Toute histoire commence un jour, quelque part dans un coin du globe...
Et la mienne, commence là où meurt le respect de la condition féminine. Loin d’être anodine, elle touche environ deux-cents millions de filles et de femmes dans ce monde.
Pour avoir subi les affres de cette tragédie : douleurs, hémorragies, infections, problèmes urinaires, traumatismes psychologiques... J'ai décidé de ne plus me laisser morceler par ces sentiments : amertume, colère, haine, tristesse...
Je ne peux certes pas les contrôler, mais je peux élever la voix et les mots pour dénoncer ce mal ; en parler est une thérapie.
Je peux donner de mon énergie pour lutter contre cette violence, car bien plus que les mots, les actes sont impératifs.
Très souvent, dans mon entourage, je reçois ce genre de remarque « tu n'as que dix-huit ans pourquoi cette cause te tient tant à cœur ? À dix-huit ans, on profite des jouissances de la vie : sorties, voyages entre copines, histoires d’amour. On ne cherche pas à refaire le monde. D'ailleurs, ce monde est ainsi fait et ce n'est sûrement pas toi qui le referas, demoiselle !» Des propos blessants, qui sonnaient dans mon être comme le tranchant du couteau...
Ce fameux couteau qui me fit tant souffrir et qui continue toujours de me faire souffrir.
Des années plus tôt, dans ma bulle de fées, insouciante et joyeuse, je découvrais la vie à ma manière ; c’est-à-dire une vie idyllique faite de douceurs et de rêves. L'un de ces rêves, était la passion de la médecine, comme maman.
Comme j'étais admirative de cette dame-là ! Mon Héroïne ! Oui, maman avait un super pouvoir ; celui de guérir les bébés atteints de pathologies les plus graves au moins graves.
Elle le faisait avec tant d'amour et de douceur qu'ils guérissaient tous après les auscultations. À l'école, mes amis et enseignants qui avaient déjà eu recours à ses services, parlaient d'elle avec respect et admiration. Et moi aussi, je voulais être pédiatre comme dame Sika, ma mère. Je me passionnais pour les sciences naturelles, alors après l'instant de dessin animé, je passais immédiatement à une chaîne exclusivement dédiée aux sciences naturelles.
Je dois avouer que du haut de mes dix ans à cette époque-là, j'étais théoriquement bien outillée pour un stage dans un service de santé. Car le corps humain, je le connaissais aussi bien que le traditionnel "Gloria" de Noël. De plus, je n'hésitais pas à questionner maman pour en savoir plus et c'était tellement agréable d'avoir ses causettes entre mère et fille qui solidifiaient encore plus notre relation.
Cela faisait deux ans que papa nous avait quitté pour être une étoile dans le ciel. Chaque soir, avec maman, nous lui adressions une prière. Ce rituel me permettait d'accepter et de supporter son absence. Après chaque prière, j'étais comme en joie. Mais pour que ma joie soit complète, il fallut que je revoie mes grands-parents paternels.
Maman avait rompu tout contact avec eux pour des raisons qu'une gamine de mon âge n'aurait pu comprendre. J'avais supplié maman de me laisser passer deux semaines au village. J'étais nostalgique des vacances passées auprès d'eux du vivant de papa.
Avec mes cousins, mes tantes et oncles, les jeux au clair de lune, les plats typiquement traditionnels, le goût si particulier de l'eau de source, l'odeur de la terre mouillée après la pluie et l'ambiance des célébrations traditionnelles.
Ah oui ! Mes grands-parents étaient très ancrés dans les traditions ; mi-croyants, mi-animistes, ils étaient d'un syncrétisme spirituel aux références mystiques diverses qui ne leur assuraient pas toujours la compréhension des réalités de la vie. Était-ce cela la cause de la rupture avec ma mère ? Eh bien, je n'allais pas tarder à le savoir.
J'avais tellement insisté, que maman finit par céder, mais sous réserve de me faire accompagner, suivre et garder par tata Célia, sa sœur cadette. Je n'arrivais toujours pas à comprendre pourquoi maman se faisait de la bile à ce sujet. J'allais en vacances pour juste une quinzaine de jours, je n'allais pas à l'abattoir tout de même !
