Lui

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître » Je lui dis ces mots sans jamais détourner le regard. Comment peutil se dresser aussi fièrement devant moi ? Après sa trahison. Nous étions amis et frères. En ce moment, nous ne sommes plus que maitre et esclave. Mais jamais je ne l'appellerai « Maitre ». Ce mot, je ne l'ai jamais prononcé autrement qu'avec dégout, sous la contrainte et la torture. Il le sait. Il me provoque. Il veut que ce soit moi qui coupe le lien qui existe entre nous. Je ne lui ferai pas ce plaisir. C'est lui qui nous a trahi. C'est à lui de décider de finir ce qu'il a commencé. Je n'avais que 10 ans quand nous nous sommes rencontrés. « Il parait que nos nouveaux maîtres sont plus gentils » avait dit maman le jour de leur arrivée. Je n'y croyais pas. Mais qui étais-je pour lui enlever cette espoir ? La vie ne nous avait pas fait de cadeaux : capturés puis vendus. La seule chose qui nous a aidé à tenir, c'est qu'ils ne nous ont pas séparés, Maman et moi. Cela n'a pas été facile. Ils lui ont fait du mal pour avoir osée défendre son enfant. Maman disait que cela en valait la peine. Nous étions ensemble. Maltraités, mais nous étions encore ensemble. « Tu te soumettras ou tu mourras » dit-il, ce traitre. Nous en sommes là parce que je lui ai fait confiance. Parce que je me suis détourné de mes propres règles.Quand tout cette horreur a commencé, je me suis juré de ne jamais faire confiance à ces autres. Ces hommes qui capturent, blessent et tuent leur « semblables ». La personne qui me fait face a été le seul en qui j'avais confiance. A 10 ans, nous étions des enfants. Malgré cela, je n'avais plus cette insouciance. Celle que l'on ressent à cet âge. C'était lui qui me l'avais rappelée. Je le voyais d'un mauvais œil, lui et ces approches supposés être de la gentillesse. Il nous avait fallu du temps pour nous rapprocher. Quand maman nous a quittés, emporté par la maladie, il a été là. Il m'a épaulé. Voilà pourquoi je me suis ouvert à lui. Nous avions fini par nous faire des promesses. Il me disait qu'il était différent, qu'il allait nous aidez. Ce n'était que des promesses après tout. Il pouvait les rompre comme bon lui semblait. Il n'avait plus rien de l'ami que je connaissais. Quand la résistance a commencé, j'ai hésité à lui en parler. Mais j'avais fini par le faire. C'est mon frère. Du moins, il l'était. Chaque détail mise à ma connaissance, il l'apprenait également. J'ai trahi les miens sans le savoir à chaque fois que j'allais le retrouver. Il les transmettait à son père qui les transmettais à je ne sais qui. Au final, tout s'est écroulés. Nos espoirs, nos attentes, nos désirs, tout a été réduit en cendre. Par ma faute. Parce qu'il m'avait fait croire en quelque chose que je n'avais plus aspirés à connaitre dans cette vie : les sentiments.
« Tuez-moi ! Grâce à cela vous arrivez à dormir la nuit. Sans craindre que ce soit moi qui ne vous tue de mes propres mains. Tuezmoi ! » Il a l'air étonné par mes mots. S'attendait-il à ce que je me soumette ? Pour si peu. « Tu devrais me remercier de t'avoir sauvé la vie ! ». Ma vie m'importe si peu depuis que j'ai assisté au massacre des miens. « TU DEVRAIS ME REMERCIER ! » « Je le ferai. Quand vous me regarderez droit dans les yeux avant de me tirerez une balle. » lui dis-je. « Tiens-tu tellement à mourir ? Vous auriez perdu. Même sans les informations que tu m'as transmises. » Traitre. Traitre. Traitre. Voilà tout ce qui me trotte dans la tête à mesure qu'il essaie de se justifier. « Je ne sais même pas pourquoi j'essaie de t'aider. A l'évidence, ce n'est pas ce que tu veux. Peut-être est-ce ma conscience ? » Il mentait. Ce n'était pas seulement sa conscience. Ce que nous avions était fort. Du moins, il l'était de mon côté. « Je vais te donner ce que tu veux. Je ne serais pas ton maître. Rien que de te voir m'insupporte. » Intérieurement, je souris. Je vais rejoindre maman. Je vais rejoindre mes véritables frères. Cependant, il continue : « Je ne serais pas ton maître, pour l'instant. Je t'envoie dans les plantations de mon oncle. »
Et il sourit. « Peut-être seras tu plus docile après ton séjour » dit-il avant de quitter ma cellule. Il sait que ce n'ai pas ce que je veux mais il souhaite me faire réagir, me faire supplier pour ma mort. C'est sa manière de me punir de l'obliger à rompre notre lien lui-même. Mais je préfère cela que de trahir mes frères encore plus. Je préfère lui laisser le choix de détruire ce que nous avons. Il a beau montré ce masque cruel, je suis convaincu, au fond de moi que cela lui pèse. Je sais également que son oncle ne me laissera même pas franchir le portail de son domaine avant de me tuer. Je le sais. Car il m'a dit : « Ce n'est pas parce que tu es sous sa protection que tu seras en sécurité ». Il avait les larmes aux yeux, nous avions tués son fils lors de la bataille. Il allait m'achever. Il me croyait sous protection mais à présent mon sort dépend de lui. Je n'ai pas peur. Ce n'est qu'une question de temps avant d'être là où je le souhaite. Avec eux. Lui, il croit que nous allons nous revoir qu'il obtiendra un esclave obéissant. Pourtant, c'était nos derniers moments. Je souris réellement cette fois. Il croit qu'il n'aura pas ma mort sur la conscience. Il ne le veut pas mais c'est ce qui va se passer. Au lever du jour, je suis trainé de ma cellule pour être emmenés. Je regarde une dernière fois ce lieu. J'y ai vécu de bon moment malgré tout. Je le quitte tranquille, le cœur léger, près à accueillir ma fin. Je me suis endormis en chemin. C'est leur homme de main, celui qui a été chargé de « m'accompagner » pour ce voyage, qui me réveille. Le soleil ira bientôt se coucher. « Sors de là. Nous y sommes. » Non, nous sommes au port. Lequel ? Je l'ignore. « Monsieur a fait jouer ses relations. Tu retournes chez toi. » « Où ? » fut tout ce que je pus souffler. « Chez toi. Avec ton peuple. Là où ces hommes sont allés vous chercher. Le bateau part dans une heure » répond-il avant de me mener vers l'engin. Je ne sais pas ce que je dois ressentir à cet instant. Je vais rentrer. Chez moi ? Ce n'est chez moi. Je ne suis plus des leurs. Je ne me souviens même pas de mon ancien nom. Et je ne veux plus me souvenir de celui qu'ils m'ont donné ici. Alors je pars. Au lieu de « rentrer chez moi », je leur demande me déposer quelque part où je pourrais recommencer. Ils le font. Parce que IL a payé. Lui... Je lui en veux toutefois il restera toujours mon frère. Un traitre et un frère. C'est contradictoire mais c'est ce que mon cœur me dit. Je l'ai choisi en tant que frère. Il le sera toujours.