Je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié. "
C'est ce que je croyais. Ce que ma mère voulait. Ce qu'on m'a appris à répéter sans réfléchir. J'ai grandi dans l'ignorance. Dans le silence. Pas de photos d'avant mes dix ans. Pas d'arbre généalogique. Pas d'accent. Pas de souvenirs.
À l'école, quand on me demandait mes origines, ma mère me soufflait toujours la même phrase en souriant :
Dis que tu viens d'ici.
Je m'appelais Sara. Maintenant je suis Lila. Une identité inventée. Un passé en cendres. Je me suis toujours sentie étrangère dans cette vie, comme si je portais un nom qui n'était pas à moi. Comme si mon visage était une énigme. Je posais parfois des questions, mais ma mère changeait de sujet, ou me fixait avec cette douceur tendue qui disait:
Je m'appelais Sara. Maintenant je suis Lila. Une identité inventée. Un passé en cendres. Je me suis toujours sentie étrangère dans cette vie, comme si je portais un nom qui n'était pas à moi. Comme si mon visage était une énigme. Je posais parfois des questions, mais ma mère changeait de sujet, ou me fixait avec cette douceur tendue qui disait:
Ne cherche pas. Oublier, c'est te protéger.
Tout a basculé l'an dernier. J'avais 17 ans.
Tout a basculé l'an dernier. J'avais 17 ans.
Je préparais un exposé sur les crimes de guerre. Et sur l'écran, pendant une vidéo, un nom est apparu. Un nom long, compliqué, aux consonances dures.
Je l'ai reconnu. Sans le connaître.
Et j'ai senti quelque chose. Pas de la peur, pas tout fait. Un frisson, comme un souvenir qui n'aurait jamais dû être le mien.
Le soir même, j'ai tapé ce nom sur Internet.
Des visages sont apparus. Des articles. Des reportages. Et dans une vieille coupure de journal, le visage de ma mère.
Elle avait les yeux cernés. Elle parlait dans un micro.
Légende: "La femme d'un des chefs du réseau terroriste Al-Saf témoigne à visage découvert. Le procès se poursuit à huis clos."
J'étais choquée. Ce n'était pas un film. C'était ma mère.
Et mon père...
Il s'appelait Yassir A. Il était responsable de plusieurs attentats. Des centaines de morts. Peut-être plus. Il s'était servi de ma mère comme couverture. Il la terrorisait. Il se servait d'elle pour passer inaperçu.
Quand elle a découvert l'ampleur de ce qu'il faisait, elle a tout risqué pour le dénoncer.
Elle a témoigné. Elle a fui. Avec moi. Je n'avais que 6 ans. Trop jeune pour comprendre. Alors elle a décidé de tout effacer. Elle m'a appris à mentir pour survivre.
À ne pas poser de questions.
À ne pas creuser.
À devenir une autre.
Je l'ai confronté. Une nuit. J'ai posé l'article sur la table. Et elle s'est effondrée.
Elle m'a tout raconté. L'enfer. Le procès. Les menaces. Certains membres du réseau n'ont jamais été arrêtés. Alors elle s'est cachée. On s'est cachés.
Et elle m'a regardé, les yeux noyés de fatigue:
Tu ne porteras pas sa mémoire. Tu n'as rien à voir avec lui. Rien.
Mais je ne savais plus quoi faire de cette vérité. D'un côté, je la haïssais. De l'autre, je la comprenais. Elle m'a protégé. Mais elle m'a aussi volé quelque chose.
Mais je ne savais plus quoi faire de cette vérité. D'un côté, je la haïssais. De l'autre, je la comprenais. Elle m'a protégé. Mais elle m'a aussi volé quelque chose.
Mon histoire.
Mes racines.
Ma langue.
Pendant des semaines, j'ai erré dans un brouillard. Je regardais les gens dans la rue en me demandant:
Et si l'un d'eux savait qui j'étais vraiment ?
Puis j'ai compris. Ce que j'avais oublié, ce que j'avais effacé, ce n'était pas seulement le passé.
Puis j'ai compris. Ce que j'avais oublié, ce que j'avais effacé, ce n'était pas seulement le passé.
C'était la douleur des autres.
Tous ces morts. Toutes ces familles détruites. Et moi, je vis. Je porte son sang. Mais je ne suis pas lui.
Aujourd'hui, j'ai 18 ans. L'âge où l'on demande des papiers. Des origines. Des vérités. Et moi, j'arrive les poches vides, avec une histoire brûlée.
On dit que l'oubli protège. Mais l'oubli enferme aussi. Je ne suis ni le monstre qu'était mon père, ni l'ombre que ma mère a voulu que je devienne. Je suis l'éclat d'un souvenir qu'on a voulu étouffer, la fille d'une femme courageuse qui a brisé le silence pour sauver une vie: la mienne.
Ce texte est mon passeport. Il ne porte ni tampon ni photo, mais il raconte ce que j'ai décidé de ne plus cacher. Je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié.
Mais aujourd'hui, je choisis d'écrire où je vais. Et ça personne ne pourra me l'effacer.