Karine,Valérie et Lydie.
Nous étions le trio gagnant.
Déjà à l'école quand nous jouions au hand nous étions connectées.
Dans le jeu et dans la vie, inséparables, un peu jalouses parfois pour les garçons mais vite réconciliées.
Nos voyages en Ecosse, à la Réunion, en Allemagne...
Nos soirées organisées avec le club où il y avait une ambiance folle.
Tous ces souvenirs nous reviennent maintenant à Lydie et à moi en regardant Karine dans son fauteuil. Ses jambes maigres moulées dans un jogging informe contrastent avec son sourire invincible.
Alors, c'est décidé. Lydie et moi(Valérie) allons faire quelque-chose d'extraordinaire avec elle.
Pour nous retrouver toutes les trois.
Certainement pas traverser la Manche. Quoi alors ?
Le hand en fauteuil ? Ce serait bien mais nous ne serions pas avec elle.
En regardant la télé deux jours plus tard avec mon chéri , nous découvrons un reportage sur la Diagonale des fous à l'ile de la Réunion.
Un peu long pour moi. Mais ça me donne une idée.
Si on faisait une course toutes les trois ? Soudées comme dans les matchs. Juste se regarder et tenir.
C'est un défi. Mon paresseux , je le mets au travail. Il nous faut un fauteuil ultra performant.
Lui qui dessine des plans pour l'aéronautique toute l'année et qui soude n'importe quoi le reste du temps je sais qu'il va le faire !
Après, il faut convaincre Lydie, et surtout Karine.
Puis trouver la course.
C'est Karine qui dit oui la première. Lydie est plus hésitante. Un comble pour moi, si bien que je l'engueule légèrement.
De toute façon, la course je l'ai déjà trouvée. Un petit trail en Bretagne.
Ce n'est pas le bout du monde. Pas la pointe du Raz. Juste un 15 km.
Allez, je nous inscris.
Ensuite, il faut s'entrainer. Deux mois minimum. Les bois, les côtes... On teste le fauteuil.
Il a l'air incassable. Karine rosit de plaisir dès qu'on se retrouve.
Nous, notre cœur bat plus fort à chaque sortie. Nous sommes des championnes. Pleines de courbatures. Tout le monde nous sourit. Mais la pluie ne nous rate pas non plus. Préparation. Affûtage. Petites soirées sans les mecs. Ça les arrange. Karine aussi. Elle est célib.
Et nous voilà début mai.
Le trail c'est le 22.
Je commence à avoir un peu peur. C'est moi qui ai organisé tout ça.
J'ai réservé le gîte avec accès fauteuil.
On me prête un fourgon avec rampe aménagée. Merci les ambulanciers !
Dernière nuit avant le départ.
Je me rappelle avant l'accident. Les sanglots soudain m'étouffent. ça ne sert à rien de regarder dans le rétro sinon on avance pas disait mon grand père quand il conduisait son pimpant tôlé Citroën.
Je ne dors pas beaucoup cette dernière nuit avant la course. Karine me fixe avec confiance et douceur.
Lydie ronfle déjà.
Le lendemain. 8H40 sur la ligne de départ.
Plein de mecs musclés habillés de tenues conséquentes et portant des chaussures qui doivent courir toutes seules vu le prix qu'ils évoquent pour leur achat.
Quelques filles silencieuses.
Des regards interrogateurs qui se posent sur nous.
« -Un fauteuil dans un trail ? » entends-je derrière moi.
PAN ! Départ.
Tout le monde disparaît devant nous. Il y a de la boue, des cailloux, des pentes abruptes.
Deux coureurs balai qui derrière nous désespèrent de notre allure.
« -A quelle heure on va rentrer ?
Y'avait pas une autre épreuve handi plus adaptée ?»
Je serre les dents. Lydie commence à râler. Je lui jette un vieux regard.
Karine est aux anges. Mais... là il y a un mur !