À quelques minutes de notre départ, maman me fit appel dans sa chambre après dix minutes de prière, elle me dit : « Ina mon bébé, Ina ma vie... Sois bien sage au village, reste tout le temps auprès de tata Célia, ne la quitte pas une seule seconde. Mon bébé, tu es mon seul enfant et je ne me le pardonnerais jamais si quelque chose t'arrivait. J'aurais aimé t'accompagner, mais comme tu le sais, je dois me rendre à Genève pour une convention. C'est bientôt la fin des vacances, termines-les en beauté auprès des siens. Je vous appellerai chaque jour pour avoir de vos nouvelles. Je t'aime mon bébé » ; c'est sur ces conseils et après un long câlin que nous prîmes congés de maman.
Le voyage s'était bien passé, voilà maintenant sept jours que tata Célia et moi étions au village. Tout se passait merveilleusement bien ; maman nous appelait régulièrement et se réjouissait de me savoir en pleine forme. Lors de nos échanges, je lui racontais que c’était les meilleures vacances mondiales et inoubliables...
Oui inoubliables, mais aussi douloureuses pour la fillette de dix ans que j'étais.
Trois jours avant notre départ, avant même que le soleil ne se pointe à l’horizon, mamie reçût la visite de deux vieilles dames. Levée pour aller aux toilettes, cette visite m’intriguait au plus haut point. De quoi pouvaient-elles bien discuter de si bonne heure ? Il m’était impossible de le savoir, car cacher derrière la porte du salon je ne pouvais qu’entendre leur murmure. En plus, elle parlait en langue maternelle, et moi, je n’y comprenais absolue rien.
Aux environs de neuf heures, tata Célia dut se rendre au marché du village voisin sur la recommandation de mamie pour faire quelques emplettes. Elle me demanda de rester bien sage et qu’elle serait de retour dans l’après-midi. Aussitôt partie, mamie me demanda de l’accompagner à quelques pâtés de la cour familiale, pour saluer une grande tante qui voulait me voir. Je m’exécutai sans sourciller.
Une fois sur les lieux, nous attendîmes les deux dames que j’avais vues sur la terrasse, l’une d’entre elles, était vêtue de rouge. Inquiète, mamie tenta de me rassurer et me fit entrer dans une case. Mon cœur se mit à battre la chamade à la vue de lames, couteaux, poudres et décoctions de tout genre.
Je n’étais pas sûre de comprendre ce qui se passait, mais je sentais que ma vie allait prendre mauvaise tournure.
Malheureusement, il était beaucoup trop tard, je ne pouvais plus m’échapper. Ni mes supplications, ni mes cris, ni mes larmes n’avaient d’effet sur mes bourreaux. Mamie ne cessait de me répéter en boucle : « Ina, c’est pour ton bien, tu verras, tu seras pure ! Une bonne femme pour ton mari et une excellente mère pour tes enfants, tu me remercieras demain ».
Pure ? Mais pure de quoi ? Qu’avais-je fait de mal ? Excellente épouse et mère ? En quoi est-ce que cela était utile à la gamine de dix ans que j’étais?
Je me débattais de toutes mes forces, mais je les sentais m’abandonner. Que pouvait une gamine aussi fine que moi face à trois corpulentes femmes ?
Malheureuse comme les pierres j’étais...
Complètement hébétée, je voulus comprendre ce qui se passait, je voulus savoir pourquoi elles s’acharnaient sur ma pauvre personne, mais mon cerveau répondait échec ! Aucune réponse possible !
D’un geste brusque, l’une des dames, me fit tomber et écarta mes jambes d’une rare violence. Elles les tenaient pour m’empêcher de bouger. Quant à mamie, elle me bâillonna, puis, me tenait les bras.
Une fois immobilisée, la dame vêtue de rouge se saisit d’un couteau et commença sa salle besogne. Je pouvais sentir à tout rompre le tranchant du couteau sur ma peau, dans ma chair, dans mon être, le sang giclait çà et là, telle une scène d’un film thriller. Ô ! Quelle douleur indescriptible !
Je ne comprenais pas pourquoi elles s’attardaient sur ces parties... ces parties de mon corps.
Maman ! Maman ! Viens me sauver !
Je ne sentais plus mon corps, j’étais comme anesthésiée, la douleur était si profonde, si intense...
