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Histoires Jeunesse - 11-14 Ans (Cycle 4)
Nouvelles - Imaginaire
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J'ai toujours voulu devenir Paladin ! Enfin, ma mère a toujours voulu que je devienne Paladin. Comme mon père, mes grands-pères et même mon arrière-grand-mère.
Dans ma famille, être Paladin, c'est un peu comme voler pour une chauve-souris, chasser pour un loup. On l'a dans le sang. Le même qui me fait tourner de l'œil quand je me blesse aux entraînements.
— Allez, Laÿn, ne traine pas !
Je baisse les yeux vers mes bottes. Je dois oublier toutes ces histoires, sinon je ne passerai jamais la nuit. Et je ne deviendrai pas Paladin car j'échouerai à l'évaluation : une nuit dans la forêt magique d'Obergïa, peuplée d'elfes, de licornes et de créatures bien moins sympathiques auxquelles je préfère ne pas penser...
— Tu n'as peut-être pas envie de devenir Paladin, mais ne retarde pas les autres !
Pour la dose de confiance en soi, on repassera. Même si les paroles de mes camarades peuvent paraître acerbes, elles ne reflètent que la vérité : j'ai de piètres résultats. Je ne leur en tiens donc pas rigueur car je sais à quel point ils m'apprécient et voient plus en moi qu'une cible vivante pour les exercices de tir à l'arc !
Me voilà donc à la traine. Moi, Laÿn, peu-probable-Paladin-et-futur-honte-de sa famille.
— Nous y sommes presque ! Vous avez tout ce qu'il vous faut ? Car une fois à l'intérieur vous...
— « nous ne pourrons en ressortir qu'aux premières lueurs de l'aube ! »
Je reconnais aussitôt la voix de Nelym – sûrement la jeune femme la plus courageuse que je connaisse, mais aussi la plus insupportable – qui vient de terminer la phrase de Blair, notre instructeur. Lui aussi semble d'ailleurs partagé entre l'admiration pour la détermination de Nelym et l'envie de la réprimander de lui avoir coupé la parole.
— Merci, Nelym, reprend-il. En effet, cette nuit sera sûrement la plus importante de votre vie. L'occasion de prouver que vous méritez votre place dans la garde royale. Ne me décevez pas !
Un silence solennel s'empare du groupe qui chemine sur le sentier jusqu'à l'orée sombre de l'immense forêt. Derrière nous s'étendent les plaines que nous foulons depuis notre enfance, les ruisseaux où nous nous baignons après les entraînements, les chênes que nous grimpons... À l'ouest, l'océan danse sous un soleil déclinant.
Malgré les palpitations de mon cœur, j'inspire profondément. Je pense au contenu soigneusement étudié de ma besace et mon entraînement depuis un mois : lever aux aurores pour fabriquer des décoctions fortifiantes, massage à l'huile de blé et affutage de mon glaive. Tout ce qui est listé dans Le Grand Livre des Paladins qui trône sur notre buffet.
Je suis prêt.
Le groupe s'arrête devant quelques rochers. L'aura mystique de la forêt – et les arbres prêts à nous engloutir comme les centaines d'apprentis Paladins avant nous – suffisent à faire passer l'envie de plaisanter, même aux plus blagueurs.
Blair nous réunit en cercle.
— Je compte sur vous. Sur vous tous. Je garderai un œil sur vous, même si vous savez que seule la forêt jugera de votre capacité à défendre votre cité. C'est elle qui vous fera Paladin. Soyez courageux, mais aussi astucieux (Blair me toise) !
Aussitôt, dans un concert de cris guerriers, la troupe s'enfonce dans la forêt sous le sourire paternel de notre instructeur. Alors que je m'apprête à franchir le seuil, je me retourne pour fixer le paysage dans ma mémoire : la muraille de la cité, la fumée de la fonderie... Ma mère pense-t-elle à moi ?
Puis, d'un pas assuré, je plonge dans l'inconnu.
* * *
J'ai vite le sentiment d'être seul dans cette effrayante forêt. Glaive à la main, je repousse les branches qui me griffent et les insectes qui me piquent à travers mon armure. Sans cesser d'avancer... même si la tentation de se terrer quelque part est alléchante ! Mais il en est hors de question. Comme l'a dit Blair, c'est la forêt qui nous fait Paladin. Et je dois montrer à cette forêt de quel bois je me chauffe – si je puis dire...
