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Nouvelles - Littérature Générale
Né à l'envers des conventions normalisées, ma génitrice me chia menu, sans douleur. Elle adopta ce même jour la rigidité cadavérique assignée par les mortels avant de rejoindre le caveau d'où je vous écrirai dès que me viendra l'envie d'en finir. Avec ce premier contact, brutal, la Terre me signifia qu'elle s'attribuait le statut de marâtre.
Bleu marbré sur le corps et jauni par les glaires, je reçus un sévère coup de pied au cul, fondement essentiel à l'application de tout principe de survie. Je criai. Un chien me lécha. Attention salutaire. Raconter mon enfance serait avant tout convenir d'une seule et unique pause à consonance émotive, car de cette vie turbulente que fut ma jeunesse au pensionnat, le souvenir premier provient de l'absence de mon père adoptif. Cet homme endossait le costume courant d'air qu'une couturière invisible lui façonnait sur mesure. Le seul jour où il nous rendit visite, il m'appela, moi tout seul sous l'œil jaloux de mes deux frères : « Venez mon enfant. »
Quelques coquillages gisaient entre les galets épars sur le sable.
« Promenons-nous longuement. »
Les vagues rejetaient leur récolte.
« Allons profiter de l'automne. »
Son front se posa contre les rides d'un bois flotté. Il humait le sel desséché.
« C'est une journée spéciale, mon fils. »
Sa main, crabe gonflé de la petite mienne, apprivoisait mes craintes vis-à-vis de lui.
Et tout ce silence.
Et toute cette fureur déversée au-delà de nous.
Et toute cette immensité qu'il m'invita à découvrir cet après-midi-là.
Ce fut un moment où mon âme s'éleva, guidée par son propre souffle.
« Avançons encore un peu. »
Là où le soleil scrute la plage, ma peur s'éloigna.
« Profitons de l'instant. »
L'insouciance prit le dessus. Tandis que nous marchions les doigts serrés, je le regardai. Ses silences communiquaient avec les miens. C'est porté dans les airs que je mesurai la force de ses épaules confortables. J'entendis son rire, éclatant, un instant, longtemps. Je connus le trot, le galop, ma monture s'emballait : « À l'attaque ! »
Sa badine cinglait nos ennemis. C'était lui l'enfant. Le hoquet me donna le fou rire ou l'inverse, je ne sais plus. Lorsqu'il se rendit compte que ce n'était pas l'eau de pluie qui mouillait son col, il ne m'a rien dit de plus. Moi non plus.
Nous deux contemplions un champ de bataille. Les combattants se décomposaient au rythme des heures déjà bien assombries. Nous avancions sur l'étroite frontière dessinée par son geste d'abandon après une guerre sans tambour ni trompette, une guerre muette inscrite dans l'ordre des choses à fuir tête basse, tête basse.
Mon père disparut comme un soufflé se dégonfle au sortir du four, se transforma en souvenir. La fille de l'air l'emporta une dernière fois pour longtemps, pour toujours. J'avais cinq ans.
Bleu marbré sur le corps et jauni par les glaires, je reçus un sévère coup de pied au cul, fondement essentiel à l'application de tout principe de survie. Je criai. Un chien me lécha. Attention salutaire. Raconter mon enfance serait avant tout convenir d'une seule et unique pause à consonance émotive, car de cette vie turbulente que fut ma jeunesse au pensionnat, le souvenir premier provient de l'absence de mon père adoptif. Cet homme endossait le costume courant d'air qu'une couturière invisible lui façonnait sur mesure. Le seul jour où il nous rendit visite, il m'appela, moi tout seul sous l'œil jaloux de mes deux frères : « Venez mon enfant. »
Quelques coquillages gisaient entre les galets épars sur le sable.
« Promenons-nous longuement. »
Les vagues rejetaient leur récolte.
« Allons profiter de l'automne. »
Son front se posa contre les rides d'un bois flotté. Il humait le sel desséché.
« C'est une journée spéciale, mon fils. »
Sa main, crabe gonflé de la petite mienne, apprivoisait mes craintes vis-à-vis de lui.
Et tout ce silence.
Et toute cette fureur déversée au-delà de nous.
Et toute cette immensité qu'il m'invita à découvrir cet après-midi-là.
Ce fut un moment où mon âme s'éleva, guidée par son propre souffle.
« Avançons encore un peu. »
Là où le soleil scrute la plage, ma peur s'éloigna.
« Profitons de l'instant. »
L'insouciance prit le dessus. Tandis que nous marchions les doigts serrés, je le regardai. Ses silences communiquaient avec les miens. C'est porté dans les airs que je mesurai la force de ses épaules confortables. J'entendis son rire, éclatant, un instant, longtemps. Je connus le trot, le galop, ma monture s'emballait : « À l'attaque ! »
Sa badine cinglait nos ennemis. C'était lui l'enfant. Le hoquet me donna le fou rire ou l'inverse, je ne sais plus. Lorsqu'il se rendit compte que ce n'était pas l'eau de pluie qui mouillait son col, il ne m'a rien dit de plus. Moi non plus.
Nous deux contemplions un champ de bataille. Les combattants se décomposaient au rythme des heures déjà bien assombries. Nous avancions sur l'étroite frontière dessinée par son geste d'abandon après une guerre sans tambour ni trompette, une guerre muette inscrite dans l'ordre des choses à fuir tête basse, tête basse.
Mon père disparut comme un soufflé se dégonfle au sortir du four, se transforma en souvenir. La fille de l'air l'emporta une dernière fois pour longtemps, pour toujours. J'avais cinq ans.
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