Monsieur, le Ministre

Cinq jours à Karma, je revenais à Tondikoirey pour passer le week-end. Je défilais ainsi entre ces deux contrées, avec de milliards d'idées en tête.

La vie à Karma me paraissait bizarre, et je m'ennuyais du jour au jour. Aussi, je ne pouvais pas passer assez de temps à Tondikoirey, parce que ma famille venait d'aménager à N'dali, au Bénin.

Leur départ a été un déchirement total, j'étais alors obligé de rester tout ce temps à Karma. Ça était une expérience professionnelle pour quelqu'un qui venait d'être nominé champion national, dans l'art de prendre la parole en public.

Compte tenu de cette situation, je me voyais dans l'obligation de me forger davantage. Car le championnat international approchait, je n'avais pas de temps à perdre. Je dois coûte que coûte porter haut les couleurs de mon pays, je n'avais pas droit à l'erreur. De toute façon, c'était ce que voulait mon père ; travailler très dur, et sortir la tête haute.

Alors, pour affronter ce grand événement, j'ai eu idée de m'installer dans la capitale, afin d'avoir plus de Contacts avec les populations, et aussi me familiariser avec les lieux, car le championnat se déroulera à l'Académie des arts. Histoire de changer d'air.

C'était à la mi-mars, et je rédigeais sur une petite table, ma demande de transfert pour le CEG7 de Niamey. Les dés sont jetés, je n'avais pas de temps à perdre, je devais m'adonnner corps et âme.

Le lendemain, comme convenu, je remettais la fameuse demande à Monsieur, le Proviseur. Il la lut sans tarder, après quoi, il signa sur un papier en jaune qu'il me tendit aussitôt. J'étais aux anges. C'est si simple que ça ?

Une fois à la piaule, je rassembai tous mes effets dans un grand sac que j'avais sérieusement préparé pour les circonstances. Je regardai ma montre, midi sonnait, et je m'échappais ainsi vers la capitale. Enfin, la grande ville, que du bonheur !

Je pouvais encore entendre les encouragements de mes camarades lors du championnat national, et je me disais tout au fond de moi, que tout l'espoir d'un peuple se reposait désormais sur mon dos, et je devais très vite concrétiser les hostilités.

Dans un camion que j'avais auto-stoppé sur la grande route, j'étais assis au côté non-chauffeur. Il parlait beaucoup d'ailleurs, ce monsieur à la quarantaine. Il bâillait de temps en temps, cela prouvait qu'il a dû rouler toute la nuit précédente.

— Qu'est-ce qui t'amène à Niamey ? Me demanda-t-il en regardant droit devant lui.
J'avais voulu lui mentir, soi-disant que je me rendais là-bas, juste pour le week-end, mais mon bon sens me l'a interdit.

— J'y vais pour faire carrière, dis-je à haute voix.
Il me regarda un moment, puis s'éclata de rire.

— Tu crois que Niamey est si accueillant, que fais-tu dans la vie ?

— Je suis étudiant, et voilà qu'un Ministre m'attend pour pouvoir rédiger dorénavant ses discours, pas mal comme boulot, non?
Je serrais la mine, afin qu'il sentît ma détermination pour cette cause.

— Et bien, pas mal jeune homme, me dit-il, après il s'est mis à raconter ses voyages à Accra, la cité des merveilles. Au Nigéria où la jeune fille se livrait à tout vent, dit-il. Le Bénin, le pays de Behanzin, le Togo, le pays qui dépasse son nom.
J'étais ivre à force de gober tout ça. Il continuait de verser ses aventures, toute sa vie durant. De toute manière, il était marié, père de deux enfants. Et si l'occasion se présentait, ça ne lui dirait rien de rencontrer des filles en cours de route. Mais, il est compétent ce type, me dis-je intérieurement, quel aventurier ! Au lieu de prier le Bon Dieu pour qu'il puisse rentrer sain et sauf dans sa famille, non, il se permettait de s'envoler en l'air. Il ne savait pas dans ma tête, un seul écran se dessinait, comment remporter ce championnat international, toute une nation comptait sur moi.

— Merci beaucoup, Moussa, lui dis-je à la descente du camion.

— À bientôt, mon Ministre, dit-il en riant ouvertement, j'étais grisé.