« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. »
« Cette histoire, je vous la laisse avec mon cœur. Lisez-la jusqu’à la fin, si vous voulez la comprendre. Et ensuite à vous d’en faire ce que bon vous semblera...
Avez-vous déjà ressenti un poids si lourd que vous avez eu l’impression de tout subir d’un seul coup ? L’impression de porter l’épée de Damoclès ? Il y a de ces douleurs qui ne s’expliquent pas, de ces douleurs qu’on supporte malgré soi et seul car on se sent abandonné, on se sent inutile, on se sent méprisé, on se sent impuissant face aux coups durs de la vie. Aujourd’hui, comme si ce que je vivais depuis toujours n’était pas suffisant, je vois encore un épisode de ma vie, pourtant bien parti, s’écrouler au sol. Je ne m’y attendais pas, absolument pas.
Après plus de deux ans passés à courir après elle, comme le dirait le vieux Chinua Achebe, « tout s’effondre » à nouveau sous mes yeux. Et je suis encore une fois impuissant devant cette énième situation. D’ailleurs pourquoi me battrai-je à nouveau ? Pour prouver quoi à qui ? Ne me suis-je pas assez battu comme ça ? Pour une fois que tout recommençait à avoir du sens à mes yeux et avoir du goût, qu’ai-je fait de mal au bon Dieu pour que cette étoile qui commençait à donner de la saveur à ma vie depuis longtemps trop fade, s’éteigne à nouveau ?
Je sais que vous avez du mal à me suivre, vous avez du mal à me comprendre, vous commencez déjà à me juger comme ils ont tous l’habitude de le faire d’ailleurs, à me blâmer déjà de tourner autour du pot, à me blâmer de ne pas cracher le morceau de mon ras-le-bol, de ne pas dire ‘’elle’’ c’est qui ? Vous êtes encore dans le noir mais je vous l’assure, vous n’avez pas les yeux fermés.
Je suis désolé mais, tourner autour du pot, c’est ce que j’ai toujours essayé de faire dans ma vie, cacher mes montagnes de peines et douleurs, derrière mes grands et larges sourires, étouffer mes pleurs et mes larmes derrière mes fous rires que j’affiche toujours tout joyeux. J’ai l’impression d’être hypocrite, d’ailleurs vous conviendrez avec moi que vous le voyez ainsi. Mais je n’ai pas d’autre choix. Car lorsqu’on a une personnalité comme la mienne, il est difficile de ne pas être hypocrite.
Elle, je l’ai rencontrée il y a un peu plus de deux ans. A l’époque, je n’étais qu’un tout petit gamin probablement à ses yeux. Je n’étais qu’un garçon qui, comme tous ces prétentieux, était encore dans la chaleur de son adolescence, trop immature malgré mon âge, trop taquin, trop agité. Bien qu’elle ne fût pas dans le noir, elle avait les yeux fermés car elle ne voyait pas ce que cachaient toutes ces choses qu’elle me reprochait.
Et pour cela, net, elle me stoppa. J’ai pris mon mal en patience, comme tous les précédents coups de ma vie, j’ai encaissé celui-là aussi. Ce n’est pas pour autant que je l’aurais oubliée. Quand bien même, elle était rabat-joie sans le faire exprès dans ses messages, je gardais un petit espoir. Puis peu à peu, j’ai essayé de l’oublier, de passer à autre chose.
J’ai donc commencé à me vouer à mes études que j’avais me semble-t-il mises aux oubliettes et n’étaient qu’un passe-temps à un moment pour moi. L’échec frappa à ma porte, mais heureusement pour moi, je n’avais pas laissé le double de clé à la porte. Quand bien même je réussis sur le fil, j’étais content d’y être parvenu. Je n’avais personne pour me féliciter, oui, personne. Ne jugez point mon histoire. Beaucoup aujourd’hui voient la réussite avec les grosses moyennes, les gros diplômes, les grandes fêtes. Il y a quelques années, je voyais autant.
Mais quand vous n’avez ni père, ni mère, ni oncle, ni tante, ni frère, ni sœur... la liste est longue ; quand derrière vous, vous n’avez que le courant de l’air pour vous pousser au large, vous découvrez le réel visage de la réussite. Celui que les autres ne voient pas car le monde a fermé leurs yeux.
