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Nouvelles :
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Comme chaque dimanche, mon réveil sonna à huit heures. Après une douche rapide, je gagnai le rez-de-chaussée. Je levai les persiennes avant de retrouver Mikado dans la cuisine. Je lui préparai une ration de viande de bœuf crue mélangée à du riz et des carottes et changeai son eau. Puis, sans prendre le temps de m'asseoir, je pris mon petit-déjeuner, debout face au comptoir. Je tartinai mes biscottes d'une bonne couche de confiture de coings et les accompagnai d'un expresso.
À huit heures et demie, nous étions prêts. Mikado avait méticuleusement vidé sa gamelle. Le bar était débarrassé de ses miettes. Ma tasse lavée reposait sur l'égouttoir. Après avoir enfilé une veste et mis la laisse à mon chien, je suis sorti. Je remontai le boulevard Voltaire avant de bifurquer vers la place Salvator Allende. Les rues étaient calmes à cette heure matinale. Peu de voitures circulaient et je n'avais croisé que de rares passants, revenant pour la plupart de la boulangerie, une baguette sous le bras. Mikado commençait à tirer sur sa laisse en humant l'air, impatient d'arriver à destination. Je traversai la place et dépassai le commerce et ses odeurs gourmandes. J'obliquai rue Soufflot et après quelques mètres, je le vis se profiler à l'horizon.
Le portail vert canard grinça légèrement lorsque je le poussai. Je m'engageai sur l'allée de graviers serpentant entre les plantations. J'aimais venir me promener dans ce parc. C'était devenu un rituel hebdomadaire depuis que Mikado partageait ma vie. Je longeai une haie de viorne mancienne dont le feuillage commençait à rougir puis je tournai sur ma gauche. La voie s'élargissait alors en s'avançant vers un lac. Je dépassai des chênes, puis des aulnes pour arriver, enfin, sur les bords de la berge où des saules trempaient leurs pieds dans l'eau calme. Le chemin faisait le tour du plan d'eau. Comme à mon habitude, je choisis de faire le circuit en bifurquant à droite.
Après une dizaine de mètres, nous arrivâmes au niveau du premier banc. Une femme d'une trentaine d'années y était assise. Petite et légèrement enveloppée, elle n'en était pas moins ravissante. Des cheveux ondulés lui tombaient aux épaules, donnant à son visage une apparence angélique. J'avais pris l'habitude de la croiser dans ce parc, toujours installée au même endroit. J'ignorais tout de la jeune femme. Pourtant, à chacune de nos rencontres, mon cœur s'emballait, mais, grand timide, je la saluais sans jamais oser engager la conversation. Je poursuivais alors ma promenade, un peu triste.
Aujourd'hui pourtant, je me sentais pousser des ailes. Je m'immobilisai devant la jeune femme, la saluai puis me penchai pour tapoter le flan de Mikado. Celui-ci me regarda en remuant son arrière-train, heureux.
— Je pense que mon chien vous aime bien, dis-je en me redressant.
— Vraiment ? répondit la jeune femme, visiblement amusée.
Elle l'observa puis ajouta :
— Je pense que je l'aime bien, moi aussi. Il a une bonne tête. Ce doit être un bon et fidèle compagnon.
— Il l'est, effectivement.
— Avez-vous remarqué que les chiens ressemblent souvent à leurs maîtres ?
— C'est possible, répondis-je. Je n'y ai jamais prêté attention.
Il était temps que je me jette à l'eau et que je propose à celle qui faisait battre mon cœur de faire plus ample connaissance autour d'un verre.
— Aimeriez-vous venir...
La panique s'empara de moi. Je ne parvenais pas à finir ma phrase.
— Venir où ? m'interrogea la jeune femme, visiblement étonnée.
—...
— Vous ne dites plus rien. Il y a un problème ?
— Pas du tout. Je me disais que peut-être vous aimeriez venir caresser mon chien ? C'est un vrai nounours. Il s'appelle Mikado.
— Avec plaisir, me répondit la jeune femme qui, après avoir déposé son livre, vint câliner l'animal.
— Vous avez raison, c'est une pâte ce chien.
— Bon dimanche, marmonnai-je.
La jeune femme me jeta un regard surpris. Je m'éloignai rapidement. Mes ailes s'étaient volatilisées. Je me disais que peut-être vous aimeriez venir caresser mon chien ? Ridicule ! Et pourquoi pas une partie de Scrabble tant que j'y étais ?