Après une longue marche, je m'arrête pour avaler une potion fortifiante et quelques galettes de légumes. Le combat n'est peut-être pas mon fort mais je défie quiconque de réaliser des galettes aussi savoureuses. Des cris résonnent parfois dans l'obscurité mais je garde mon calme. À la bibliothèque, j'ai lu tous les ouvrages sur Obergïa et ses araignées, goules, dragons...
Après la dernière bouchée, je me répète que tout va bien. Que je n'ai pas peur. Je n'ai pas peur. Jusqu'au moment où je repère les yeux luisants d'une araignée... qui fait presque la moitié de ma taille ! Mon cœur s'accélère. Je brandis mon glaive d'un bras aussi mou que mes galettes. D'une démarche saccadée, l'araignée avance en faisant craquer les feuilles mortes sous ses pattes velues. Tétanisé et le souffle coupé, je n'ai d'autre choix que de reculer jusqu'à ce qu'une pierre m'arrête net : je m'étale dans le fracas de mon armure. Mes chances de devenir Paladin s'étiolent : comment la forêt pourrait-elle me choisir si cette créature m'emporte dans sa toile visqueuse ?
Mais voilà que cette chute me remet les idées en place. Le chapitre 32 du Livre d'Obergïa apparaît devant mes yeux : « Marrons en main, araignée sur le chemin ! ». Vif comme l'éclair, je fouille ma besace et en sors une poignée de marrons. Un œil fermé pour viser, je lance mes projectiles vers l'abdomen noir. Deux tirs précis suffisent à faire fuir l'araignée !
Avec un sourire fier – même si j'aurais préféré savoir me servir de mon glaive – je repose ma tête au sol. Mon souffle est court, mon dos trempé de sueur et des lumières dansent devant mes yeux. Je reconnais là mon amie de toujours : la peur. Immobile sur le tapis de feuilles, je perçois un craquement tout près : l'araignée vient-elle prendre sa revanche ?
Incapable de me relever, je tâtonne autour de moi pour espérer dénicher d'autres marrons lorsque je repère une ombre immense près de moi. Écailles verdoyantes, griffes irisées, grognements étouffés : au moins ce n'est pas un nouvel assaut d'araignées mais... un dragon des mousses.
Je me fige, tétanisé par la peur. Son souffle chaud caresse mon visage : il est là, juste au-dessus de moi, me toisant de son regard mordoré. Les ténèbres, soudain, m'envahissent.
* * *
Lorsque j'ouvre les yeux, le dragon a disparu. La honte me prend à la gorge : pas besoin d'être un fin limier pour comprendre que je me suis évanoui et que l'aube s'est levée !
Mon esprit pense aussitôt au chapitre 16 « Dragon des mousses, pas de secousse ! », conseil que j'ai malgré moi appliqué à la lettre !
Tous mes camarades doivent déjà célébrer leur grade de Paladin. Que vais-je dire à ma mère ?
Penaud, je rebrousse chemin vers l'orée d'Obergïa. Blair doit déjà être au courant de mes prouesses nocturnes, autant mettre un terme à ce calvaire le plus vite possible.
J'aperçois bientôt le paysage familier : les collines, la muraille et l'océan. Mes poumons se gonflent d'air tandis que les souvenirs de ma nuit dansent devant mes yeux. Blair et presque tous mes camarades sont en cercle, comme la veille. L'effort de ma course me fait tourner la tête.
— Laÿn, te voilà enfin ! Quelle surprise !
Je n'en veux pas à Blair. Moi-même n'aurais pas parié sur mon retour en chair et en os. D'ailleurs, puis-je vraiment me vanter de mes exploits ? Un lancer de marrons, un dragon qui n'a même pas vu en moi un adversaire et un évanouissement. Rien de très glorieux.
— Donne-moi ton glaive pour connaître le verdict d'Obergïa !
L'instructeur se saisit de mon arme – ridiculement immaculée – puis la plonge dans une bassine d'eau sombre. Là, sous les yeux médusés de mes camarades, la lame se pare d'une teinte dorée.
— Félicitations, Laÿn !
Mes tympans vibrent. À la lueur de l'aube, je repère quelques visages déçus parmi des sourires timides.
— Sacrée surprise... me chuchote Nelym avec un sourire espiègle en me frôlant d'un pas léger.
Est-ce possible ? Je pense à ma mère. Puis aux paroles de Blair : « c'est la forêt qui te fait Paladin. »
Obergïa m'a récompensé. Moi, Laÿn.
Je suis Paladin.
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Illustration : Mathilde Ernst