Partie 01: Résister
" Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître. Vous pouvez m'enlever la vie, comme vous l'avez prise à tant d'autres mais vous n'effacerai pas qui je suis"
Alors que le fouet laisse ses marques stridentes sur ma chair, et émet un son menaçant dans l'air, la douleur envahit mon corps flétri, mais je résiste. Je me bats.
Pendant toutes ces années, j'ai connu beaucoup de ces personnes. Celles qui veulent que l'on les appelle maîtres. Celles qui ont la haine dans les yeux et la mort au bout des doigts. Celles qui ne frappent pas, mais qui cogne pour tuer.
Quand mes mains étaient moins froissées, que la lourdeur n'avait pas encore autant envahie mon corps et que la jeunesse faisait encore partie des choses qui constituaient mon être, dans ce temps-là plusieurs fois j'ai voulu abandonner. Les appeler maître pour qu'ils cessent de me tuer.
J'ai voulu faire comme tous les autres. Ceux qui ont été amenés alors que pour eux beaucoup d'années s'étaient déjà écoulées. Ils se rappellent leur nom. Alors, même si de leur bouche ils les appellent maître, et qu'ils se font appeler par le nom qu'ils leur ont donné. Secrètement, quand l'habitation s'est calmée, quand ceux dont la couleur relègue au rang d'esclave se lèvent, ils chuchotent le nom qui leur redonne leur liberté.
Dans ces moments-là, je les regarde avec envie. Quand leurs lèvres se mettent à bouger, et que le son qui en sort transporte leur liberté et l'histoire de ceux qui les ont élevés. Je les dévisage avec une curiosité, et une envie de reproduire le sentiment de liberté qui se lie sur leur lèvres m'envahit.
J'ai toujours su, et je le dis encore aujourd'hui, le nom, plus que quelques sons utilisés pour attirer l'attention, ou attirer d'un endroit à un autre. Le nom c'est qui l'on est.
Pendant longtemps, sur une terre qui n'est pas mienne j'ai cherché à m'en rappeler, mon identité. Ces sons qui, il y a longtemps m'ont été chuchotés à l'oreille.
Dans l'âge ou je resplendissais de beauté. Je refuse de les appeler maîtres parce que je cherche encore mon nom.
Quand mon corps à commencer à s'alourdir à cause des fardeaux que je devais porter. Que mes mains sont devenues sèches à force de bêcher.
Quand mes enfants sont apparues accrochées aux vagues de mes hanches, encore plus jaunes et clairs que je ne l'ai jamais été. Quand leur couleur me rappelait l'affront et la douleur. Mais que dans leurs yeux, je cherchais à voir un meilleur futur. A ce moment-là, je refuse de les appeler par ce nom , pour transmettre à ceux qui n'y ont jamais posé les pieds les valeurs de la terre dont on m'a arraché, l'identité de laquelle on essaye de les éloigner
Quand on m'a arraché ces mêmes enfants que j'ai porté avec souffrance et que de mes propres mains j'ai posé la terre sur leur corps. Je refuse encore de prononcer ce nom pour me venger.
Maintenant je suis vieille. Trop vieille pour abandonner. Ma vie, je l'ai déjà donnée, je l'ai vue défiler. Mais jamais ce mot n'a franchi les parois de mes lèvres pour les désigner. Je refuse parce que... vieille, froissée et fatiguée, tout ce qu'il me reste c'est mon nom et jamais je ne l'abandonnerai.
L'appeler maître serait renier mon essence et ma naissance. Abandonner mon identité, laisser tomber tout ce pour quoi je me suis battue pendant toutes ces années, tout ceux pour qui j'ai résisté pendant toutes ces saisons.
Mon nom, j'en suis sûr, je ne l'ai pas oublié, il est perdu quelque part, je dois tout simplement le retrouver. Je ne peux pas le faire sombrer dans un oubli sans fin en le remplaçant par le nom d'esclave.
Toute ma vie je me suis battu pour ce nom, pour cette liberté.
Maintenant que mes yeux se ferment dans une lueur apaisante. Que le soleil semble se coucher dans tous les recoins de mon existence. Que le goût métallique du sang envahit ma bouche et mes mots. Que pour toujours, dans une douceur des plus ravageant mon être se referme, je choisis de me battre encore une fois pour la liberté que mon nom m'a donnée.
