J'adore réellement me retrouver au milieu de tous ces enfants euphoriques qui m'aiment et qui ne rêvent que d'une chose, devenir un champion aussi fort que moi. Je dis champion bien que je sois une fille car j'ai été nommée meilleur joueur du monde dans ma seizième année, sans aucune distinction de sexe. Cela me fait sourire de penser qu'il fut un temps où les épreuves étaient distinctes entre les hommes et les femmes. Que de chemin parcouru. Que de souffrances aussi... Oui, je suis bien aujourd'hui la vedette mondiale incontestée du Basket, mais je partais pourtant avec pas mal de handicaps, et il m'a fallu beaucoup de persévérance, d'amour et de chance pour réussir. Je me souviens parfaitement du début incroyable de mon histoire. J'avais environ douze ans et j'ai découvert à la télévision le basketteur Kobe Bryant de l'équipe américaine des Los Angeles Laker en train de réaliser un Dunk. Il s'envolait avec la grâce majestueuse d'un aigle royal pour ensuite écraser sa balle dans le panier avec la vélocité intraitable d'une panthère en furie. J'étais littéralement scotchée. J'ai passé ensuite plusieurs jours à admirer sur Internet les exploits de ce numéro 24 de légende. Je me délectais de son aisance, de sa force, de son placement, de sa précision, de son sourire. Bref, de tout ce qui faisait de lui ce grand joueur qui apportait tant de plaisir aux spectateurs. Ma décision était prise, je deviendrai Basketteuse professionnelle, et rien d'autre. J'en parlais à mes parents qui s'amusèrent discrètement du coin de l'œil en m'expliquant que certes, rien n'est jamais totalement impossible, mais que certaines tâches sont plus fortes que nous même s'il ne faut pas désespérer, enfin toutes ces choses qu'on dit à un enfant projetant de devenir astronaute ou président de la République. Mon père m'accompagna malgré tout au club de Basket local et je reçus la première gifle morale de ma courte existence. Je devais sans doute être trop protégée par mes affectueux parents car le monde cruel qui me renvoya mon image en pleine face ne me plut pas du tout. L'entraîneur de l'équipe éclata de rire en m'expliquant qu'une fille ne pourra jamais devenir le meilleur joueur du monde. Il souriait en relatant qu'aucun joueur sérieux n'a commencé aussi tard. Il s'amusa franchement en me démontrant de manière pseudo scientifique qu'en mesurant 1.35m à mon âge je ne pouvais pas espérer dépasser les 1.65m adulte, ce qui me permettrait à peine d'effleurer le filet du panier en sautant correctement, mais certainement jamais de Dunker un jour. Nous rentrâmes à la maison pour que je puisse pleurer en toute confiance, bordés par les consolations étouffantes et inutiles de mes géniteurs et les quolibets blessants de mon grand frère qui m'appela à partir de ce jour « Magic Garçonne ». Mon funeste destin apparemment définitivement scellé, j'entrais lentement mais sûrement dans une mélancolie permanente qui ne me quittait plus. Je ne comprenais pas pourquoi je devais vivre une existence entière bercée continuellement d'une envie que je ne pourrai jamais assouvir. Le temps s'étirait, lentement, et il m'étouffait. Comme si ma vie s'était arrêtée. Tout cela jusqu'au noël suivant où en ouvrant mes cadeaux je fus très surprise de découvrir l'outil magique qui allait me permettre de m'assouvir pleinement. A partir de cet instant je ne le quittais plus, et il me permit en seulement quelques semaines d'intégrer une équipe de joueurs confirmés. Il y avait un chinois, un russe, et quelques américains. Que des garçons. Je m'éclatais complètement. J'étais si heureuse ! J'étais faite pour le basket, et je le savais, même si j'étais la seule. Je progressais à chaque match et je m'entraînais sans aucune pause. Ma pause, c'était justement l'entraînement. Mes notes scolaires s'en ressentaient beaucoup, mais mes parents sont des anges et ils ne souhaitaient que mon bonheur. Ils savaient que ma voie était tracée et que rien ne pourrait m'arrêter, ni même me freiner un peu. A la fin de la saison régulière j'intégrais une nouvelle équipe plus huppée et je commençais à toucher un peu d'argent. Payee pour être enchantée. Le rêve. Je m'améliorais sans cesse. J'avais déjà 30.000 Followers sur Instagram. Les médias commençaient à s'intéresser à moi. Le jour de mes 14 ans, la ligue me souhaita un joyeux anniversaire dans son communiqué hebdomadaire. La consécration. Je devenais célèbre. Je devenais performante. Mes statistiques s'approchaient parfois des meilleurs français. Six mois plus tard on me proposa un poste dans une équipe professionnelle de l'héxagone. Mes parents ont pleuré. Mon frère a crisé tant il me jalousais. Il se moquait toujours de moi et de mes 1.50m. Plus il faisait ça et plus j'avais la rage de dunker comme un aigle-panthère. Un an plus tard, les Knicks de New York me proposaient un transfert. Le plus beau jour de ma vie. Et d'autres attendaient. Comme je n'avais pas d'agent, c'est mon père qui se chargea de récolter la prime qui se comptait en dizaines de milliers de dollars. Complètement fou ! Ma mère m'embrassait chaque soir et chaque matin en me disant que jamais elle ne pourrait être plus heureuse pour moi. Je commençais à avoir de plus en plus de temps de jeu chez les Knicks. Il me manquait encore un peu de rudesse dans les corps à corps, mais j'avais à présent un coach dédié qui me guidait et m'apprenait. L'équipe rata les « play off » de très peu, mais les Bulls de Chicago m'avaient remarqué et le transfert juteux se compta cette fois en centaines de milliers de dollars. J'étais définitivement devenue une Star, la Star. L'année suivante je devins même une All Start. On remporta le championnat et je délivrais les meilleurs statistiques de la saison. Imbattable. J'étais digital MVP, la « NBA Most Valuable Player ». En français le meilleur joueur du monde de eSport, le sport en ligne sur Internet. Je joue à présent évidemment sur les PC ultra puissants officiels délivrés par la ligue, mais j'ai toujours conservé précieusement la console de jeux offerte par mes parents à Noël, car c'est ce cadeau qui m'a ouvert les lourdes portes de mes rêves sportifs. Je reste convaincue que le moteur de toutes nos réussites sera toujours démarré par un geste d'amour. C'est pourquoi je consacre beaucoup de temps à mes fans, ces gamins qui voudraient devenir comme moi. Et moi, bien qu'heureuse à en crever, au fond de mon cœur, tout au fond, j'aimerais bien redevenir comme eux pour qu'un rêve impossible guide toute mon existence jusqu'à un nouveau Noël magique.