Majda et le heureux hasard

Entre nos mains, son livre préféré qu'elle lisait nuit et jour. Maintenant, nous avons perdue notre fille, notre bébé. Elle s'est marié. Sa chambre est vide et la voilà à 600 kilomètres de la maison.
Nous rangeons avec son père sa chambre et disposons ses livres dans les cartons afin de faire de la place et de réaménager en bureau pour moi.
Elle me manque
Voici quelques lignes de son livre chouchou :
 
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''Ce jour-là, il faisait beau. Cheveux dans le vent, elle a zappé les kilomètres en écoutant "être une femme" de Michel Sardou. 
Ce n'est pas sa voiture. Mahmoud a 3 ans. Il est à l'arrière. La veille, deux policiers l'ont accompagnée pour le récupérer à son domicile conjugal.
Elle n'a plus l'envie, le désir d'aller chez elle car c'est le chaos. L'ordre n'est plus là depuis très longtemps.
Elle s'arrête sur une borne d'arrêt d'urgence, la fièvre dans les yeux et se rappelle chaque détail de l'avant. Sa vie défile comme sur un fil....
 
 
Troublée par le silence et l'autorité des policiers, elle met deux minutes à trouver son trousseau de clés.
Le monde dans lequel elle vivait s'écroule, progressivement. La peine au cœur, la violence des mots subis, elle était allée au commissariat. Ils étaient, avec son fils Mahmoud, en danger de mort.
Personne ne savait ce qui se passait. Personne ne savait exactement ce qu'elle vivait entre ses quatre murs. Sauf elle !
 
Elle ne pouvait rien dire, rien faire ! Sinon, un jour, il partirait un matin loin...très loin avec son fils.
 
Elle, terrorisée, avait très peur. Peur du regard des autres, de la famille, peur de ses parents et de ce qu'ils pourraient dire ou penser.
 
 
Pour toute épreuve à traverser, on en ressort grandit. Sauf que Majda était en train de se briser de l'intérieur. Ça n'allait plus du tout ! En façade, tout allait au mieux, en dedans, c'était déjà fracassé !
Ses sœurs et elle se croisaient lors des fêtes de fin d'année comme si elles ne s'étaient jamais quittées. En dehors de ce rituel familial, il n'y avait pas un appel pour savoir si la sœur aînée qu'elle était, allait bien. C'était toujours à elle, comme disaient ses amies, de renouer contact et de prendre des nouvelles régulièrement. 
Elle s'aperçoit que les aînés portent beaucoup et qu'on se soucie très peu d'eux finalement. C'est ainsi. 
 
Elle éprouvait l'étrange drame de vivre avec le complexe d'être une femme. Il l'avait transformée, forcée à porter le voile, à cacher sa féminité, ses rêves, ses envies et lui avait appris à ne plus se voir dans le miroir.
 
Majda n'est pas une séductrice dans l'âme. Alors, pourquoi ? Avec du recul, elle se demande si ce n'est pas elle qui a provoqué cette situation.
 
Lui disait que Majda était sa propriété, SA femme. Il hurlait qu'il avait droit de vie et de mort sur elle. Elle le croyait...
Enceinte jusqu'au cou, désespérée, elle s'enfermait plusieurs fois dans la journée prétextant des nausées ou des contractions pour pleurer.
 
Lui, Yohan, était un dévoreur d'âmes, d'âmes pures ! 
Comment se reconstruire après avoir été désarticulé pendant des années sous sa coupe et vécu dans son ombre ?!
 
***
Des pulsions ? oui, elle en a eu et en a toujours. Enceinte, jusqu'au fond des yeux, elle a eu envie de sauter du neuvième étage et vivre quelques secondes de liberté avant d'atterrir comme un œuf éclaté.
 
Elle aurait voulu appeler maman, papa et leur dire sa souffrance, crier au secours mais elle ne trouvait pas les mots. 
 
Comment leur dire ce qu'elle vivait au quotidien ? Elle avait honte. Elle portait sa culpabilité sur elle. La religion bien ancrée qu'on lui avait transmise était bien présente... solide comme un roc. 
Accepter son mari tel qu'il était, n'était pas subir. On partageait tout dans la vie avec sa moitié, son compagnon de vie.
 
Se plaindre aurait été un affront ! Pour eux... pour lui... comme pour elle aussi !
 