Partie 02 : Se remémorer
Les rayons du soleil se frayent un chemin au milieu des feuilles d'un manguier. Une chaleur apaisante caresse mes petits membres. Mes orteils s'amusent avec la terre. Et je suis admirative face aux petits grains de terre qui se logent sous mes ongles.
Les petites pierres sont si jolies, il faut que je les saisisse de mes deux mains.
Alors que je m'élance avec impatience, une main, grande et froissée, m'arrête sur ma lancée. Avec une énergie attentionnée, elle dépoussière les parties de mes mains qui ont eu le temps de rentrer en contact avec la terre.
Elle me tend une mangue juteuse dont la peau a été retirée et jetée au sol pour les poules. Les poules sont toutes rondes et leurs ailes ont la couleur des feuilles tombées au sol, la couleur des personnes qui arrivent avec le bateau.
Tout le monde dans le village le sait. Les poules aiment les mangues et j'aime les mangues autant que les poules. Les poules et moi nous sommes pareil.
Dans ma tête, je me pose des questions. Leur bec semble m'être familier un peu comme mon nez qui pour une raison inconnue est plus pincé que celui de ma mère. Alors que mes yeux font les allers-retours entre mes mains et leurs ailes, leur peau jaune qui vire au doré, m'a l'air encore plus familière. Récemment j'ai remarqué que tout le monde est de la couleur de la terre sauf moi. Tout s'explique, je suis jaune... parce que je suis une poule.
Je lève les yeux vers ma mère.
Ses mains sont fatiguées et froissées par le travail des chants. Mais son visage lui aussi marqué par la fatigue, rayonne étrangement. "Maman ? Moi aussi, je dois être une poule. C'est pour ça que j'aime les mangues et que je suis jaune ?"
Secouée par un fou rire, elle se penche vers moi dans une danse délicate et me regarde dans les yeux,avec une tendresse dont elle seule connaît le secret.
Le sourire aux lèvres elle dit :
«Pour savoir si tu es une poule tu dois bien les regarder et voir si elles te ressemblent. Elles ont des ailes mais elles ne peuvent pas s'échapper. Toi, tu n'as pas d'ailes mais tu peux aller où tu veux. Elles sont jaunes, comme les gens des grands bateaux, mais elles ne sont pas libres. Toi tu es un peu plus claire que les autres mais tout au fond tu es noir et libre comme moi.
Mais si après avoir mangé une mangue, tu vois une aile te pousser à la place du bras... c'est que tu as désobéi et que tu en as trop mangé.
Mais même avec une petite aile de poule tu seras toujours ma petite à moi. Ta mère est un être humain et tu l'es aussi. Ta mère est libre et tu l'es aussi. »
En prenant un air plus grave que je ne lui reconnais pas... elle s'approche encore plus prêt et déclare « Que jamais personne ne te trompe même avec des ailes de poules ou des chaînes... tu restes libre. »
Après un moment de silence, elle perd son air grave et continue en chuchotant « C'est pour ça que tu es ma fille et que tu t'appelles... c'est le nom que Dieu lui-même m'a dit de te donner. Il symbolise ta liberté, ton humanité et mon amour»
Partie 03 : Liberté
Alors que je meurs, ma vie défile devant moi. Mais ma pensée semble être coincée sur le souvenir des mangues. Celui qui m'a appris qui je suis.
Les paroles, de ma mère aux mains froissées resteront à jamais gravées dans ma mémoire.
Sa chaleur restera gravée sur ma peau, elle empêche le froid de s'emparer de moi même après toutes ses années.
Le goût de la mangue surpasse celui du sang. Je ne l'ai pas gouté depuis d'innombrables années, mais je n'ai pas oublié sa douceur.
Le goût, la température et les paroles de la liberté sont gravées en moi.
La liberté à le goût de mangue. La chaleur de mon village. Le sourire de celle qui m'a élevé.
Alors que je meurs, je me répète encore et encore :
«Je suis claire mais je ne suis pas une poule.
Ils m'ont mis des chaînes mais je ne suis pas une esclave.»
Les coups ont effacé mon nom de ma mémoire. Mais ils n'ont pas réussi à me faire porter celui d'esclave.
" Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître. Vous pouvez m'enlever la vie, comme vous l'avez prise à tant d'autres mais vous n'effacerai pas qui je suis"
Alors que le fouet laisse ses marques stridentes sur ma chair, et émet un son menaçant dans l'air, la douleur envahit mon corps flétri, mais je résiste. Je me bats.
Pendant toutes ces années, j'ai connu beaucoup de ces personnes. Celles qui veulent que l'on les appelle maîtres. Celles qui ont la haine dans les yeux et la mort au bout des doigts. Celles qui ne frappent pas, mais qui cogne pour tuer.
Quand mes mains étaient moins froissées, que la lourdeur n'avait pas encore autant envahie mon corps et que la jeunesse faisait encore partie des choses qui constituaient mon être, dans ce temps-là plusieurs fois j'ai voulu abandonner. Les appeler maître pour qu'ils cessent de me tuer.
J'ai voulu faire comme tous les autres. Ceux qui ont été amenés alors que pour eux beaucoup d'années s'étaient déjà écoulées. Ils se rappellent leur nom. Alors, même si de leur bouche ils les appellent maître, et qu'ils se font appeler par le nom qu'ils leur ont donné. Secrètement, quand l'habitation s'est calmée, quand ceux dont la couleur relègue au rang d'esclave se lèvent, ils chuchotent le nom qui leur redonne leur liberté.
Dans ces moments-là, je les regarde avec envie. Quand leurs lèvres se mettent à bouger, et que le son qui en sort transporte leur liberté et l'histoire de ceux qui les ont élevés. Je les dévisage avec une curiosité, et une envie de reproduire le sentiment de liberté qui se lie sur leur lèvres m'envahit.
J'ai toujours su, et je le dis encore aujourd'hui, le nom, plus que quelques sons utilisés pour attirer l'attention, ou attirer d'un endroit à un autre. Le nom c'est qui l'on est.
Pendant longtemps, sur une terre qui n'est pas mienne j'ai cherché à m'en rappeler, mon identité. Ces sons qui, il y a longtemps m'ont été chuchotés à l'oreille.
Dans l'âge ou je resplendissais de beauté. Je refuse de les appeler maîtres parce que je cherche encore mon nom.
Quand mon corps à commencer à s'alourdir à cause des fardeaux que je devais porter. Que mes mains sont devenues sèches à force de bêcher.
Quand mes enfants sont apparues accrochées aux vagues de mes hanches, encore plus jaunes et clairs que je ne l'ai jamais été. Quand leur couleur me rappelait l'affront et la douleur. Mais que dans leurs yeux, je cherchais à voir un meilleur futur. A ce moment-là, je refuse de les appeler par ce nom , pour transmettre à ceux qui n'y ont jamais posé les pieds les valeurs de la terre dont on m'a arraché, l'identité de laquelle on essaye de les éloigner
Quand on m'a arraché ces mêmes enfants que j'ai porté avec souffrance et que de mes propres mains j'ai posé la terre sur leur corps. Je refuse encore de prononcer ce nom pour me venger.
Maintenant je suis vieille. Trop vieille pour abandonner. Ma vie, je l'ai déjà donnée, je l'ai vue défiler. Mais jamais ce mot n'a franchi les parois de mes lèvres pour les désigner. Je refuse parce que... vieille, froissée et fatiguée, tout ce qu'il me reste c'est mon nom et jamais je ne l'abandonnerai.
L'appeler maître serait renier mon essence et ma naissance. Abandonner mon identité, laisser tomber tout ce pour quoi je me suis battue pendant toutes ces années, tout ceux pour qui j'ai résisté pendant toutes ces saisons.
Mon nom, j'en suis sûr, je ne l'ai pas oublié, il est perdu quelque part, je dois tout simplement le retrouver. Je ne peux pas le faire sombrer dans un oubli sans fin en le remplaçant par le nom d'esclave.
Toute ma vie je me suis battu pour ce nom, pour cette liberté.
Maintenant que mes yeux se ferment dans une lueur apaisante. Que le soleil semble se coucher dans tous les recoins de mon existence. Que le goût métallique du sang envahit ma bouche et mes mots. Que pour toujours, dans une douceur des plus ravageant mon être se referme, je choisis de me battre encore une fois pour la liberté que mon nom m'a donnée.