Il va falloir fournir un effort terrible. A peine au quart de la montée nous commençons à nous écrouler. Les deux coureurs balai se reculent. Pas le droit d'aider.
Alors Karine se met à chanter. Un vieux truc de rock qu'on entonnait en compèt.
Ça marche ! On arrive au sommet avec la langue qui touche par terre.
Maintenant ça descend. Il faut retenir le fauteuil. Presque aussi crevant.
Et là, au bout, mauvaise surprise : Une clôture à franchir. On va faire comment ?
Un peu plus loin une vache s'avance lentement et nous montre comment contourner l'obstacle.
Merci à elle. On continue. Le rythme est là.
Le fauteuil est nickel et absorbe les chocs avec facilité. Quand c'est trop bien ça ne dure pas.
Une descente surprise dans un virage rocailleux.
L'engin nous échappe des mains.
Oh Non ! Karine !
Mon cœur s'arrête. Le fauteuil prend une course folle et nous demeurons là impuissantes.
C'est de ma faute. J'ai tué ma copine. En bas, la rivière.
Le fauteuil bascule. Karine tombe la tête la première dans l'eau glacée.
Nous courons comme des folles vers elle. Elle nous semble si loin. Tout à coup une ombre nous double à toute vitesse. La silhouette élancée d'un athlète se penche avec facilité vers notre amie qu'il relève sans effort. Nous arrivons enfin essoufflées tandis qu'il l'examine avec calme alors qu'elle tousse comme une damnée.
- Vous respirez bien. ça va . Courage. Il faut continuer.
Et le gars repart à toute vitesse. Nous voyons juste son vêtement orange fluo et noir disparaître entre les arbres.
Karine ! Karine ! Karine !
Nous pleurons toutes les trois.
Les yeux bleus volontaires de notre copine encore mouillés de l'eau de la rivière et des larmes de l'impuissance nous intiment l'ordre de repartir.
On la change avec ce qu'il y a dans nos sacs à dos. Les deux coureurs balai un peu honteux de ne pas être intervenus se détournent pudiquement.
Je leur demande « - D'où sortait-il celui-là ? Je croyais que nous étions les dernières ?»
Ils m'expliquent avec dédain et pitié que c'est un coureur de l'ultra trail, parti à l'aurore et ayant déjà parcouru une distance incroyable au moment où il a sauvé Karine.
On continue. Nous aurons droit à tout.
A un bouc enragé, à un talus qui s'écroule, à un panneau qu'une main malveillante a retourné , ce qui n'échappe pas à la vigilance de nos accompagnateurs qui nous remettent dans le droit chemin.
Après ce sera la pluie. Plus de petits ennuis intimes. Plus des crampes. Du découragement. Mais Karine chante toujours. Parfois à tue-tête.
Au sortir de la forêt, une vallée...
Le bourdonnement lointain de la ville. Encore une rivière à traverser. L'eau n'est pas haute, heureusement.
Puis les pavés, la route.La foule qui crie et nous acclame avec bonheur.
La douche bienvenue où nous rions comme des folles car l'eau est juste tiède et nous devons cramponner Karine car rien n'est aménagé pour elle. Remise des récompenses. Tous les cadors défilent. Et puis le speaker se casse un peu la voix en nous appelant.
On a une médaille !
Explosion de joie. Bien sûr, après il y a le pot de l'amitié. Là, on se lâche vraiment.
Une ombre connue se penche vers nous.
Un grand brun en survêt qui vient de sortir de la douche où l'eau doit maintenant être définitivement gelée.
« - Je suis un peu jaloux fait-il. Je n'ai pas eu de médaille moi !
Des yeux verts qui croisent le regard émerveillé de Karine face à son sauveur de tout à l'heure.
J'ai la nette impression que nous reviendrons courir ici l'année prochaine et qu'il y en a deux qui se connaitront bien mieux d'ici là.
Alors, vive le sport et l'amour et l'amitié aussi.
