Ma trace

 
Il est 6h et comme tous les matins, je me rend à pied chez la famille Lavigne pour laquelle je travaille comme femme de ménage.
Mon travail consiste à tout leur préparer pour leurs journées sans que quiconque s'aperçoive de ma venue, les invisibles comme ils nous appellent.
Ce « nous », c'est moi, ma mère, ma famille, nos voisins, tout les gens qui ne sont pas comme eux : riche.
Avant c'était ma mère qui travaillait chez les Lavigne, mais depuis qu'elle est tombée malade c'est moi qui y travaille. Cela rend ma mère extrêmement triste car je ne peux plus aller à l'école, alors que pour elle « l ‘éducation c'est l'avenir ». Étudier c'est avoir une chance de sortir des bidonvilles dans lesquels nous habitons. Malheureusement pour nous, à mes deux ans, mon père, sensé subvenir à nos besoins décida d'entamer une bouteille de whisky, qu'il n'a jamais refermé et on ne l'a pas revu depuis. Mon frère n'aide pas beaucoup non plus ; il est mauvais à l'école et collectionne les absences et les heures de colle. Quand ma mère a reçu son bulletin, la plupart des appréciations mentionnaient que les professeurs ne l'avaient jamais vu. Elle aurait pu le tuer sur place si ses yeux lançaient des flèches. Il ne reste donc dans ma petite famille que moi, plutôt douée à l'école mais obligée de travailler.
 

Les journées s'enchaînent, je vais travailler toute la journée puis rentre chez moi préparer le repas pour ma mère et mon frère qui revient toujours très tard dans la nuit. Un matin en me levant, je vois que l' assiette de pâtes que j'avais laissée la veille sur la table pour mon frère n'avait pas bougé. Étonnée, je rentre dans sa chambre, il n'est pas là. Inquiète, je parcours tout l'appartement, espérant le trouver vautré parterre. Je cherche, je cherche encore mais impossible de le trouver. Je suis déjà en retard, les Lavigne vont bientôt se réveiller mais rien n'est prêt. Je vais être sévèrement punie mais je continue à chercher. Vers midi ma mère se lève, réveillée par le vacarme produit. Je ne lui dit rien, je ne veux pas qu'elle s'inquiète. Elle est déjà assez étonnée de me trouver là, et je m'en vais sans un mot.
Le soir, en mangeant la nourriture laissée par mon frère, je trouve, caché sous les pâtes l'autographe de Belly Jack, le chanteur d'un groupe de rock d'invisibles, que mon frère adore. Ça ne peut pas être une coïncidence, cet autographe ne peut pas s'être retrouvé là par hasard, il y a forcément une explication, un indice. Je me rappelle alors que mon frère a des posters de BJ dans sa chambre. Dès que cette idée me traverse l'esprit, je me rue en manquant de m'étaler par terre dans sa chambre. Je rentre sans hésiter dans cette minuscule pièce aménagée avec un matelas, pleins de posters sont scotchés aux murs pour cacher la moisissure. Mes souvenirs sont bons, il y a bien un poster de BJ au dessus de son lit. Je m'en approche mais je ne trouve rien, je l'observe sous toutes les coutures mais ne repère absolument rien. Moi qui croyais avoir trouvé une piste me voilà bien, allongée sur son lit. Je réfléchis en observant les petits bouts de pâtes blanches utilisés pour accrocher l'affiche. Machinalement je les décolle et je regarde le poster de plus près à travers la lumière. On dirait des lettres mais elles sont à l'envers, par une idée de génie je retourne le poster et découvre ce que je cherchais.
« Je reviens bientôt Tkp,on sera heureux »
Juste en dessous est accrochée une liasse de billets contenant plus que mon salaire du mois.
 
Ma mère poussa cria, et j'avoue, que moi aussi ce bruit me fit tremblée. Vers 3h du matin un bruit extrêmement fort retentit dans toute la ville jusqu'au bidonville et fit trembler les frêles habitations.
Le journal télévisé de ce matin annonçait encore des milliers de morts suite au nombreux attentats de la nuit causés par la milice de l'égalité. Cette milice était une organisation nouvelle, supposée défendre les droits de l'homme donc des invisibles. A mon avis, « la fin ne justifie pas les moyens » : tuer des parents et des enfants, des gens innocents et prétendre défendre l'égalité sont des actions complètement opposées.
La demeure des Lavigne étant sûrement dans le quartier où la bombe a explosé, je ne travaille pas aujourd'hui. J'en profite donc pour avancer mon enquête. Deux semaines sont passées depuis sa disparition et je m'inquiète beaucoup.
Après avoir découvert l'argent, j'ai complètement retourné la chambre de mon frère. Cachée au dessus des plaques de tôle du toit, une boîte contenant un autre message.
« You are my sunshine »
Tu es mon soleil, une phrase qui veut tout et rien dire, très poétique ! Je ne comprenais pas du tout ce que le soleil venait faire dans mon histoire. Et je n'ai toujours pas compris...
Ma mère regarde encore le même documentaire sur les anciennes tribus qui vécurent ici il y a des décennies. Ma mère se sent souvent très seule, alors je me force à écouter le présentateur déballer son flot interminable. Je suis en train de me noyer quand une information attire mon attention. Il parle d'un procédé ancien d'écriture ne se révélant que quand le papier est brûlé. Je bondis alors du canapé, attrape un briquet, ma feuille dans la poche et cours dehors.
Sous la flamme ardente le papier révèle un lieu de rendez-vous :
« 23 place de la victoire »
Je regarde ma montre, puis pars en sprintant.
Il est là, encapuchonné, il m'attend. Il ne me demande pas comme je vais, il me serre juste dans ses bras. Il me soulève et se met à courir très vite vers la maison. Il m'ordonne de faire mon sac avec quelques affaires puis nous ressortons, ma mère sur son dos.
« - Je ne comprends pas mon fils, que fais-tu ?
-Je vois que tu as reçu mes indices Nour, maintenant laisse-moi vous expliquez mon absence. Je me suis engagé dans la milice de l'égalité ; ils offrent des places en France pour les familles comme la nôtre contre un service rendu...
-Quel genre de service ?
-Poser des bombes.
-Tuer des innocents ?
-Ce qui compte, c'est que nous partons pour un avenir meilleur ! »
 
 

MD
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