Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Je ne sais pas vraiment. Je ne vois rien de toute façon. Mais je suis quand même sûr que mes yeux sont fermés. J’aurais trop peur de les garder ouverts. Je ne veux pas voir le fantôme de ma mère. J’ai peur mais, je n’ai pas peur d’être seul. Je pense que si j’avais été seul depuis toujours, je ne serais pas devenu cette épave mélancolique qui doute, qui n’espère plus et qui a le cœur bloqué.
J’aimerais expliquer d’où vient cette vague de chagrin qui monte en moi.
Parfois c’est flou. Comme les montagnes blanches qui touchent le ciel sans atteindre les nuages. Comme le vide qui termine mes phrases. J’aimerais expliquer pourquoi je perds le contrôle et que je glisse comme sur une piste de ski à la télé.
Tout est noir et je ne cesse de penser à ma mère. Je me remémore tout.
Je l’ai vue sombrer dans la tristesse. Mon père venait de mourir. Elle buvait à longueur de journée. Elle écoutait de vieilles musiques terrifiantes sur le magnétoscope. Elle était devenue une ombre qui déambulait dans les couloirs de la maison. Ou peut-être étais-je l’ombre qui
encombrait sa vie.
Elle n’avait presque jamais vu de la compassion dans mes yeux, et encore moins de la tristesse. Mon regard était toujours vide. On l’associait parfois à de l’insouciance. On en déduisait que j’étais heureux comme un enfant. Puis on se ravisait en supposant que c’était le chagrin qui me rendait muet, froid comme un robot.
Voici donc ce qui m’a rendu encore plus vide. J’ai déambulé dans les couloirs comme ma mère. Je me suis adossé contre la porte blanche de la salle de bain. Elle n’a pas supporté mon poids et m’a englouti. J’ai trébuché. J’ai baigné dans le sang de ma mère. Son sang a coagulé sur ma peau. J’imagine qu’il a dû couler rudement au début, qu’il était chaud, qu’il était rouge vif et qu’il a éclaboussé le mur moisi de la salle de bain. À présent, il ruisselle mais, au ralenti. Il manque de faire glisser mes petites jambes qui tremblotent.
Ma mère a taillé ses veines. Elle les a taillées comme le font les rats avec les fils électriques qui sont dans la grange. J’ai soulevé ses bras. Ils étaient mous comme des gants.
« Je t’aime », lui ai-je dit en
contemplant ses yeux blancs et vides. Enfin nous pouvions parler le même langage. Le langage du vide.
Tout s’est déroulé dans un rythme synchrone. Je ne cesse d’y repenser.
Soudain, je n’ai plus de souvenirs. C’est encore le vide. Ou le bruit vague de la sirène de l’ambulance qui s’éloigne et qui s’enfonce dans la nuit profonde. Tant pis pour ces souvenirs. Je n’ai pas envie de me rappeler des années passées à l’orphelinat de toute façon.
Plusieurs autres années ont passé depuis. Il me tarde de quitter ce lit où tout est noir. Je ne veux pas traverser la rue quand elle sera déserte. On dit que je suis malade. Dépression sévère. Ma mère m’a sûrement filé ses gènes démoniaques. Ceux de la mélancolie et ceux des os qui font mal. J’ai mal aux orteils. Il craquent dans un brouhaha qui gamme ma tristesse. Il paraît que je vais bientôt mourir. Je le sens.
Un jour, on pourrait se demander si je suis mort ou si j’ai survécu. Peut-être les deux. Un survivant mort dans l’âme.
J’aimerais expliquer d’où vient cette vague de chagrin qui monte en moi.
Parfois c’est flou. Comme les montagnes blanches qui touchent le ciel sans atteindre les nuages. Comme le vide qui termine mes phrases. J’aimerais expliquer pourquoi je perds le contrôle et que je glisse comme sur une piste de ski à la télé.
Tout est noir et je ne cesse de penser à ma mère. Je me remémore tout.
Je l’ai vue sombrer dans la tristesse. Mon père venait de mourir. Elle buvait à longueur de journée. Elle écoutait de vieilles musiques terrifiantes sur le magnétoscope. Elle était devenue une ombre qui déambulait dans les couloirs de la maison. Ou peut-être étais-je l’ombre qui
encombrait sa vie.
Elle n’avait presque jamais vu de la compassion dans mes yeux, et encore moins de la tristesse. Mon regard était toujours vide. On l’associait parfois à de l’insouciance. On en déduisait que j’étais heureux comme un enfant. Puis on se ravisait en supposant que c’était le chagrin qui me rendait muet, froid comme un robot.
Voici donc ce qui m’a rendu encore plus vide. J’ai déambulé dans les couloirs comme ma mère. Je me suis adossé contre la porte blanche de la salle de bain. Elle n’a pas supporté mon poids et m’a englouti. J’ai trébuché. J’ai baigné dans le sang de ma mère. Son sang a coagulé sur ma peau. J’imagine qu’il a dû couler rudement au début, qu’il était chaud, qu’il était rouge vif et qu’il a éclaboussé le mur moisi de la salle de bain. À présent, il ruisselle mais, au ralenti. Il manque de faire glisser mes petites jambes qui tremblotent.
Ma mère a taillé ses veines. Elle les a taillées comme le font les rats avec les fils électriques qui sont dans la grange. J’ai soulevé ses bras. Ils étaient mous comme des gants.
« Je t’aime », lui ai-je dit en
contemplant ses yeux blancs et vides. Enfin nous pouvions parler le même langage. Le langage du vide.
Tout s’est déroulé dans un rythme synchrone. Je ne cesse d’y repenser.
Soudain, je n’ai plus de souvenirs. C’est encore le vide. Ou le bruit vague de la sirène de l’ambulance qui s’éloigne et qui s’enfonce dans la nuit profonde. Tant pis pour ces souvenirs. Je n’ai pas envie de me rappeler des années passées à l’orphelinat de toute façon.
Plusieurs autres années ont passé depuis. Il me tarde de quitter ce lit où tout est noir. Je ne veux pas traverser la rue quand elle sera déserte. On dit que je suis malade. Dépression sévère. Ma mère m’a sûrement filé ses gènes démoniaques. Ceux de la mélancolie et ceux des os qui font mal. J’ai mal aux orteils. Il craquent dans un brouhaha qui gamme ma tristesse. Il paraît que je vais bientôt mourir. Je le sens.
Un jour, on pourrait se demander si je suis mort ou si j’ai survécu. Peut-être les deux. Un survivant mort dans l’âme.