Alors, pendant des années, elle a fait ce qu'elle avait à faire... faire semblant d'aller bien, masquer ses véritables émotions. Le paraître avait pris le dessus en hiver et pendant le doux vent d'été. Chaque saison, elle espérait en silence un accident, le téléphone qui sonne...une mauvaise nouvelle...qu'il ne reviendrait plus.
 
Dans les murs de l'appartement, elle sentait cette fragilité qu'elle portait en elle. Cette folle envie de faire le choix, de partir un jour si elle en avait le courage, pour survivre, malgré tout.
 
 
La pause est finie.
 
Majda redémarre de la bande d'arrêt d'urgence et roule, roule, roule, larmes à l'œil sur l'autoroute de sa vie. 
Cheveux au vent, elle accélère...elle est libre maintenant.
 
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La Rencontre
 
Quand elle y pense, leur rencontre aura été une des plus belles que l'on puisse imaginer.
 
Majda avait les cheveux courts, car sa mère disait toujours que les cheveux longs attiraient les poux. Enfant, on la prenait pour un garçon manqué avec un visage mi-ange, mi- androgyne.
 
Ses parents avaient accepté pour la première fois qu'elle aille dormir, pour le week-end, chez sa copine Nawal. Une métissée. Moitie auvergnate par son père et moitié marocaine par sa mère.
Nawal fêtait ainsi ses dix-huit ans. Majda aussi. Elles étaient nées le six juin de la même année.
 
Majda n'était encore qu'une enfant dans sa tête. L'innocence même. Elle détestait l'humour au second degré, les piques...Seules les relations sincères l'intéressaient. 
 
Quand l'anniversaire a commencé, la boum battait son plein. Musique hip hop, rap, funk et des slows. Un putain de regard bad boy se posait, par intermittence, sur Majda. Puis, un sourire mi-angélique. Le blond parfait aux yeux bleus qu'elle avait imaginé, celui qui venait la visiter dans ses rêves les plus intimes. 
 
C'était lui. 
 
Il était là pour l'écouter. Certes, un peu têtu, mais elle espérait le changer. Avec l'amour, elle pensait briser la glace et apprendre à le connaitre. Puis avec le temps vivre avec lui de beaux jours heureux. 
 
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Anna
 
Anna finissait sa pause déjeuner, quand une femme est arrivée sans frapper. 
 
JUIN 2003. Centre d'action Sociale Rue Armand Moisant à Paris. Une après-midi ensoleillée. En plein dans ses paperasses de personnes en difficulté, elle reçoit Majda DJELALI.
 
Quand elles se sont rencontrées, Anna a ramassé Majda ‘'à la petite cuillère'' dès les premiers instants. 
 
Cette femme violée dans l'âme, meurtrie dans le cœur, l'avait touchée. Son histoire, sa manière de raconter, son envie d'avancer et de sortir de ce cycle infernal.
Elle lui racontait en même temps son parcours, son histoire. Son rendez-vous d'après était déjà là mais Anna sentait que si elle la lâchait maintenant, elle ne la reverrait plus jamais.
 
Anna, l'assistante sociale, sentait qu'elle était le dernier recours, sa dernière porte de sortie. 
 
Il, Yohan, l'avait menacée de mort à plusieurs reprises, de la tuer devant son fils. De toutes façons, disait-il, il retrouverait assez vite une autre femme qui saurait le comprendre et l'écouter.
 
Toutes les démarches qu'elle avait entreprises pour sortir des mailles du filet de son mari Yohan BRETINI faisait d'elle et de ses fragilités : une force.
 
La justice était-elle débordée, ou bien considérait-elle qu'il y avait des dossiers plus urgents à traiter ?!
 
On ne le saura jamais.
 
L'urgence est autre, maintenant. 
 
Anna a le devoir de la guider dans ses démarches et de lui trouver un lieu sûr où elle pourrait enfin se poser et avoir les idées plus claires pour demain, pour son avenir.
 
Anna s'excuse. Elle s'absente quelques minutes du bureau. Elle va consulter sa responsable. Il y a peut-être une solution provisoire, une issue possible.
 
 
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Il n'y a plus aucune issue possible pour nous. Notre fille unique s'est bel et bien mariée.
Elle a quitté Paris pour le sud, le soleil, l'air frais.

Vous me comprenez vous qui me lisez ? Votre fille est votre chair, votre sang, vos yeux. Un départ de sa fille déchire le coeur.                    
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