Mebi : le conflit originel

Toute histoire commence un jour, quelque part. La sienne, comme il aimait le dire était déjà à son terme à la minute de sa naissance. Comme tous les jours, Macky ABE rentre chez lui au petit matin. Cette fois il est en compagnie de Gaëlle, une de ses employés avec qui il entretient une relation depuis peu. Dans la voiture, une discussion s’engage.
Macky : Tu penses que ça peut fonctionner ?
Gaëlle : De quoi tu parles bebe ? J’suis keff
Macky : Sérieusement, je parle de toi et moi. On s’est connu dans un climat de fête, on a travaillé avec beaucoup de légèreté et d’envie et maintenant on s’aime avec une relative insouciance.
Gaëlle : Où veux-tu en venir ? Tu me fais peur...
Macky : Ça devient sérieux, et je me pose des questions, notre style de vie...les risques...le futur.
Gaëlle : Tu m’as dit que c’était toute ta vie, tu peux abandonner ? Pour faire quoi ? Je t’aime bebe et tu es le premier homme qui me met autant à l’aise. S’il te plait on pourrait en parler plus tard à la maison.


Du berceau au trottoir
Macky ABE était un enfant abandonné à l’heure de ses premiers cris par sa mère près d’une poubelle publique dans la ville de Mebi. En plein début des années 1980, une époque où l’abandon d’enfant sur la voie publique était un acte qu’on attribuait aux prostituées. Ces dernières n’ayant pas l’habitude d’utiliser des contraceptifs laissaient alors ces êtres innocents, produits de leur sale besogne à la vue de tous. L'acte en lui-même était considéré comme normal pour les populations, qui préféraient ce spectacle aux multiples femmes mortes suite à des avortements.
Une trentaine d’année après, entre la livraison de marchandises et la surveillance des rues la nuit, Macky ne s’accordait que la journée du dimanche pour voir Catherine. Ses journées n’avaient pas de fin. En matinée il se déployait dans les quartiers les plus crispés de Mebi afin de recueillir les productions de chanvre indien. Cette drogue, on peut le dire, est littéralement indissociable du monde de la nuit à Mebi. La nuit venue, le voici déambulant, afin de surveiller et protéger ses plus de 25 filles déployés dans les « rues de joies » de Mebi. La rue principale était plutôt longue, elle reliait deux grands carrefours de la ville. Sur les trottoirs, l'odeur des grillades de bœufs et de poulets côtoyait les bars distants d'à peine quelques mètres les uns des autres et qui ne fermait pour ainsi dire jamais. On y trouvait aussi une forte concentration de salles de jeux et de machines à sous. Entre les bars et salles de jeux on trouvait des allées sombres, le plus souvent éclairées par des simples ampoules rouges. Ces ampoules étaient un signe de sécurité pour le proxénète afin de vérifier la position des filles mais étaient aussi devenu au fil du temps l’indice qui indiquait aux clients la présence de filles. Il était plutôt ravi de ce style de vie, les années d’expérience ajoutées à la relative impunité avait fait de lui un adule financièrement productif. La vie avait fait de lui un homme de cœur. Malgré le non-respect de la loi, il n'était pas un criminel et aidait Catherine ainsi que ses enfants.
Catherine est sa mère adoptive. Enseignante à la retraite, veuve depuis peu et avec trois autres enfants .Elle a donné à Macky le minimum pour qu’il ne meurt pas de faim, le minimum pour qu’il sache lire ; c’est à dire une instruction jusqu’à la fin des études primaires. Malgré le fait que Macky est eu une scolarité courte et qu’il ait coupé tôt avec certains privilèges, le jeune resta fortement lié à Catherine. Celle qu’il appelait affectueusement « my only wife » occupait une place importante de sa vie. Elle savait ce qu’il faisait dans la vie, et malgré son désaccord au début l’idée était déjà bien intégré et accepté. Elle était au courant de la présence chez son fils d’une fille depuis un certains. Catherine voulait tout ce qu’il y’a de plus normal pour lui. Il avait déjà vécu une vie loin des standards.