J’avais l’impression d’être morte et de ne plus avoir possession de mon corps. Ce furent les derniers souvenirs de cette journée qui a vu basculer ma vie, ensuite de quoi, je me réveillai à l’hôpital.
Mon réveil fut bien douloureux, ponctué de pleurs lorsque mon regard croisa celui de maman. J’étais à la fois heureuse et désolée, mon entêtement avait bien failli me coûter la vie. Ses conseils d’avant notre départ me revenaient sans cesse en tête, et l’une de ses phrases m’assomma comme un coup de marteau : «Ina mon bébé, Ina ma vie (...) tu es mon seul enfant et je ne me le pardonnerais jamais si quelque chose t’arrivait (...)». Je refusais que maman se culpabilise, qu’elle se fasse du mal pour moi, car j’avais besoin de sa force pour m’en remettre. J’avais besoin de beaucoup plus d’amour, d’affection, de courage et surtout de prières.
Le traumatisme était tel, que je ne parvenais plus à m’exprimer, les mots ne sortaient pas. Et cette douleur... cette douleur... Atroce !
Quant à mon cerveau, il refusait toujours de coopérer... Échec !
Et pourtant ! J’avais tant à dire, tant de questions à poser à maman. Moi qui connaissais le corps humain dans son entièreté, j’avais fini par reconnaître les parties qui ne faisaient plus partir de moi, mais pas les causes qui avaient motivées mamie et ses consœurs.
Il m’a fallu plusieurs mois pour guérir des blessures physiques et comprendre que j’avais été victime d’excision. Oui, j’ai été EXCISÉE!
Puis quatre années, pour enfin briser la glace et en parler avec maman, entamer ma guérison psychologique.
٭٭٭
Quatorze ans... cet âge fut décisif pour moi, car je commençai à être "femme" avec l’arrivée des menstruations et le changement progressif de mon corps. Je ne m’acceptais pas, j’éprouvais tant de mépris et de dégoût pour "ce corps". Mon intimité avait été salie, mon existence souillée, mamie avait gâché ma vie. Tous ses arguments fallacieux ne justifiaient en aucun cas son acte.
À partir de ce jour, on m’a ôté le droit de choisir qui je voulais être...
À partir de ce jour, on m’a ôté mon droit à l’enfance...
À partir de ce jour, on m’a ôté mon droit d’être une Femme dans son entièreté...
Ô ! Quelle cruauté ! Quelle cruauté !
DIEU ne savait- il donc pas ce qu’il faisait à la création, Pour que des hommes puissent remettre en question son œuvre et la détruire ? Notre corps est semblable à un puzzle, une seule pièce manque et tout le jeu est incomplet.
Alors, pour que plus aucune fille ne soit excisée, en dépit des «traditions», à dix-huit, j’ai renoncé à mon rêve d’être pédiatre, pour faire carrière dans le droit, et m’ériger comme féministe.
Mon bâton de pèlerin en main, je suis prête à parcourir les quatre coins du globe terrestre, arpenter les chemins les plus tortueux et crier ma mésaventure à qui veut ou non l’entendre.
À sensibiliser, nos grands-mères, nos mères, nos tantes, nos sœurs, nos cousines, nos amies, singulièrement celles qui posent cet acte ignoble à leurs filles.
À discuter avec nos chefs coutumiers, nos grands-pères, nos pères, nos oncles, nos cousins, nos amis, qui cautionnent et encouragent encre cette pratique humiliante, honteuse et malsaine.
Les mentalités doivent changer, parce que les femmes tiennent ce monde. Sans prétention aucune, laissez-moi vous rappeler que sans femme il n’y a pas d’humanité.
Désormais, mon récit sera notre combat ! Le mien et celui de toutes ces filles, de toutes ces femmes de ce monde, susceptibles d’être excisées.
La salle se fit si silencieuse qu’on aurait entendu les mouches voler. Je venais de prendre la parole devant cette assemblée d’hommes et de femmes composée de médecins, activistes humanitaires, féministes, journalistes, politiques, étudiants... Tous réunis dans cette salle des congrès pour dire stop aux mutilations génitales, devant les regards émus de dame Sika, mon Héroïne et tata Célia.
Huit ans après ce drame, des larmes dans la voix, c’était la première fois que j’osais en parler publiquement.
