Mon Everest

Je me réveille et mon premier regard va vers le ciel. Il est complètement dégagé, l’azur est encore un peu pâle mais la journée sera radieuse. Il y aura bien sûr un peu de Mistral. Le Mistral c’est une garantie de temps clair, de soleil radieux mais ses bourrasques sont parfois un peu rudes. On n’a rien sans rien !
C’est le jour J. C’est décidé je me lance. Des mois que je m’entraine, que je me plie à toutes les exigences de mon coach. J’ai une motivation de fer. Je ferme les yeux et me rappelle ses dernières consignes :
« Le mental, c’est surtout une affaire de mental. »
«  Regarde la montagne que tu veux gravir, mais vois- y autant de petites collines accessibles que tu monteras l’une après l’autre ».
Aujourd’hui, j’attaque mon premier Everest.

J’ouvre la porte. Un air frais me saisit, je m’en emplis les poumons. Je fais un pas. Le soleil m’inonde. Je lève la tête vers ses rayons et reçois toute leur énergie. Me voilà prêt, en avant toute !
« Bonjour », le voisin ne salue. Il est entrain de tailler sa vigne. Une superbe vigne qui donne un costière inimitable. Il dit que c’est les galets rouges et l’ocre de terre qui lui donne du tanin. Sans doute. Mais il a raison pour un bon jour c’est un bon jour, en avant !
...
Je suis à la moitié du chemin. Enfin au quart si on compte le retour. Car, à la fin, il faudra bien revenir. Je lève la tête pour respirer à fond. J’aperçois au loin l’abbaye de Saint Roman creusée dans le rocher par les moines. De sacrés travailleurs ces hommes là ! Ils ont passé leur vie à excaver la roche, pour établir leur abbaye, pour assainir les marécages, pour préparer leur sépulture. Leur courage me donne de l’énergie, je repars.

La marche est douloureuse. Je m’applique à poser correctement le talon au sol et à bien dérouler le pied. Un chant scout me revient en tête «  la meilleure façon de marcher...c’est de mettre un pied devant l’autre et de recommencer ».
Facile à dire. Moi, je dirais «  Contraction du quadriceps, décontraction des fessiers, élévation de la jambe, pointage des orteils vers le ciel, contractions des jumeaux, action du genou, attaque du sol par le talon puis déroulement du pied et enfin propulsion du corps vers l’avant par les extenseurs des orteils. Mise en action de l’autre jambe selon le même processus... » .
La fatigue me gagne, je courbe l’échine. Je me reprends, me redresse. Une grande respiration et je franchis le dernier tronçon. Me voilà au sommet de mon Everest. La joie m’envahit. Tout mon être reçoit un frisson d’extase. Tout ragaillardi, je m’apprête à faire le chemin inverse. Je piétine un peu pour faire demi-tour et en avant !
Bizarrement, cela me semble moins long, mon corps a trouvé le rythme qui lui convient. Je suis moins impatient et progresse, lentement mais surement.
Encore quelques pas. Je pose la main sur la poignée de la porte. Mon fauteuil roulant est là, juste derrière. Un nouveau demi-tour en me tenant au mur, tout en sécurité et je peux enfin m’asseoir.
Je me sais pas si c’est le contre coup de l’effort accomplit ou l’émotion d’un rêve enfin réalisé mais il me faut un grand moment pour reprendre mon souffle. Sans doute les deux.
Je roule jusqu’à la cuisine où Cécile prépare le repas. Je lui annonce sur un ton presque détaché :
- Je suis allé ramasser le courrier ».
- Ah ! Très bien ! Merci » me répond-elle.
Elle n’a pas perçu l’émoi qui m’habite. Il faut que je partage ça avec quelqu’un qui me comprenne. J’appelle mon coach.
- Salut kiné. Ça y est, je l’ai fait sans canne, sans rien !
- Tu es un chef
- Demain, je vais saluer mon voisin dans sa vigne !

C’est a ce moment que Cécile s’approche de moi, ayant compris toute l’importance de mon exploit et m’enlace. «  J’n’y crois pas, tu y es allé tout seul, sans ton fauteuil...

L’avenir est prometteur. Demain mes pas me conduiront vers d’autres Everest et je saurai apprécier chacune de ces conquêtes. Je ne referai sans doute plus jamais d’alpinisme mais ma vie sera tout aussi palpitante.