Le complexe de l’abandon

« Toutes ces maladies proviennent de ce que ces personnes ont réussi à tellement refouler certains souvenirs et représentations fortement investies d’affect, ainsi que les désirs édifiés sur ceux-ci, que le tout ne joue plus aucun rôle dans leur pensée... C’est de ce matériel psychique refoulé, de ces “complexes”, que proviennent les symptômes somatiques et psychiques qui tourmentent les malades, tout à fait à la manière d’une mauvaise conscience » (p. 51). On remarque la double représentance affective et représentative, du « complexe » qui entre en lutte avec ce qui s’appellera plus tard le surmoi. Le « complexe » porte en lui le conflit.
S. Freud (1906), La psychanalyse et l’établissement des faits en matière judiciaire, Essais de psychanalyse appliquée, trad. M. Bonaparte et E. Marty, Gallimard, 1971.

A 6 ans il apprenait que sa mère était une prostituée qui l’avait abandonnée dans une poubelle. A 15 ans, Macky vivait ses premiers émois dans la célèbre rue « du poulet » à Mebi. Ayant appris la maçonnerie depuis l’abandon de ses études, le jeune Macky se frotta très tôt avec le milieu de la nuit. C’est ainsi que pris d’amour pour ses lumières et pour ses belles femmes dans lesquelles il jetait une bonne partie de ses revenus, Macky arrêta tout pour monter son réseau de proxénétisme. Ce ne fut pas un chemin facile, mais grâce à sa connaissance de la ville et de ses sirènes nocturnes, il eut un succès facile.
Gaëlle : Boss, pourquoi es-tu là tous les soirs ? T’as pas de repos ? Y’a pourtant Buffon qui te seconde dans presque tous.
Macky : Tu sais...le milieu de la nuit est très dangereux et surtout pour vous. Je ne veux perdre aucune de vous.
Gaëlle : Non...mais ça va... nous sommes pas des bébés au laid non plus.
Macky : Beaucoup de personnes viennent parce qu’ils sont dans des situations difficiles. Le travail, leur couple...ça se passe souvent bien mais quelques fois certains croient que vous êtes des objets et vont très loin.
Gaëlle : Ah ! J’ai eu peur j’ai cru que tu disais qu’ils abusent de nous. Abuser d’une putain c’est un peu con...
Macky : c’est con mais cela arrive très souvent tu peux me croire. Je te remarque depuis peu, qu’est ce qui t’emmène parmi nous ?
Gaëlle : Disons que c’est l’argent...Quand t’as pas d’autre choix... Et disons que quand il s’agit de relation avec un homme je la vois mal à cause de mon manque d’éducation...je ne me vois pas à la maison...Et toi ? Comment es-tu devenu le roi de la nuit à Mebi ?
Macky : Je ne sais pas si on peut parler de vocation en ce qui me concerne. Cela s’est fait tellement naturellement que je ne saurais t’expliquer les débuts. Je fréquentais une fille de cette rue qui se nommait Rebecca. Ma régularité, et son ouverture d’esprit l’avaient poussé à s’ouvrir à moi. Elle en avait marre du traitement et des abus de son bailleur de place...Nous sommes ainsi devenu amis et collaborateurs. Elle fut ma première fille.
Gaëlle : Rien de plus entre vous, t’es sure ? On dirait que tu l’as aimé...
Macky : C’est vrai que quand elle était là, y’a qu’avec elle j’entretenais des rapports. Mais je la payais quand même... vas pas t’imaginer des choses ma p’tite.
Gaëlle : Je ne m’imagine rien, je constate. Où est-elle maintenant ?
Macky : Mariée à un grand homme d’affaire et politicien de la place. Elle avait ce que l’on peut appeler une bonne étoile.
Gaëlle : waouh !!! J’aimerais bien me marier aussi un jour. Ca serais cool des enfants, une maison...
Macky : Rebecca aimait me dire que de toutes les femmes celles qui avait pratiqué ce métier étaient les plus fidèles. De plus sachant faire leur travail, de nos jours la profusion des MST n’est pas de leur ressort.
Gaëlle : Nous sommes de sacrés bonnes garces ! Mais toutes n’ont pas la même chance...
Macky : Hélas ! Mais tu l’auras toi, j’en suis persuadé...