Et la mienne, commence là où meurt le respect de la condition féminine. Loin d’être anodine, elle touche environ deux-cents millions de filles et de femmes dans ce monde.
Pour avoir subi les affres de cette tragédie : douleurs, hémorragies, infections, problèmes urinaires, traumatismes psychologiques... J'ai décidé de ne plus me laisser morceler par ces sentiments : amertume, colère, haine, tristesse...
Je ne peux certes pas les contrôler, mais je peux élever la voix et les mots pour dénoncer ce mal ; en parler est une thérapie.
Je peux donner de mon énergie pour lutter contre cette violence, car bien plus que les mots, les actes sont impératifs.
Très souvent, dans mon entourage, je reçois ce genre de remarque « tu n'as que dix-huit ans pourquoi cette cause te tient tant à cœur ? À dix-huit ans, on profite des jouissances de la vie : sorties, voyages entre copines, histoires d’amour. On ne cherche pas à refaire le monde. D'ailleurs, ce monde est ainsi fait et ce n'est sûrement pas toi qui le referas, demoiselle !» Des propos blessants, qui sonnaient dans mon être comme le tranchant du couteau...
Ce fameux couteau qui me fit tant souffrir et qui continue toujours de me faire souffrir.
Des années plus tôt, dans ma bulle de fées, insouciante et joyeuse, je découvrais la vie à ma manière ; c’est-à-dire une vie idyllique faite de douceurs et de rêves. L'un de ces rêves, était la passion de la médecine, comme maman.
Comme j'étais admirative de cette dame-là ! Mon Héroïne ! Oui, maman avait un super pouvoir ; celui de guérir les bébés atteints de pathologies les plus graves au moins graves.
Elle le faisait avec tant d'amour et de douceur qu'ils guérissaient tous après les auscultations. À l'école, mes amis et enseignants qui avaient déjà eu recours à ses services, parlaient d'elle avec respect et admiration. Et moi aussi, je voulais être pédiatre comme dame Sika, ma mère. Je me passionnais pour les sciences naturelles, alors après l'instant de dessin animé, je passais immédiatement à une chaîne exclusivement dédiée aux sciences naturelles.
Je dois avouer que du haut de mes dix ans à cette époque-là, j'étais théoriquement bien outillée pour un stage dans un service de santé. Car le corps humain, je le connaissais aussi bien que le traditionnel "Gloria" de Noël. De plus, je n'hésitais pas à questionner maman pour en savoir plus et c'était tellement agréable d'avoir ses causettes entre mère et fille qui solidifiaient encore plus notre relation.
Cela faisait deux ans que papa nous avait quitté pour être une étoile dans le ciel. Chaque soir, avec maman, nous lui adressions une prière. Ce rituel me permettait d'accepter et de supporter son absence. Après chaque prière, j'étais comme en joie. Mais pour que ma joie soit complète, il fallut que je revoie mes grands-parents paternels.
Maman avait rompu tout contact avec eux pour des raisons qu'une gamine de mon âge n'aurait pu comprendre. J'avais supplié maman de me laisser passer deux semaines au village. J'étais nostalgique des vacances passées auprès d'eux du vivant de papa.
Avec mes cousins, mes tantes et oncles, les jeux au clair de lune, les plats typiquement traditionnels, le goût si particulier de l'eau de source, l'odeur de la terre mouillée après la pluie et l'ambiance des célébrations traditionnelles.
Ah oui ! Mes grands-parents étaient très ancrés dans les traditions ; mi-croyants, mi-animistes, ils étaient d'un syncrétisme spirituel aux références mystiques diverses qui ne leur assuraient pas toujours la compréhension des réalités de la vie. Était-ce cela la cause de la rupture avec ma mère ? Eh bien, je n'allais pas tarder à le savoir.
J'avais tellement insisté, que maman finit par céder, mais sous réserve de me faire accompagner, suivre et garder par tata Célia, sa sœur cadette. Je n'arrivais toujours pas à comprendre pourquoi maman se faisait de la bile à ce sujet. J'allais en vacances pour juste une quinzaine de jours, je n'allais pas à l'abattoir tout de même !