Nous étions le trio gagnant.
Déjà à l'école quand nous jouions au hand nous étions connectées.
Dans le jeu et dans la vie, inséparables, un peu jalouses parfois pour les garçons mais vite réconciliées.
Nos voyages en Ecosse, à la Réunion, en Allemagne...
Nos soirées organisées avec le club où il y avait une ambiance folle.
Tous ces souvenirs nous reviennent maintenant à Lydie et à moi en regardant Karine dans son fauteuil. Ses jambes maigres moulées dans un jogging informe contrastent avec son sourire invincible.
Alors, c'est décidé. Lydie et moi(Valérie) allons faire quelque-chose d'extraordinaire avec elle.
Pour nous retrouver toutes les trois.
Certainement pas traverser la Manche. Quoi alors ?
Le hand en fauteuil ? Ce serait bien mais nous ne serions pas avec elle.
En regardant la télé deux jours plus tard avec mon chéri , nous découvrons un reportage sur la Diagonale des fous à l'ile de la Réunion.
Un peu long pour moi. Mais ça me donne une idée.
Si on faisait une course toutes les trois ? Soudées comme dans les matchs. Juste se regarder et tenir.
C'est un défi. Mon paresseux , je le mets au travail. Il nous faut un fauteuil ultra performant.
Lui qui dessine des plans pour l'aéronautique toute l'année et qui soude n'importe quoi le reste du temps je sais qu'il va le faire !
Après, il faut convaincre Lydie, et surtout Karine.
Puis trouver la course.
C'est Karine qui dit oui la première. Lydie est plus hésitante. Un comble pour moi, si bien que je l'engueule légèrement.
De toute façon, la course je l'ai déjà trouvée. Un petit trail en Bretagne.
Ce n'est pas le bout du monde. Pas la pointe du Raz. Juste un 15 km.
Allez, je nous inscris.
Ensuite, il faut s'entrainer. Deux mois minimum. Les bois, les côtes... On teste le fauteuil.
Il a l'air incassable. Karine rosit de plaisir dès qu'on se retrouve.
Nous, notre cœur bat plus fort à chaque sortie. Nous sommes des championnes. Pleines de courbatures. Tout le monde nous sourit. Mais la pluie ne nous rate pas non plus. Préparation. Affûtage. Petites soirées sans les mecs. Ça les arrange. Karine aussi. Elle est célib.
Et nous voilà début mai.
Le trail c'est le 22.
Je commence à avoir un peu peur. C'est moi qui ai organisé tout ça.
J'ai réservé le gîte avec accès fauteuil.
On me prête un fourgon avec rampe aménagée. Merci les ambulanciers !
Dernière nuit avant le départ.
Je me rappelle avant l'accident. Les sanglots soudain m'étouffent. ça ne sert à rien de regarder dans le rétro sinon on avance pas disait mon grand père quand il conduisait son pimpant tôlé Citroën.
Je ne dors pas beaucoup cette dernière nuit avant la course. Karine me fixe avec confiance et douceur.
Lydie ronfle déjà.
Le lendemain. 8H40 sur la ligne de départ.
Plein de mecs musclés habillés de tenues conséquentes et portant des chaussures qui doivent courir toutes seules vu le prix qu'ils évoquent pour leur achat.
Quelques filles silencieuses.
Des regards interrogateurs qui se posent sur nous.
« -Un fauteuil dans un trail ? » entends-je derrière moi.
PAN ! Départ.
Tout le monde disparaît devant nous. Il y a de la boue, des cailloux, des pentes abruptes.
Deux coureurs balai qui derrière nous désespèrent de notre allure.
« -A quelle heure on va rentrer ?
Y'avait pas une autre épreuve handi plus adaptée ?»
Je serre les dents. Lydie commence à râler. Je lui jette un vieux regard.
Karine est aux anges. Mais... là il y a un mur !