Le redressement dépend de l’inclinaison
La relation entre Catherine et Macky ne pouvait pas être décrite comme une relation mère-fils. Ils entretenaient des rapports que l’on pouvait confondre entre relation fraternelle ou amicale. Macky étant très souvent le point tampon entre Catherine et ses enfants. Elle était une sorte de grande sœur, il l’a d’ailleurs toujours appelé Catherine et non maman comme l’indiquait son acte de naissance. Son statut lui octroyait toute fois un droit de regard sur les décisions prises par Macky ABE. A ce titre elle voulait la rencontrer la demoiselle qui habitait avec son fils. C’est comme cela qu’un dimanche, Macky lui rendit enfin visite avec Gaëlle. Catherine avait concocté un menu des grands jours. Après, les habituelles commodités, ils passèrent à table. L’occasion pour l’hôte de cuisiner ses invités du jour.
Catherine : Gaëlle est si belle, dis ma fille d’où viens-tu ?
Gaëlle : Je suis originaire de la région du LOBLOBO.
Catherine : Tu t’exprimes pourtant très bien en français...
Macky : Gaëlle s’est installé à Mebi très jeune, donc elle est parfaitement bilingue.
Catherine : D’accord monsieur l’avocat ! Espérons qu’il en soit ainsi pour toujours. Préparez-vous quelque chose d’ici peu ?
Macky : Je vois très bien où tu veux en venir. Et il n’est pas encore question de tout cela. Gaëlle ne peut pas arrêter le travail pour le moment.
Gaëlle : Et pourquoi ?
Macky : Baah...je n’en ai pas envie que tu arrêtes.
Un malaise s’installa dans la pièce. Catherine le sentit et tenta tout de même de poursuivre le repas comme si de rien n'était. Le mécontentement de Gaëlle s’est lu sur son front durant toute la soirée. Pendant le retour, le dialogue était rare, inexistant, l’ambiance tendue. Eux qui vivaient une romance aussi idyllique qu’atypique, redescendaient pour la première fois des nuages. Arrivés à la maison, une dispute éclata entre Macky et Gaëlle. Gaëlle très remontée lui demande des explications sur ces propos lors du diner.
Gaëlle : Pas plus loin qu’hier, tu insinuais que c’était du sérieux entre nous et là tu me lâche en pleine figure, que tu veux me voir faire la putain toute la vie...
Macky : Mais c’est du sérieux, je le pense vraiment, je t’aime...
Gaëlle : Assez pour vouloir me voir dehors tous les soirs, et après, quand mon corps ne me le permettra plus, tu iras chercher une autre pétasse. C’est ça ? Réponds-moi...
Macky : Je ne vois pas l’incohérence entre les deux, de plus pourquoi me parles-tu de la vieillesse. Essayons déjà de construire un présent qui nous aille.
Gaëlle : T’es un gros con, le plus grand de tous ceux que tu me décrivais.
C’est ainsi qu’ils se couchèrent chacun de son côté. Macky ne réalisait pas le poids de ces mots. En croyant être vrai, il avait blessé l’amour de sa vie, en croyant être juste il venait peut être de détruire deux vies.
Au petit, matin, Macky se levant remarqua qu’il était seul sur le lit, il fit un tour à la cuisine puis à la douche et ne vit personne. Il refusait de croire en ce qui était en train de lui arriver. Sur la table du salon, un seul petit mot l’attendait : « Mon espoir était en toi, je ne m’en tire qu’avec une grosse désillusion. ADIEU. »
Macky, confus, s’empressa de prendre les clés de sa voiture pour essayer de la retrouver. Il la chercha chez toutes ses amies, aucunes nouvelles. Le regret et le chagrin s’accaparait de ses yeux, il était déjà 17heures et toujours aucune nouvelle. Seule bonne nouvelle sa ligne téléphonique passait toujours mais elle ne répondait à aucun. « Reviens ma chérie, on était si bien, pourquoi, on peut s’aider » laissait en boucle Macky sur le répondeur de Gaëlle.