À quelques minutes de notre départ, maman me fit appel dans sa chambre après dix minutes de prière, elle me dit : « Ina mon bébé, Ina ma vie... Sois bien sage au village, reste tout le temps auprès de tata Célia, ne la quitte pas une seule seconde. Mon bébé, tu es mon seul enfant et je ne me le pardonnerais jamais si quelque chose t'arrivait. J'aurais aimé t'accompagner, mais comme tu le sais, je dois me rendre à Genève pour une convention. C'est bientôt la fin des vacances, termines-les en beauté auprès des siens. Je vous appellerai chaque jour pour avoir de vos nouvelles. Je t'aime mon bébé » ; c'est sur ces conseils et après un long câlin que nous prîmes congés de maman.
Le voyage s'était bien passé, voilà maintenant sept jours que tata Célia et moi étions au village. Tout se passait merveilleusement bien ; maman nous appelait régulièrement et se réjouissait de me savoir en pleine forme. Lors de nos échanges, je lui racontais que c’était les meilleures vacances mondiales et inoubliables...
Oui inoubliables, mais aussi douloureuses pour la fillette de dix ans que j'étais.
Trois jours avant notre départ, avant même que le soleil ne se pointe à l’horizon, mamie reçût la visite de deux vieilles dames. Levée pour aller aux toilettes, cette visite m’intriguait au plus haut point. De quoi pouvaient-elles bien discuter de si bonne heure ? Il m’était impossible de le savoir, car cacher derrière la porte du salon je ne pouvais qu’entendre leur murmure. En plus, elle parlait en langue maternelle, et moi, je n’y comprenais absolue rien.
Aux environs de neuf heures, tata Célia dut se rendre au marché du village voisin sur la recommandation de mamie pour faire quelques emplettes. Elle me demanda de rester bien sage et qu’elle serait de retour dans l’après-midi. Aussitôt partie, mamie me demanda de l’accompagner à quelques pâtés de la cour familiale, pour saluer une grande tante qui voulait me voir. Je m’exécutai sans sourciller.
Une fois sur les lieux, nous attendîmes les deux dames que j’avais vues sur la terrasse, l’une d’entre elles, était vêtue de rouge. Inquiète, mamie tenta de me rassurer et me fit entrer dans une case. Mon cœur se mit à battre la chamade à la vue de lames, couteaux, poudres et décoctions de tout genre.
Je n’étais pas sûre de comprendre ce qui se passait, mais je sentais que ma vie allait prendre mauvaise tournure.
Malheureusement, il était beaucoup trop tard, je ne pouvais plus m’échapper. Ni mes supplications, ni mes cris, ni mes larmes n’avaient d’effet sur mes bourreaux. Mamie ne cessait de me répéter en boucle : « Ina, c’est pour ton bien, tu verras, tu seras pure ! Une bonne femme pour ton mari et une excellente mère pour tes enfants, tu me remercieras demain ».
Pure ? Mais pure de quoi ? Qu’avais-je fait de mal ? Excellente épouse et mère ? En quoi est-ce que cela était utile à la gamine de dix ans que j’étais?
Je me débattais de toutes mes forces, mais je les sentais m’abandonner. Que pouvait une gamine aussi fine que moi face à trois corpulentes femmes ?
Malheureuse comme les pierres j’étais...
Complètement hébétée, je voulus comprendre ce qui se passait, je voulus savoir pourquoi elles s’acharnaient sur ma pauvre personne, mais mon cerveau répondait échec ! Aucune réponse possible !
D’un geste brusque, l’une des dames, me fit tomber et écarta mes jambes d’une rare violence. Elles les tenaient pour m’empêcher de bouger. Quant à mamie, elle me bâillonna, puis, me tenait les bras.
Une fois immobilisée, la dame vêtue de rouge se saisit d’un couteau et commença sa salle besogne. Je pouvais sentir à tout rompre le tranchant du couteau sur ma peau, dans ma chair, dans mon être, le sang giclait çà et là, telle une scène d’un film thriller. Ô ! Quelle douleur indescriptible !
Je ne comprenais pas pourquoi elles s’attardaient sur ces parties... ces parties de mon corps.
Maman ! Maman ! Viens me sauver !
Je ne sentais plus mon corps, j’étais comme anesthésiée, la douleur était si profonde, si intense...
