Il était neuf heures du soir et la tempête hurlait. Ma mère hurlait aussi, car tout se passait fort mal. Mon bras droit s’était replié au-dessus de ma tête et je n’arrivais pas à sortir de son ventre. Nous habitions une si petite ville, que bien des femmes choisissaient de donner naissance chez elles. La sage-femme, prise de panique, était allée chercher le docteur puis, prétextant une autre naissance, l’avait laissé se débrouiller tout seul. Sous la lumière faiblarde et jaunâtre d’une ampoule de quarante watts, et pendant que les bourrasques faisaient trembler tout le village, le jeune médecin tirait, coupait, épongeait et finissait par extirper de ma mère un petit animal tout sanglant et tout noir que mon père s’empressa de baptiser en tremblant. Le docteur coupa le cordon ombilical, et me jetant presque au pied du lit, se mit à faire des points de suture à ma mère qui, heureusement pour elle, venait de s’évanouir ; mais ma grand-mère, petite bonne femme d’un mètre cinquante, ne voyait pas du tout les choses de cet œil-là. Elle savait qu’en ces circonstances, c’est le bébé qui compte, pas la mère. “Docteur, occupez-vous de l’enfant.” Prononça-t-elle d’une voix claire, sèche et autoritaire.
“L’enfant est morte, Madame. Je m’occupe d’abord de la mère.” La voix de ma grand-mère monta d’un ton : “J’ai dit : occupez-vous de l’enfant.”
Fatigué, irrité, le docteur la regarda bien dans les yeux. “L’enfant est si noire que même si elle n’est pas morte, son cerveau est peut-être endommagé, et elle ne sera jamais normale. Pendant ce temps, sa mère est en train de mourir d’hémorragie. Si je m’occupe du bébé, vous aurez la mort de votre fille sur la conscience. Est-ce que je m’exprime clairement ?”
“Occupez-vous de l’enfant.”
“Non.”
Le docteur voulut se retourner vers ma mère, mais il n’en eut pas le temps : il avait reçu une magistrale paire de claques. Tremblant de rage, ma grand-mère, dure comme de l’acier, hurla, son bras tendu vers moi, “L’enfant.”
Subjugué par cette autorité instinctive, le docteur plaça son stéthoscope sur ma poitrine. “Nom de Dieu, elle vit !”
“L’enfant est morte, Madame. Je m’occupe d’abord de la mère.” La voix de ma grand-mère monta d’un ton : “J’ai dit : occupez-vous de l’enfant.”
Fatigué, irrité, le docteur la regarda bien dans les yeux. “L’enfant est si noire que même si elle n’est pas morte, son cerveau est peut-être endommagé, et elle ne sera jamais normale. Pendant ce temps, sa mère est en train de mourir d’hémorragie. Si je m’occupe du bébé, vous aurez la mort de votre fille sur la conscience. Est-ce que je m’exprime clairement ?”
“Occupez-vous de l’enfant.”
“Non.”
Le docteur voulut se retourner vers ma mère, mais il n’en eut pas le temps : il avait reçu une magistrale paire de claques. Tremblant de rage, ma grand-mère, dure comme de l’acier, hurla, son bras tendu vers moi, “L’enfant.”
Subjugué par cette autorité instinctive, le docteur plaça son stéthoscope sur ma poitrine. “Nom de Dieu, elle vit !”