Il y a tellement d’injustice dans le monde, d’ailleurs la justice elle-même n’existe pas sinon celle qui vient de là-haut. Il y a trop de souffrances et ceux qui ont le pouvoir de mettre un terme à ces injustices sont eux-aussi aveuglés par leur ‘’pouvoir’’. Ceux qui ont le pouvoir de faire connaître ces injustices au monde, ceux-là qui se font appeler influenceurs, ont eux-aussi les yeux fermés car préoccupés à amuser plutôt qu’à éveiller, à dénoncer, à faire voir.
Et enfin, il y a ceux-là qui sont dans le noir. Ils sont de deux catégories : d’une part, ceux qui souffrent, qui peinent, qui sont laissés pour compte ; et d’autre part, ceux ont le cœur noir et sombre. Ceux-là qui n’arrivent pas à soutenir les autres et ont du mal à apprécier le bonheur des autres. Ceux-là qui sont dans le noir et n’arrivent pas à laisser la lumière des autres briller.
Alors, comme je vous disais, deux ans après, elle a refait surface. Le petit espoir enfoui au plus profond de moi, ressurgit. Plus que jamais, j’étais décidé à retenter ma chance. Visiblement, elle ne me voyait plus comme ce gamin d'il y a quelques mois. Sans jugement ni rancœur, je me relançai. Deux, trois mois après, nous étions devenus plus que jamais complices, confidents et même plus. Le ‘’feeling’’ était là. Il ne restait plus que la demande. Puis un soir je pris mon courage à deux mains, je la lui fis mais... hélas. L’amour que je lui portais, me permit encore une fois de ne pas fragiliser ce que nous reconstruisions depuis quelques semaines.
Malgré ce refus de sa part, la relation grâce à mon acceptation et ma compréhension des choses, ne pris aucun coup. De fait, nous discutions avec autant d’engouement. Un soir vint, j’étais allongé tranquillement dans ma petite pièce qui me servait de chambre. Je reçus un message. Elle me faisait part de la décision de ses parents de l’envoyer étudier à l’étranger pour une durée indéterminée, puisqu’elle devrait rester chez son oncle maternel, pratiquement une deuxième maison. Pire, elle partait dans deux jours et vu la distance entre l’aéroport internationale et la ville, elle quittera donc la ville plus tôt.
Je tombais des nues. J’eus la sensation de ne plus sentir mon poids. Un vide pris place en mon sein. Je me refis le film de ma vie jusqu’à ce jour : mes combats pour la justice avortés et non soutenus, mes déceptions amicales et amoureuses incomptables, mes proches que je ne peux plus voir car rappelés par le créateur, les calomnies et découragements des uns des autres vis-à-vis de mes supplications à la construction d’un monde plus équitable et plus juste, mes échecs dans mes combats, faute de moyens et surtout de soutien moral et social, toutes les fois et j’ai été incompris...
La liste fût tellement longue que j’eus le sentiment que ma vie n’était vouée qu’à la souffrance. J’oubliais même les bribes de joie, de sourires que j’ai eus, les rires partagés avec elle. D’ailleurs, sa lumière qui était la dernière qu’il me restait s’éteignait déjà.
Il ne me reste plus rien sur quoi tenir. Je sais, ce n’est pas la meilleure des solutions, ce n’est même pas une solution mais j’ai assez enduré. J’ai assez accepté, j’ai assez supporté. Si chaque lumière pour moi dans le noir dans lequel je suis déjà depuis le sein de ma mère doit s’éteindre aussitôt s’être allumée, ma vie ne vaut rien, rien ne vaut ma vie. Je suis désolé. Puisse-t-il me pardonner et puissent-ils m’accueillir pour une fois sans jugements. Le monde m’a assez jugé, enfin je crois. »
Elle voyait arriver du fond du couloir le Docteur avec son porte-bloc en main. Avec son masque, l’expression de son visage était difficile à deviner mais la rougeur de ses yeux le trahissait. D’un bond, elle se leva et courut vers lui, laissant ce papier qu’elle fixait des yeux.
- Va-t-il s’en sortir Docteur ? s'enquit-elle tout en larmes.
- Le pronostic vital est engagé, il ne tient plus qu’à un fil. Il a été admis assez tard aux urgences.
- Mais Docteur ! Il n’a que 23 ans ! Que m’arrive-t-il ? Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ?
- Peut-être les deux, répliqua le Docteur avant d’ajouter : « mais la prière pourrait le sauver. »