J’avais l’impression d’être morte et de ne plus avoir possession de mon corps. Ce furent les derniers souvenirs de cette journée qui a vu basculer ma vie, ensuite de quoi, je me réveillai à l’hôpital.
Mon réveil fut bien douloureux, ponctué de pleurs lorsque mon regard croisa celui de maman. J’étais à la fois heureuse et désolée, mon entêtement avait bien failli me coûter la vie. Ses conseils d’avant notre départ me revenaient sans cesse en tête, et l’une de ses phrases m’assomma comme un coup de marteau : «Ina mon bébé, Ina ma vie (...) tu es mon seul enfant et je ne me le pardonnerais jamais si quelque chose t’arrivait (...)». Je refusais que maman se culpabilise, qu’elle se fasse du mal pour moi, car j’avais besoin de sa force pour m’en remettre. J’avais besoin de beaucoup plus d’amour, d’affection, de courage et surtout de prières.
Le traumatisme était tel, que je ne parvenais plus à m’exprimer, les mots ne sortaient pas. Et cette douleur... cette douleur... Atroce !
Quant à mon cerveau, il refusait toujours de coopérer... Échec !
Et pourtant ! J’avais tant à dire, tant de questions à poser à maman. Moi qui connaissais le corps humain dans son entièreté, j’avais fini par reconnaître les parties qui ne faisaient plus partir de moi, mais pas les causes qui avaient motivées mamie et ses consœurs.
Il m’a fallu plusieurs mois pour guérir des blessures physiques et comprendre que j’avais été victime d’excision. Oui, j’ai été EXCISÉE!
Puis quatre années, pour enfin briser la glace et en parler avec maman, entamer ma guérison psychologique.
٭٭٭
Quatorze ans... cet âge fut décisif pour moi, car je commençai à être "femme" avec l’arrivée des menstruations et le changement progressif de mon corps. Je ne m’acceptais pas, j’éprouvais tant de mépris et de dégoût pour "ce corps". Mon intimité avait été salie, mon existence souillée, mamie avait gâché ma vie. Tous ses arguments fallacieux ne justifiaient en aucun cas son acte.
À partir de ce jour, on m’a ôté le droit de choisir qui je voulais être...
À partir de ce jour, on m’a ôté mon droit à l’enfance...
À partir de ce jour, on m’a ôté mon droit d’être une Femme dans son entièreté...
Ô ! Quelle cruauté ! Quelle cruauté !
DIEU ne savait- il donc pas ce qu’il faisait à la création, Pour que des hommes puissent remettre en question son œuvre et la détruire ? Notre corps est semblable à un puzzle, une seule pièce manque et tout le jeu est incomplet.
Alors, pour que plus aucune fille ne soit excisée, en dépit des «traditions», à dix-huit, j’ai renoncé à mon rêve d’être pédiatre, pour faire carrière dans le droit, et m’ériger comme féministe.
Mon bâton de pèlerin en main, je suis prête à parcourir les quatre coins du globe terrestre, arpenter les chemins les plus tortueux et crier ma mésaventure à qui veut ou non l’entendre.
À sensibiliser, nos grands-mères, nos mères, nos tantes, nos sœurs, nos cousines, nos amies, singulièrement celles qui posent cet acte ignoble à leurs filles.
À discuter avec nos chefs coutumiers, nos grands-pères, nos pères, nos oncles, nos cousins, nos amis, qui cautionnent et encouragent encre cette pratique humiliante, honteuse et malsaine.
Les mentalités doivent changer, parce que les femmes tiennent ce monde. Sans prétention aucune, laissez-moi vous rappeler que sans femme il n’y a pas d’humanité.
Désormais, mon récit sera notre combat ! Le mien et celui de toutes ces filles, de toutes ces femmes de ce monde, susceptibles d’être excisées.
La salle se fit si silencieuse qu’on aurait entendu les mouches voler. Je venais de prendre la parole devant cette assemblée d’hommes et de femmes composée de médecins, activistes humanitaires, féministes, journalistes, politiques, étudiants... Tous réunis dans cette salle des congrès pour dire stop aux mutilations génitales, devant les regards émus de dame Sika, mon Héroïne et tata Célia.
Huit ans après ce drame, des larmes dans la voix, c’était la première fois que j’osais en parler publiquement.