Battantes, le sujet m’a vraiment dérangé.
Les femmes battantes ne manquent pas, sœurs d’empereurs pervers, martyres jetées aux lions, originales rôties, résistantes, amoureuses tondues, suffragettes, gamines simplement désireuses de s’assoir sur un banc d’école, cheffes étoilées et sous-officiers, passionarias politiques, petites bonnes-femmes du quotidien, compagnes de primates et j’en passe. Je me suis mis à lire l’Equipe, à regarder Bein Sport, elles étaient notablement là aussi, les battantes.
Rien à faire, la sensation de gêne perdurait. Pas de résonnance, pas d’intuition, des sujets potentiels à foison, des idées, mais le cœur tiède. Je respecte les femmes, applaudis aux avancées sur l’embastillement des malotrus, aux parités professionnelles et institutionnelles. Les différences de traitement et les abus de pouvoir m’indignent. Dans la carrière, J’ai été placé sous l’autorité de femmes plus que méritantes. Alors quoi, toujours pas de palpitation, d’élan sincère. Le flop.
Les stéréotypes mentaux ont la peau dure. Je suis un mammouth laineux, l’idée d’offrir à ma fille des soldats en plastique ou un mécano, de l’inscrire au rugby, ne m’a jamais seulement effleuré l’esprit. Battante n’est pas un mot qui germe spontanément dans ma cervelle d’homme quand je pense aux femmes. Désespérant constat.
Et pourtant...
A la fin des années 60, la libération des mœurs n’était pas parvenue à franchir les boccages. Les décrets d’application de la loi Haby n’arriveraient qu’en 76, on séparait soigneusement garçons et filles dans les écoles, l’avortement ne serait légalisé qu’en 75. Les mœurs n’étaient pas bien différentes de celles du début du siècle, on allait à la messe, les fêtes suivaient le calendrier religieux, pour vivre tranquille il fallait bien penser et faire comme tout le monde.
Mon père, ce maladroit, engrossa une jeune-femme de 18 ans. Rien d’exceptionnel, la pensée dominante n’a jamais empêché ni le désir ni les fredaines. Des maternités (les lieux), il n’y en avait pas tant que ça. Et puis, l’affaire allait rarement jusqu’à l’accouchement. A chacun sa méthode. Dans la famille du maladroit, on avait des cochons, les fœtus finissaient à la soue dans les estomacs porcins. Ni vu, ni connu, pas de trace, l’honneur était sauf et les bêtes engraissées.
Mais maman n’a pas voulu. Elle a fait de la résistance en quelque sorte. Ce n’était pas rien.
Elle affronta d’abord le géniteur qui songea avant tout à ses études, à sa carrière, aux belles qu’il lui restait à séduire (ce qui n’empêcherait rien). Il trouva sans doute qu’elle exagérait cette fille de peu, que les jeunes-filles bien ne se laissaient pas posséder de la sorte, qu’il n’était certainement pas le premier. Et d’ailleurs, était-il de lui cet enfant, et n’était-ce pas une ruse pour se faire épouser. Au fond, il n’avait rien fait, du moins pas grand-chose. Tout y passa. Il se calma plus tard, à cause de sa conscience, ce truc gênant et qui gratouille. Mais les mots ont laissé des traces en elle, elle a dû les franchir, obstacles difficiles et blessants.
Après, il y eut les grands-mères et la mère. Vers qui d’autre se tourner ? Ce genre d’information ne se trouvait pas facilement. Pas moyen d’interroger le bidule, genre OK Google que faire, je suis enceinte.... Elles ont du se tordre et larmoyer les vieilles, mais qu’avaient-elles fait pour mériter ça, qu’avaient-elles couvé cette vipère en leur sein, perdu leur temps à lui expliquer la vertu et les bonnes manières. Et surtout, qu’allait-on penser, comment marcher la tête haute au village. Les qualificatifs dégradants avaient plus. Le temps de la réflexion n’était venu qu’après. « Et le père, c’est qui ? Ah, le fils T. ! Ça pourrait être pire ». Au moins ils ont du bien avaient-elles pensé sans le dire.
Sa grand-mère représentait beaucoup pour maman, des moments de bonheur, les dimanches au jardin, l’affection que ne donnaient pas tellement les mères. Elle a enterré ces petits bouts d’enfance, ce refuge affectif, pour me garder.
Les hommes se sont comportés en hommes, ils se sont insultés, provoqués, en sont venus aux mains, chacun rejetant sur le rejeton de l’autre la faute fatale, avec les arguments qu’on imagine, l’idée générale persistante étant que le garçon convole car c’est dans sa nature et que la légèreté de la fille est une anomalie sociale. Encore, il a fallu faire face aux colères, à la peur physique des hommes furibonds, aux sentiments de culpabilité et de honte que finissait par instiller la virulence générale.
Quant aux autres, les villageois, ils ont bien su faire sentir ce qu’ils pensaient d’elle, par des regards de biais, des remarques voilées. Certains refusèrent de la saluer, on ne l’invita plus. Les vexations n’allèrent jamais plus loin. Pourtant, il y en avait des histoires moches chez ces braves gens, des secrets de familles peu reluisants, plus ils avaient sous les tapis, ces gens, plus ils médisaient.
Elle a tenu bon, contre tout ça, contre elle-même. Mon père et ma mère se sont mariés à la sauvette, elle avec son gros ventre, un jour de beau temps, mais surtout pas en juin. Pas le mariage dont elle avait rêvé maman. Ils ont vécu dans leur coin, les familles ne se sont plus jamais fréquentées.
Dans cette tragédie grecque, version campagne profonde et arriérée, il ne fut pas souvent question d’amour. On dirait un mauvais scenario de série B, non ? Mais tout est vrai.