Partie 02 : Se remémorer
Les rayons du soleil se frayent un chemin au milieu des feuilles d'un manguier. Une chaleur apaisante caresse mes petits membres. Mes orteils s'amusent avec la terre. Et je suis admirative face aux petits grains de terre qui se logent sous mes ongles.
Les petites pierres sont si jolies, il faut que je les saisisse de mes deux mains.
Alors que je m'élance avec impatience, une main, grande et froissée, m'arrête sur ma lancée. Avec une énergie attentionnée, elle dépoussière les parties de mes mains qui ont eu le temps de rentrer en contact avec la terre.
Elle me tend une mangue juteuse dont la peau a été retirée et jetée au sol pour les poules. Les poules sont toutes rondes et leurs ailes ont la couleur des feuilles tombées au sol, la couleur des personnes qui arrivent avec le bateau.
Tout le monde dans le village le sait. Les poules aiment les mangues et j'aime les mangues autant que les poules. Les poules et moi nous sommes pareil.
Dans ma tête, je me pose des questions. Leur bec semble m'être familier un peu comme mon nez qui pour une raison inconnue est plus pincé que celui de ma mère. Alors que mes yeux font les allers-retours entre mes mains et leurs ailes, leur peau jaune qui vire au doré, m'a l'air encore plus familière. Récemment j'ai remarqué que tout le monde est de la couleur de la terre sauf moi. Tout s'explique, je suis jaune... parce que je suis une poule.
Je lève les yeux vers ma mère.
Ses mains sont fatiguées et froissées par le travail des chants. Mais son visage lui aussi marqué par la fatigue, rayonne étrangement. "Maman ? Moi aussi, je dois être une poule. C'est pour ça que j'aime les mangues et que je suis jaune ?"
Secouée par un fou rire, elle se penche vers moi dans une danse délicate et me regarde dans les yeux,avec une tendresse dont elle seule connaît le secret.
Le sourire aux lèvres elle dit :
«Pour savoir si tu es une poule tu dois bien les regarder et voir si elles te ressemblent. Elles ont des ailes mais elles ne peuvent pas s'échapper. Toi, tu n'as pas d'ailes mais tu peux aller où tu veux. Elles sont jaunes, comme les gens des grands bateaux, mais elles ne sont pas libres. Toi tu es un peu plus claire que les autres mais tout au fond tu es noir et libre comme moi.
Mais si après avoir mangé une mangue, tu vois une aile te pousser à la place du bras... c'est que tu as désobéi et que tu en as trop mangé.
Mais même avec une petite aile de poule tu seras toujours ma petite à moi. Ta mère est un être humain et tu l'es aussi. Ta mère est libre et tu l'es aussi. »
En prenant un air plus grave que je ne lui reconnais pas... elle s'approche encore plus prêt et déclare « Que jamais personne ne te trompe même avec des ailes de poules ou des chaînes... tu restes libre. »
Après un moment de silence, elle perd son air grave et continue en chuchotant « C'est pour ça que tu es ma fille et que tu t'appelles... c'est le nom que Dieu lui-même m'a dit de te donner. Il symbolise ta liberté, ton humanité et mon amour»
Partie 03 : Liberté
Alors que je meurs, ma vie défile devant moi. Mais ma pensée semble être coincée sur le souvenir des mangues. Celui qui m'a appris qui je suis.
Les paroles, de ma mère aux mains froissées resteront à jamais gravées dans ma mémoire.
Sa chaleur restera gravée sur ma peau, elle empêche le froid de s'emparer de moi même après toutes ses années.
Le goût de la mangue surpasse celui du sang. Je ne l'ai pas gouté depuis d'innombrables années, mais je n'ai pas oublié sa douceur.
Le goût, la température et les paroles de la liberté sont gravées en moi.
La liberté à le goût de mangue. La chaleur de mon village. Le sourire de celle qui m'a élevé.
Alors que je meurs, je me répète encore et encore :
«Je suis claire mais je ne suis pas une poule.
Ils m'ont mis des chaînes mais je ne suis pas une esclave.»
Les coups ont effacé mon nom de ma mémoire. Mais ils n'ont pas réussi à me faire porter celui d'esclave.