Lune Bleue

La forêt bruisse dans le vent. On dirait qu'elle respire. La lune est pleine ce soir et la trace brille doucement sur le rocher. À chaque lune bleue, elle s'éteint un peu plus. La mémoire d'un peuple s'éteindra-t-il bientôt ?
Le chant cesse brusquement. Le loup est mort. C'est fini. Pourtant la trace brille encore doucement.
 
 
Kélia grommelle, elle s'est perdue. La forêt autour est inquiétante. Cette ambiance crépusculaire lui fait froid dans le dos. Nous sommes au XXI ème siècle, les GPS sont sensés fonctionner. Mais non, le sien ne l'entend pas de cette oreille. C'est quand même pas de bol ! Kélia continue de marcher en râlant. Soudain elle s‘arrête. Cette clairière est encore plus étrange que les autres et plus petite. Les arbres se croisent et s'entre mêlent pour former un mur. Au centre il y a un dolmen gravé sur lequel se pose doucement les rayons de lune. C'est étrange car Kélia comprend ce qu'il y est écrit. Pourtant elle ne les a jamais vu ailleurs. Ces runes content l'histoire d'un peuple oublié, mi humain-mi animaux qui s'était réfugié dans les forêts et les montagnes à l'arrivée d'autres bipèdes aux intentions dévastatrices. La mémoire et le pouvoir de ce peuple seraient préservés dans une trace. Si un Kéhéliain touche cette trace il se transforme en animal. Si le dernier membre de ce peuple meurt, la trace s'éteindra à jamais.
Le cœur de la jeune fille fit un bon dans sa poitrine. « Kélia !» ça ressemble à « Kéhéliain ». Elle posa sa main sur la pierre. Il y eu un éclair. Le hululement d'un hibou rompit le silence et Kélia s'envola dans la nuit.
 
 
Le vent ébouriffe ses plumes, la nuit l'enveloppe doucement dans son manteau d'étoiles. Le bruit d'un rongeur qui sort de son terrier rappelle à la jeune fille sa « faim de loup » ou plutôt de hibou. Elle se pose, écoute, regarde et sent. Soudain, elle fonce sur sa proie, « clac ! ». Son bec se referme sur un campagnol. « Miam ! ».
Kélia écoute les bruits alentours : les bruissements des feuilles au vent, les branches qui craquent sous les pas d'un renard. Elle repart en chasse.
 
 
Au petit matin, Kélia se réveille sur... la plus haute branche d'un chêne. Sa première pensée fut : « qu'est-ce que je fais là ? ». Puis les souvenirs de cette nuit lui reviennent : la transformation, la chasse...
Donc je suis une Kéhéliaine et j'ai mangé un campagnol, se résume-t-elle « Beurk ! »
Une multitude de questions l'assaillent. Suis-je la seule Kéhéliaine ? Pourquoi moi ? Mes parents étaient-ils au courant ? Sinon pourquoi m'appeler ainsi ?
Avant de mourir, les parents de la jeune fille avaient laissé une lettre précisant son prénom et une mystérieuse énigme : « Quand la lune sera bleue sur les ténèbres, retrouve la louve grise à minuit».
La louve grise. Kélia la connait bien. C'est une vieille femme aux cheveux gris. On l'appelle comme ça au village parce qu'elle aime les loups. Elle habite dans une petite maison en lisière de forêt.
 
 
Minuit...
Kélia entre par la fenêtre, le salon est petit : un canapé, un fauteuil, une photo de famille et un tableau représentant un loup adulte à la fourrure grise devant une cascade. La gravure est d'un réalisme à couper le souffle. On pourrait presque croire qu'en tendant la main, on va le toucher.
La jeune fille observe le second loup, bien réel cette fois, couché sur le canapé et qui semble lui sourire. En fait, c'est une louve à la fourrure grise et aux yeux pétillants. Elle croise son regard. Ce regard si bleu, si beau et si pur. À cet instant, Kélia se métamorphose. Ensemble, elles franchissent la fenêtre, elle court, elle vole, elles sortent du village, des routes, des champs, des sentiers et enfin des regards humains. Elles passent ensemble sous la lune.
 
« Élan de vie,
Instants figés,
Lune bleue. »
 
 
Une jeune fille et une vieille femme sont assissent dans une clairière. Autour d'elles, la forêt respire. La vielle femme aux cheveux gris murmure : « je vais te raconter l'histoire de notre peuple. Elle va te plaire. »
 
La lune est bleue ce soir. Ses rayons éclairent doucement la trace qui continue de briller.
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