Maybe blues

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Il existe des périodes où tout est compliqué, laborieux. Des séquences de vie brouillées où tout vous échappe, s'effrite, s'étiole, se désagrège. Des moments peu appréciables où un sentiment de lose s'invite chez vous et donne l'impression de vouloir s'installer définitivement.
Vous soufflez alors de mécontentement pour exprimer votre agacement, vous soufflez au réveil, dans les bouchons, au travail, en faisant la queue à la boulangerie... Vous soufflez pour évacuer la pression, pour faire sortir quelque chose. Vous vous plaignez et vous vous regardez le nombril.
Et moi je suis comme vous.
Le quotidien devient un grand foutoir obscur et hostile, telle une armée d'habitudes désordonnées marchant sur une musique désaccordée. En se levant, on se tape bien sûr le pied dans un meuble et on insulte le meuble ainsi que l'intégralité du peuple suédois. Par la suite, chaque geste devient lourd, ennuyeux, répétitif. Il y a des jours comme ça où l'insurmontable veut être ton meilleur pote. Parce que tu te sens inutile et un peu vide.
Suite à ta brillante réussite à un concours de circonstances, tu te retrouves chez ton amie Cécile qui t'a invité à un apéro pour te remonter le moral : « Parce que je serai toujours là pour toi, tu le sais, hein ? » Tu prends alors le temps de boire une bière blonde, de manger des chips blondes et de fumer une clope blonde, histoire de te dire qu'il y a un peu de logique réconfortante dans tout ce merdier. Tu expliques alors dans le détail que tu vois noir, que tu vis noir et que noir est ton destin. Ton amie rigole et s'amuse à rapper sur C'est ton destin en entrant dans la peau de Cécile du Flow, mais toi, tu n'as pas envie de déconner, cette fois-ci.
Tu expliques que tu n'arrives plus à écrire, que cela te rend malade et que tu as même essayé dans un moment d'égarement de taper un texte avec les poings pour finalement te rendre compte que le résultat à l'écran – kjsfhgmjkamgfjhqmfjlgmqljqofgqdfoh – ressemblait à un nom de volcan islandais. Tu t'aperçois que tu ne parles que de toi, que tu n'es textuellement pas très actif et que ton amie est assise à côté de toi sur un canapé dans une ambiance tamisée avec un album de Sigur Rós en musique de fond.
Quelque chose se passe. Sans trop réfléchir, tu lui dis à la manière d'André Breton que tu as cessé de te désirer ailleurs, que tu trouves la formule particulièrement belle, comme la personne à tes côtés depuis quelques années déjà. Tu comprends à cet instant que le coup de foudre, c'est un peu des conneries pour les attardés de l'amour, et qu'en réalité tu avais sous les yeux le remède à ton mal, mais que tu étais trop con pour t'en apercevoir.
Tu essaies comme tu peux de retrouver tes esprits et de construire une déclaration improvisée parce que d'un coup cela te déchire le ventre. Tu lui racontes tant bien que mal que tu pourrais lui offrir pas mal de fous rires mais probablement pas de fourrures, et, en disant cela, tu te dis que tes jeux de mots sont à la hauteur de ton moral. Tu essaies de lui expliquer qu'aujourd'hui tu te sens comme dans des WC publics quand tu n'oses pas regarder ton voisin d'urinoir afin de ne pas te sentir dévalorisé dans ce concours inavoué de taille et de puissance de jet. Et puis tu regrettes d'avoir choisi cet exemple à ce moment-là.
Malgré tout, elle te sourit de manière très affectueuse, en basculant légèrement la tête et en se mordant la lèvre inférieure. Tu sembles enfin apercevoir le bout du tunnel et deviner comme un halo lumineux autour de son visage, si délicat, si proche, si doux.
Tu l'embrasses alors pour la première fois – en oubliant volontairement la soirée déguisée de l'année dernière où, après un pari alcoolisé, elle avait fourré sa langue dans ta bouche pour récupérer une olive verte... Là, tu l'embrasses pour de vrai et tu prends conscience que tes yeux sont fermés. Tu comprends que c'est agréable, parfois, de fermer les yeux sur certaines choses.
Tu découvres que ce baiser à un bon goût de chips et de cacahuètes, qu'un apéro peut ouvrir l'appétit, que tu avais faim depuis longtemps et que cela te bouffait de l'intérieur.
Et tu découvres aussi que tout devient plus simple en regardant le nombril de quelqu'un d'autre.

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