées de Grisou (le marchand de fromage !) d'un air nostalgique, tandis que Grisou dansait la gigue, la pauvre chatonne à bout de pattes.
«♫ Joyeux channiversaire ! ♫
- Merci papa ! » cria Nana en éclatant de rire sous les applaudissements.
Le raffut festif ne réussit pas couvrir complètement les réactions des prisonnières : le grondement sourd de la Chapitaine Mélusine, tel un ronronnement annonciateur de drame. Le double sifflement serpentin des Secondes qui me hérissait l'échine. Le feulement vibrant, inconnu jusqu'à ce jour, qui naissait de la fureur de ma petite mousse. Les borborygmes de ma panse vide à la vue du gâteau au fromage dans lequel la fille de Grisou plongeait une patte gourmande. Depuis quand avait-il une fille, lui, d'abord ?
Grisou, ennemi juré officiel de notre belle Chapitaine Mélusine, ne put résister à chabotiner :
« C'est qu'il me manquait, mon Frémulon Asiatique ! Et puis, l'avoir renommé le Garou des Mers, franchement ! ricana-t-il en me désignant, ce qui déclencha l'hilarité générale. Corona eut donc l'idée du stratagème me permettant de récupérer mon Frémulon et de gagner la Sirène duveteuse en prime ! Que je lui offre pour son channiversaire !
Un concert de Hou-rats retentit parmi les pirates. Ils festoyaient éhontément devant nos museaux affamés.
Mais Grisou avait un public, ligoté certes, mais à l'écoute tout de même et il en profitait :
« S'il était facile de s'emparer du Frémulon en droguant des chattes gourmandes, il fallait ruser pour faire venir à nous la Sirène, puisque nous ignorions où vous l'aviez cachée. Et c'est là que ma Minouchette a eu une idée de génie, aidée par un talentueux chimiste, mon maître coq ! »
Je réprimai un gloussement à la vue du maître-coq, que ses poils sacrifiés faisaient ressembler à un poulet plumé. Le discours de Grisou n'en finissait pas :
« Comme j'avais besoin de mon équipage sur Le Frémulon, il fallait que la Sirène vienne toute seule jusqu'à lui. Et qui peut faire naviguer un navire sans équipage ? Un chagarou, bien sûr ! À la pleine lune ! Mais comme vous l'empêchez à chaque fois de se métamorphoser en le gavant de fromage, il fallait ruser ! C'est là que mon intolérance au lactose a donné cette idée géniale à Nana : faire absorber à ce goinfre de Plume le coq, la création de mon coq à moi ! J'ai donc vendu une partie de ma réserve personnelle à ce pauvre chagarou ! Ha ! Ha ! Il ne m'a même pas reconnu !
Les Hou-rats retentirent encore un moment, jusqu'à ce que les pirates lancent la chaloupe à la mer. Puis, sans même nous détacher, ils nous jetèrent dedans, deux par deux. Serrant Mystère contre moi je me roulai en boule pour la protéger du choc. Grisou coupa lui-même l'amarre et deux de ses matoulots poussèrent notre embarcation à l'aide d'une gaffe. On ne nous jeta même pas de rame. Une île secouait ses palmiers un peu plus loin pour nous dire bonjour. Tandis que nous commençâmes à pagayer à coups de pattes, je vis le regard appuyé que s'échangeaient les deux chatonnes. Mon estomac se serra brusquement, Mystère venait de rencontrer son ennemie jurée.