Il va falloir fournir un effort terrible. A peine au quart de la montée nous commençons à nous écrouler. Les deux coureurs balai se reculent. Pas le droit d'aider.
Alors Karine se met à chanter. Un vieux truc de rock qu'on entonnait en compèt.
Ça marche ! On arrive au sommet avec la langue qui touche par terre.
Maintenant ça descend. Il faut retenir le fauteuil. Presque aussi crevant.
Et là, au bout, mauvaise surprise : Une clôture à franchir. On va faire comment ?
Un peu plus loin une vache s'avance lentement et nous montre comment contourner l'obstacle.
Merci à elle. On continue. Le rythme est là.
Le fauteuil est nickel et absorbe les chocs avec facilité. Quand c'est trop bien ça ne dure pas.
Une descente surprise dans un virage rocailleux.
L'engin nous échappe des mains.
Oh Non ! Karine !
Mon cœur s'arrête. Le fauteuil prend une course folle et nous demeurons là impuissantes.
C'est de ma faute. J'ai tué ma copine. En bas, la rivière.
Le fauteuil bascule. Karine tombe la tête la première dans l'eau glacée.
Nous courons comme des folles vers elle. Elle nous semble si loin. Tout à coup une ombre nous double à toute vitesse. La silhouette élancée d'un athlète se penche avec facilité vers notre amie qu'il relève sans effort. Nous arrivons enfin essoufflées tandis qu'il l'examine avec calme alors qu'elle tousse comme une damnée.
- Vous respirez bien. ça va . Courage. Il faut continuer.
Et le gars repart à toute vitesse. Nous voyons juste son vêtement orange fluo et noir disparaître entre les arbres.
Karine ! Karine ! Karine !
Nous pleurons toutes les trois.
Les yeux bleus volontaires de notre copine encore mouillés de l'eau de la rivière et des larmes de l'impuissance nous intiment l'ordre de repartir.
On la change avec ce qu'il y a dans nos sacs à dos. Les deux coureurs balai un peu honteux de ne pas être intervenus se détournent pudiquement.
Je leur demande « - D'où sortait-il celui-là ? Je croyais que nous étions les dernières ?»
Ils m'expliquent avec dédain et pitié que c'est un coureur de l'ultra trail, parti à l'aurore et ayant déjà parcouru une distance incroyable au moment où il a sauvé Karine.
On continue. Nous aurons droit à tout.
A un bouc enragé, à un talus qui s'écroule, à un panneau qu'une main malveillante a retourné , ce qui n'échappe pas à la vigilance de nos accompagnateurs qui nous remettent dans le droit chemin.
Après ce sera la pluie. Plus de petits ennuis intimes. Plus des crampes. Du découragement. Mais Karine chante toujours. Parfois à tue-tête.
Au sortir de la forêt, une vallée...
Le bourdonnement lointain de la ville. Encore une rivière à traverser. L'eau n'est pas haute, heureusement.
Puis les pavés, la route.La foule qui crie et nous acclame avec bonheur.
La douche bienvenue où nous rions comme des folles car l'eau est juste tiède et nous devons cramponner Karine car rien n'est aménagé pour elle. Remise des récompenses. Tous les cadors défilent. Et puis le speaker se casse un peu la voix en nous appelant.
On a une médaille !
Explosion de joie. Bien sûr, après il y a le pot de l'amitié. Là, on se lâche vraiment.
Une ombre connue se penche vers nous.
Un grand brun en survêt qui vient de sortir de la douche où l'eau doit maintenant être définitivement gelée.
« - Je suis un peu jaloux fait-il. Je n'ai pas eu de médaille moi !
Des yeux verts qui croisent le regard émerveillé de Karine face à son sauveur de tout à l'heure.
J'ai la nette impression que nous reviendrons courir ici l'année prochaine et qu'il y en a deux qui se connaitront bien mieux d'ici là.
Alors, vive le sport et l'amour et l'amitié aussi.