Les femmes battantes ne manquent pas, sœurs d’empereurs pervers, martyres jetées aux lions, originales rôties, résistantes, amoureuses tondues, suffragettes, gamines simplement désireuses de s’assoir sur un banc d’école, cheffes étoilées et sous-officiers, passionarias politiques, petites bonnes-femmes du quotidien, compagnes de primates et j’en passe. Je me suis mis à lire l’Equipe, à regarder Bein Sport, elles étaient notablement là aussi, les battantes.
Rien à faire, la sensation de gêne perdurait. Pas de résonnance, pas d’intuition, des sujets potentiels à foison, des idées, mais le cœur tiède. Je respecte les femmes, applaudis aux avancées sur l’embastillement des malotrus, aux parités professionnelles et institutionnelles. Les différences de traitement et les abus de pouvoir m’indignent. Dans la carrière, J’ai été placé sous l’autorité de femmes plus que méritantes. Alors quoi, toujours pas de palpitation, d’élan sincère. Le flop.
Les stéréotypes mentaux ont la peau dure. Je suis un mammouth laineux, l’idée d’offrir à ma fille des soldats en plastique ou un mécano, de l’inscrire au rugby, ne m’a jamais seulement effleuré l’esprit. Battante n’est pas un mot qui germe spontanément dans ma cervelle d’homme quand je pense aux femmes. Désespérant constat.
Et pourtant...
A la fin des années 60, la libération des mœurs n’était pas parvenue à franchir les boccages. Les décrets d’application de la loi Haby n’arriveraient qu’en 76, on séparait soigneusement garçons et filles dans les écoles, l’avortement ne serait légalisé qu’en 75. Les mœurs n’étaient pas bien différentes de celles du début du siècle, on allait à la messe, les fêtes suivaient le calendrier religieux, pour vivre tranquille il fallait bien penser et faire comme tout le monde.
Mon père, ce maladroit, engrossa une jeune-femme de 18 ans. Rien d’exceptionnel, la pensée dominante n’a jamais empêché ni le désir ni les fredaines. Des maternités (les lieux), il n’y en avait pas tant que ça. Et puis, l’affaire allait rarement jusqu’à l’accouchement. A chacun sa méthode. Dans la famille du maladroit, on avait des cochons, les fœtus finissaient à la soue dans les estomacs porcins. Ni vu, ni connu, pas de trace, l’honneur était sauf et les bêtes engraissées.
Mais maman n’a pas voulu. Elle a fait de la résistance en quelque sorte. Ce n’était pas rien.
Elle affronta d’abord le géniteur qui songea avant tout à ses études, à sa carrière, aux belles qu’il lui restait à séduire (ce qui n’empêcherait rien). Il trouva sans doute qu’elle exagérait cette fille de peu, que les jeunes-filles bien ne se laissaient pas posséder de la sorte, qu’il n’était certainement pas le premier. Et d’ailleurs, était-il de lui cet enfant, et n’était-ce pas une ruse pour se faire épouser. Au fond, il n’avait rien fait, du moins pas grand-chose. Tout y passa. Il se calma plus tard, à cause de sa conscience, ce truc gênant et qui gratouille. Mais les mots ont laissé des traces en elle, elle a dû les franchir, obstacles difficiles et blessants.
Après, il y eut les grands-mères et la mère. Vers qui d’autre se tourner ? Ce genre d’information ne se trouvait pas facilement. Pas moyen d’interroger le bidule, genre OK Google que faire, je suis enceinte.... Elles ont du se tordre et larmoyer les vieilles, mais qu’avaient-elles fait pour mériter ça, qu’avaient-elles couvé cette vipère en leur sein, perdu leur temps à lui expliquer la vertu et les bonnes manières. Et surtout, qu’allait-on penser, comment marcher la tête haute au village. Les qualificatifs dégradants avaient plus. Le temps de la réflexion n’était venu qu’après. « Et le père, c’est qui ? Ah, le fils T. ! Ça pourrait être pire ». Au moins ils ont du bien avaient-elles pensé sans le dire.
Sa grand-mère représentait beaucoup pour maman, des moments de bonheur, les dimanches au jardin, l’affection que ne donnaient pas tellement les mères. Elle a enterré ces petits bouts d’enfance, ce refuge affectif, pour me garder.
Les hommes se sont comportés en hommes, ils se sont insultés, provoqués, en sont venus aux mains, chacun rejetant sur le rejeton de l’autre la faute fatale, avec les arguments qu’on imagine, l’idée générale persistante étant que le garçon convole car c’est dans sa nature et que la légèreté de la fille est une anomalie sociale. Encore, il a fallu faire face aux colères, à la peur physique des hommes furibonds, aux sentiments de culpabilité et de honte que finissait par instiller la virulence générale.
Quant aux autres, les villageois, ils ont bien su faire sentir ce qu’ils pensaient d’elle, par des regards de biais, des remarques voilées. Certains refusèrent de la saluer, on ne l’invita plus. Les vexations n’allèrent jamais plus loin. Pourtant, il y en avait des histoires moches chez ces braves gens, des secrets de familles peu reluisants, plus ils avaient sous les tapis, ces gens, plus ils médisaient.
Elle a tenu bon, contre tout ça, contre elle-même. Mon père et ma mère se sont mariés à la sauvette, elle avec son gros ventre, un jour de beau temps, mais surtout pas en juin. Pas le mariage dont elle avait rêvé maman. Ils ont vécu dans leur coin, les familles ne se sont plus jamais fréquentées.
Dans cette tragédie grecque, version campagne profonde et arriérée, il ne fut pas souvent question d’amour. On dirait un mauvais scenario de série B, non ? Mais tout est vrai.