Mirage ou réalité ?

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Mon cerveau était en ébullition, mes mains tremblaient, mon cœur battait la chamade et mon souffle était saccadé. Tout autour de moi semblait s'effondrer, s'évanouir, disparaître. J'étais seul, abandonné, isolé du monde extérieur. C'était comme si le temps s'était arrêté et que je me retrouvais coincé dans un univers parallèle, où seuls mes pensées comptaient.
Je me suis revu quelques heures plus tôt, en train de prendre un café dans ce petit bistrot de quartier, en face de l'arrêt de bus. J'étais là, à regarder les gens passer, sans même remarquer leur présence. J'étais tellement dans mes pensées que je n'ai pas vu cette jeune femme arriver, poser ses coudes sur le comptoir et commander un café. Elle était belle, élégante, douce et sûre d'elle. Avec un regard magnanime, au sourire angélique, je l'ai regardée, sans oser rien dire, sans bouger, sans même respirer. Elle m'a souri, m'a jeté un regard furtif et a repris son téléphone pour envoyer un message. Je me suis demandé qui était-elle, ce qu'elle faisait là, et pourquoi elle me regardait. J'ai essayé de me convaincre que c'était juste une coïncidence, que je devais continuer ma journée comme si de rien n'était. Mais cette petite voix en moi m'a chuchoté à l'oreille, m'a poussé à la suivre, à la regarder, à l'observer, à admirer sa beauté envoutante. Je la suivie jusqu'au bus. Par le plus grand des hasards, on avait la même destination. Je l'ai vue monter et s'asseoir juste devant moi, sortir un livre de Barbara Cartland et commencer à lire. « Le marquis et la gouvernante », un de mes préférés d'ailleurs, je commençais inconsciemment à lister nos points communs. J'ai voulu lire quelques lignes par-dessus son épaule, mais je me retiens.
Le bus a continué son chemin pendant que je me perdais dans mes pensées et que je me faisais des films dignes d'une histoire d'Harlequin, déposant des passagers, en prenant d'autres, traversant des quartiers différents, changeant d'ambiance au fil des rues. Je ne faisais que la regarder, la détailler, l'admirer, la vouloir, la désirer secrètement. Et elle, elle ne m'adressa même pas un seul regard, pas un seul sourire, pas un seul signe, presque comme si je n'existais. Enfin arrivé à destination, elle descendit du bus tout en passant devant moi et toujours sans un regard, juste un sourire exquis aux lèvres. Je descendis à mon tour sans presser les pas, une démarche sereine et sûre, quoique dans mon cœur, je ne faisais qu'une prière : pouvoir la rattraper et lui parler pour me délivrer. Elle marcha quelques mètres, s'est retournée et m'a souri. Un sourire presque moqueur. Un simple sourire, qui a suffi à rendre mon cœur fou. Elle a continué son chemin, et sans m'en rendre compte, je la perdis de vue, perdue dans la foule agitée dans tous les sens. Le cœur et l'égo brisés, je pris le sentient devant moi, sans but et sans savoir où je vais.
C'est à ce moment précis que se produisit. Cette minute qui a paru interminable, qui a changé toute ma vie. Je me suis retrouvé face à elle, les yeux écaillés, la gorge nouée, le cœur battant la chamade, les papillons dans le ventre, dans cette petite ruelle, à deux rues de l'arrêt de bus. Elle me regarda droit dans les yeux, toujours avec ce sourire mesquin, sans dire un mot, ses dents étaient d'une blancheur comparable à la neige, son parfum de Lilas, me donna l'impression pendant une minute d'être perdu dans un champ qui en était rempli. Elle posa sa main sue mon épaule droite, je restais ébahi sans savoir quoi répondre ; pourtant sûr de moi, je perdis mes sens. Je ne sus comment réagir. J'étais comme hypnotisé par son regard, comme captivé par sa beauté, son charme, sa présence.
Les dieux exhaussèrent enfin ma prière, elle me tendit l'échelle pour me sortir de mes tourments intérieurs, elle me parla... Elle a parlé. Sa voix était douce, musicale, envoûtante, sa voix me délivra enfin. Elle avoua avoir remarqué ma présence, même bien avant l'épisode dans le bus et dans le bus, qu'elle avait a fait exprès passer devant moi pour chercher le café, espérant que je la remarque à mon tour, et voilà chose faite. Elle eut envie de me parler, de faire le premier pas, de m'inviter à prendre un verre pour mieux me connaître, me découvrir, et m'apprendre à la connaître. Je ne savais plus quoi penser, quoi dire. J'étais tellement surpris, tellement heureux, et tellement perdu à la fois. Des questions commencèrent à m'envahir l'esprit, des questions sans réponses et peut-être même inutile.
- Je sais, tu te poses mille et une question me dit-elle, toujours avec ce sourire. À croire presque qu'elle lisait dans mes pensées. Je n'eus même pas l'occasion de placer un mot qu'elle me répondit
- Je n'ai pu me retenir de satisfaire mon humeur et le plaisir que cela procure de te voir languir et perdu dans des esprit, confus et ne sachant quoi faire et dire. C'est tellement amusant et excitant si tu savais...
Comme un asservi, je n'ai fait que me contenter de sourire un sourire qui me dénoua la langue et me permit de répondre positivement à son invitation. Oui, je voulais bien prendre un verre avec cette créature si belle, si magnifique à l'allure enivrant. Une créature angélique ou démoniaque, qu'en savais-je ?
 