Je n'étais qu'un couard. Depuis que Daniella m'avait quitté pour son dentiste, ma confiance s'était grandement effilochée. Je n'avais plus qu'une envie, sortir de ce parc pour ne plus jamais y remettre les pieds.
Le lac n'était pas bien grand. Alors que j'en avais presque fini le tour, une sensation étrange m'envahit. Quelque chose me manquait. Je m'arrêtai et fouillai mes poches. Mon portefeuille et mes clés étaient toujours là. Cela ne m'apaisa pas pour autant. Je me sentais vide, comme dépossédé d'un élément primordial. Plongé dans mes pensées, je n'avais pas remarqué le comportement étrange de mon chien. Ce sont ses grognements qui attirèrent mon attention. Mikado me fixait d'un œil mauvais, les babines retroussées. « Qu'est-ce qui te prend Mikado ? » Fut-ce le son de ma voix qui le calma ? Mon chien avait cessé de gronder et se frottait contre mes jambes, en me reniflant. Je m'accroupis et le rassurai. « Tout va bien, Mikado. » Mon animal de compagnie retrouva sa bonhomie et sautilla autour de moi. « Du calme, voy... » Je ne finis pas ma phrase. Je venais de comprendre ce qui avait perturbé Mikado. Au sol, seule son ombre était visible. Médusé, je me redressai et fis un tour sur moi-même. Rien. Mon ombre avait disparu. Je revins sur mes pas et me mis à fouiller les arbustes bordant le chemin. Même si l'idée paraissait saugrenue, peut-être que mon ombre était restée accrochée à l'une des branches. Je me penchai, écartai les feuillages, mais il me fut impossible de mettre la main dessus. Je soupirai. Je ne pouvais rester sans ombre. Son absence me dévorait. Le vide que je ressentais prenait de plus en plus de place. Bientôt, je ne serai plus qu'un trou béant. J'étais complètement abattu.
Mikado me tira de ma torpeur. Il me regardait en aboyant puis avançait dans l'allée, se retournait et aboyait à nouveau. Visiblement, il voulait que je le suive. « Qu'y a-t-il y a, mon chien ? Tu sais où est mon ombre ? » me mis-je à espérer. « Cherche Mikado ! Cherche ! » Il s'élança sur le chemin. « Attends-moi ! » Je me mis à sa poursuite avec l'idée folle que mon chien allait me mener jusqu'à mon ombre. Après quelques minutes de course, Mikado ralentit l'allure et se remit à grogner. Devant nous, la femme du banc avançait dans notre direction. En nous voyant, elle me fit signe de la main puis me cria :
— Vous allez me prendre pour une dingue, mais figurez-vous que j'ai perdu...
— Votre ombre, la coupai-je.
— Ne me dites pas que vous aussi... Oh misère, gémit-elle en posant ses yeux au sol. Mais que nous arrive-t-il ?
— Je l'ignore, mais je pense que Mikado sait où est mon ombre. Si j'ai raison, il retrouvera la vôtre également, ne vous inquiétez pas. À propos, moi, c'est Justin.
— Et moi, Noémie.
Mon chien nous attendait en aboyant, visiblement impatient.
— Enchanté Noémie. Venez ! Nous sommes là, Mikado. Va mon chien ! Cherche !
L'animal ne se fit pas prier. Il repartit au pas de course. Noémie et moi le suivîmes.
Nous arrivions au niveau du fameux banc où la jeune femme avait l'habitude de s'asseoir lorsque Mikado quitta le chemin pour se diriger vers l'herbe grasse bordant le lac. Il s'approcha d'un saule pleureur, s'assit et aboya en fixant l'arbre.
— Qu'y a-t-il mon chien ? Qu'as-tu trouvé ?
Je fixai l'arbre, mais ne vis rien de particulier.
— Là ! s'exclama Noémie.
— Vous avez vu quelque chose ?
— Oui, regardez, au bord de l'eau, à gauche du tronc. Vous les voyez ?
Oui, elles étaient là nos ombres. Avec le jeu du soleil et du vent dans les branches du saule, elles semblaient habillées de zébrures mouvantes. Assises l'une contre l'autre, la tête de l'ombre de Noémie reposait sur l'épaule de la mienne. Je regardai la jeune femme. Celle-ci observait la scène en souriant. Je lui tendis la main. Lorsque nos doigts se touchèrent, nos ombres voletèrent dans un tourbillon avant de revenir prendre leurs places.
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Pourquoi on a aimé ?
Et si nos ombres avaient le pouvoir espiègle de jouer les entremetteuses ? C’est ce qu’imagine joliment cette histoire d’amour simple
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