Ma plus belle idée

« L'avenir de la planète est entre vos mains » nous a dit la maîtresse. Alors j'ai bien observé les miennes et celle de Mathis, mon voisin de classe. Elles se ressemblaient vraiment, nos mains, avec leurs ongles noirs et leurs traces d'encre sur le bout des doigts. Mais je me demandais bien comment elles allaient pouvoir changer l'avenir de la planète, ces mains à l'arrière-goût terre-chocolat. Alors j'ai commencé à réfléchir.
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Il faut dire que j'ai connu le Covid en Maternelle et que le lavage de mains, c'est le grand sujet à la maison. A peine rentré de l'école, que ce soit maman ou papa, c'est toujours pareil : « avant toute chose, va te laver les mains ! ». Avant même les devoirs ! Ils sont fous ces parents, et comment on va faire pour économiser l'eau pour la planète ? 
Bingo ! J'avais ma première idée pour sauver notre bonne vieille Terre comme dit Gapé. Je me suis emparé de mon stylo vert et j'ai noté sur le tableau blanc magnétique qui trône au milieu du salon ma première super idée de sauveur masqué.
 
Idée numéro un pour sauver la planète : Ne plus se laver les mains.

Là, bien en évidence, cela devait faire tilt dans la tête de mes parents. Mais lorsqu'ils ont découvert ce début de programme, ils ne m'ont pas trop pris au sérieux. Maman m'a dit :
- C'est une bonne idée, mais commence par te laver les mains, frotte bien avec le savon et après, quand elles seront bien propres, tu pourras commencer à appliquer ton programme écologique. 
J'ai obéi et je me suis retrouvé bien embêté avec mes mains toutes propres que je n'allais plus pouvoir salir, jamais, jamais. C'était le prix à payer pour économiser l'eau. 
Et j'ai commencé à réfléchir à une autre idée qui passerait par mes mains.
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La maîtresse nous avait parlé de la pollution du numérique. Je n'avais pas tout compris mais en gros, il y avait des petits enfants et des gens pauvres à l'autre bout du monde qui travaillaient dans des mines, comme grand-papi Pierre autrefois, pour fabriquer les petites choses que l'on trouve dans le téléphone de mes parents. En gros.
Pour aider à faire cesser ce phénomène, j'ai donc trouvé une idée numéro deux : cacher leurs téléphones. Mais j'ai décidé de ne pas l'écrire au tableau, seulement dans mon cahier secret. Je sentais bien qu'ils n'étaient peut-être pas aussi motivés que moi pour garantir un bel avenir à la planète. 
D'ailleurs, quand la maîtresse avait dit dans vos mains, elle s'adressait aux CE1B et uniquement aux CE1B. Donc c'est normal que papa et maman aient eu un peu de mal à accepter que je leur confisque leurs téléphones.
Je voulais leur enlever définitivement mais je n'ai pas réussi, ils ont négocié, et j'ai quand même pu les garder trente minutes. C'était déjà beaucoup pour eux, si vous saviez. 

Même si j'avais envie de bien faire, il fallait se rendre à l'évidence, les adultes ne l'entendraient pas de cette oreille, et ce serait difficile de les faire changer. Comme quand je leur ai demandé de m'emmener à pied au taekwondo plutôt qu'en voiture. J'ai bien vu que ça embêtait papa qui allait devoir perdre vingt minutes au lieu de cinq. J'ai tout de même écrit l'idée sur le tableau pour quand il se sentirait prêt. Pareil pour les compotes « maison » qui sont meilleures pour la planète que celles du supermarché et tout et tout. 
A la fin, ça faisait une longue liste d'idées et même si mes parents ne voulaient pas trop les appliquer, j'ai bien vu qu'ils étaient fiers et qu'ils m'encourageaient à continuer. Ils ont dit que j'étais le nouveau Grettatounebergue. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire, mais dans leur bouche, j'ai senti que c'était plutôt un compliment. 
Et puis j'ai encore réfléchi.
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Entre mes mains, il y avait ces crayons qui m'avaient permis de noter toutes mes idées. Entre mes mains, il y avait aussi les petits plants de tomates que j'avais plantés avec gapé dans le jardin. Et les châtaignes que l'on avait ramassées en forêt pour les faire griller le soir. 
Dans mes mains, il pouvait y avoir tout ce que je voulais finalement, parce que c'était ma tête et mes pensées qui les commandaient. Alors c'est cette seule idée-là que j'ai décidé de garder pour l'avenir de la planète. 

Et puis aussi la première, celle de ne plus me laver les mains, mais chut... Ne dites rien à mes parents !
 
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