Je le suivi comme hypnotisé. Nous avons traversé la rue d'en face, et sommes entrés dans ce bar à l'angle de la rue, pris une table au fond, à l'abri des regards et des bruits de la route. Tout semblait si parfait, et elle, si bien faite, nous avons parlé, discuté de tout et de rien, mes sens étaient en éveille, nous avons bu, ri, échangé des regards, nous nous sommes fixés, accroché au regard de l'autre sans oser rien dire. Pendant des heures, nous avons partagé nos histoires, nos rêves, nos passions, moi plus, je me suis laissé aller sans retenu ni de discrétion. Nous avons bu du vin, grignoté des olives, fumé des cigarettes, chose que je n'avais pourtant jamais faite. Il était presque 19h, quand il a fallu se quitter, elle m'embrassa si doucement et tendrement sur les lèvres. Pendant cette minute, mon cœur à faillit se rompre, Ça n'a duré qu'une bonne minute, une vraie minute. Une minute qui m'a semblé être une éternité.
 
Avant que je ne m'en rende compte, elle s'éloignait lentement mais surement, se retournant une dernière fois, elle me lança un regard de petit chat et me dit :
-Au revoir Nicolas, à un de ces jours...
À ce moment précis je me rendis compte que je venais de passer tout l'après-midi avec une femme dont j'ignore le prénom, et que je n'ai pas pensé à demander. Je me rassis dans le divan tout en me remémorant notre rencontre, notre soirée, notre instant. Je l'ai regardée, les yeux remplis de larmes, s'en aller au large sans mot dire. Je pensais à ce bonheur d'un instant, à ce baiser dont je sentais encore le goût et son souffle sur mon visage. Je voulais la revoir, jamais je n'avais connu un moment si parfait, si magique, et si irrationnel.
Je sortis du bar à mon tour malgré moi, le cœur léger et lourd à la fois, le sourire aux lèvres, l'espoir au fond de l'âme. Nous ne nous sommes plus revus depuis cette soirée, il m'arrive même de me demander si je n'avais pas rêvé d'un mirage. Mais cette minute, cette éternité, resta à jamais gravée dans ma mémoire, comme l'un des plus beaux moments de ma vie. Et cette question qui me hante l'esprit chaque jour qui se lève. « Est-ce une personne ou un esprit enchanteur, mais qui était-elle » ?
383