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« Ready... Go ! »
Finale des championnats du monde. Au signal de l'arbitre, Franek s'accorde une seconde pour jauger son rival du jour une dernière fois. Il ne lui en faut pas plus. Un instant volé à l'intensité du combat qui lui donne une longueur d'avance à chaque rencontre. Une image furtive l'alerte sans qu'il puisse s'y attarder. Un silence ouaté règne dans le vieux gymnase où les fuites rivalisent avec l'éclairage défectueux, les haut-parleurs sont éteints, la sono coupée. El Franco, surnom insipide qu'un journaliste de L'Équipe lui a collé, est invaincu depuis une décennie. Il domine la discipline de la tête et des épaules, laminant ses concurrents avec une application clinique. L'adversaire répond au doux nom de Boro, diminutif de Borowski. Un Polonais de dix ans son cadet. Comme tous les autres, il rêve de détrôner El Franco. Comme tous les autres, il va se casser les dents sur la légende du bras de fer. Plus tôt dans la semaine, le champion a écarté un bodybuilder canadien et un bûcheron islandais. Franek entend encore ne laisser que des miettes à la concurrence.
Précurseur obstiné de son sport, le gamin de l'assistance publique a ouvert la voie en France. Franek a déchiqueté les préjugés en commençant à concasser des bras, s'est débarrassé des mauvaises herbes, ses relations polluantes, a colmaté les plaies béantes qui obstruaient son chemin. Sautant un par un les obstacles, il a fini par accumuler les tournois, les victoires et les chèques. Un supplément d'âme, affirment ceux qui ne savent pas. Bien plus que ça. Ses adversaires l'ignorent mais tout se joue dans la première seconde. Le poids du regard, un ultime relâchement du poignet, une imperceptible hésitation qui se transmet à l'autre, crispé, tendu vers l'objectif de le détrôner, délesté de l'influx nerveux qui lui aurait été précieux en fin de partie. Une technique éprouvée à l'orphelinat où l'a mené le chaos de son début de vie. Une mère morte à l'accouchement d'une hémorragie fulgurante et un père reparti au pays. Une histoire comme il y en a tant. Un jour, un vague cousin lui a confié une série de photos de son paternel le représentant en plein bras de fer. Les clichés ne le quittent plus.
Boro jette sa fougue dans la bataille. Tout en contrôle, El Franco laisse venir, consent à lâcher du mou. Il a envie de s'amuser avec l'aspirant bourré de testostérone. Le silence a changé de visage, une rumeur sourde accompagne le combat. La salle est prête à chavirer à son dixième titre mondial, tout en espérant en secret un exploit du jeune loup. La grappe de journalistes présents s'accroche à l'illusoire défaite. À l'affût du combat de trop, ils rêvent tous de magnifier la passation de pouvoir. Qu'ils continuent à fantasmer, ce ne sera pas pour aujourd'hui, songe Franek. La pression se fait plus forte, l'autre se cambre, croyant à l'avantage. Une goutte de sueur glisse le long de sa joue droite. El Franco se contente de contrer les tentatives de Boro. Ajuste sa position, s'agrippe plus fermement à la poignée, se redresse un peu. C'est à ce moment-là qu'il le voit. Au deuxième rang dans les gradins. Un supporter discret serrant un bout de tissu sale et usé. Un drapeau tricolore. Pas de doute possible, c'est lui. Le crâne dégarni, les tempes grises, des kilos supplémentaires. Adam, son père. Il lit sur ses lèvres le murmure de son prénom puis l'aperçoit brandir son fanion. Des couleurs à sa gloire. Le rouge, le blanc. À moins que ? Il ne distingue pas le bleu.
Il s'est écoulé cinq secondes, assez pour déstabiliser El Franco, trop peu pour l'empêcher de se ressaisir. En face, Boro semble galvanisé, au paroxysme de l'effort. Franek l'a trop mis en confiance, il se doit de rectifier le tir s'il veut conserver l'ascendant. Alors il décide d'enclencher son mouvement fétiche dont aucun adversaire n'a trouvé la parade jusque-là, amorcé par une respiration forte et bruyante suivie d'un regard brûlant à l'adversaire. Tu es cuit mon coco. Comme tous les autres avant lui, Boro fuit les yeux fous d'El Franco. Soudain Franek saisit ce qui l'a dérangé à l'entame du combat. Un point minuscule à la base du cou de Borowski.
Le drapeau polonais s'agite.
Franek sent sa carrière déraper. Impossible. Bon Dieu, reprends-toi, se harangue-t-il en silence. Dans un ultime sursaut, les chances de réussir son mouvement fétiche envolées, il modifie son plan. Désormais arcbouté sur la planche matelassée, cramponné comme jamais, les pieds vissés au sol antidérapant, il propulse le poids de son corps en un crochet dont il a le secret. L'autre résiste. C'est qu'il sourit, même, l'insolent ! Franek ne voit plus qu'elle. La tache de naissance. En tous points identique à la sienne.
Et si le moment était venu ? Franek se rassoit lourdement. La salle se lève comme un seul homme.
Après tout, le trophée restera dans la famille.
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Pourquoi on a aimé ?
Arriver à tenir le lecteur en haleine en racontant un combat de bras de fer, franchement, chapeau ! C’est dire si « Mano a mano » est bien
Pourquoi on a aimé ?
Arriver à tenir le lecteur en haleine en racontant un combat de bras de fer, franchement, chapeau ! C’est dire si « Mano a mano » est bien