Cela a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. J'étais nue dans ses bras. Je sentais son souffle au creux de mon épaule...Un souffle si brûlant qu'il m'était impossible de ne pas reconnaître. Je m'étais mise à frémir, comme toutes ces fois où il s'apprêtait à graver des histoires sur mon corps.Cette nuit là, il avait introduit son récit par une étreinte à la majuscule. Il me serrait tellement fort que j'en avais du mal à respirer. Je gémissais afin de lui faire part de mon inconfort, pourtant, ma tentative n'eut pas aboutie. J'allais me retourner vers lui quand je sentis des gribouillis de larmes s'inscrire sur ma nuque, allant jusqu'à mon dos...Il poursuivit par un paragraphe de griffures tout le long de mes bras. Sa narration prit fin avec un saignement bénin ; m'envahissant d'une douleur atroce. Il écrivait sur ma peau même en plein sommeil...Et maintenant, j'ai les marques de son terrible cauchemar sous mon pull : de jolies cicatrices en prose.Ce ne fut pas la première fois qu'il m'assujettit à un pamphlet. Contrairement à moi, il s'en sort toujours indemne après m'avoir conté des horreurs ; il n'éprouve ni remord ni culpabilité. Il lui suffit de me faire les yeux doux pour alléger mon supplice. Et puis il y a ce merveilleux sourire qui se traduit par : « J'ai tant à te raconter. Prépare-moi une nouvelle page. » Il n'est pas un auteur ordinaire. Il ne se contente pas de noircir les pages. Il les rougit en me laissant des hématomes...Il les bleuit en me donnant des coups, mais il sait aussi bien les rosir par des mots et des gestes d'amour lorsque ses démons se calment.L'amour...Il l'orthographie avec plus de consonnes que de voyelles. Les consonnes ont du mal à sortir de la bouche, comme il a du mal à témoigner de la tendresse. Néanmoins, j'apprécie les chapitres remplis de chatouilles, qu'il ponctue habituellement de quelques baisers avec de légers pincements comme trope. L'effleurement de ses cheveux restera le meilleur des prologues et la douceur de ses caresses le plus beau des épilogues. Il a toujours voulu être un écrivain. Le fait de se réfugier dans des mots le fascine puisqu'il s'est longtemps senti incompris. Il avait déjà travaillé sur quelques romans, mais ils n'ont suscité que les refus des maisons d'éditions...ainsi qu'une profonde mélancolie. Je n'ai jamais eu l'occasion de lire ses manuscrits, il avait certainement trop de fierté pour me les montrer. Malgré cela, j'ai pu comprendre que les sens lui étaient plus familier que les mots. Il s'exprime mieux par le toucher que par des phrases longuement élaborées. Il n'a jamais eu le besoin de me donner telle ou telle explication pour la manière dont il se comporte. Comme par magie, je ressens tout lorsqu'il me frôle la peau, c'est comme une illumination.J'ignore ce qu'éprouve une feuille à l'approche d'une plume mais mes ressentiments sont si grandioses lorsque l'encre de son essence parcoure mon épiderme. Je suis la feuille, il est la plume...Ma plume. Il m'étale ses joies, ses colères , ses tristesses, ses désirs, ses rêves, ses faiblesses...Je me tatoue ses œuvres aigre-doux et j'en suis ravie quoique , cela me chamboule bien des fois.J'ai non seulement la peau mais aussi l'âme déchiré lorsqu'il me narre ses échecs. Il me communique l'agitation de son être. Le fantôme de ses romans le hantent...Et en ces moments, je n'ai qu'une envie, c'est de lui dire tout haut ce que je pense : « Jared, je me moque pas mal de ce qu'ils pensent de tes écrits. Je me fiche de leur cécité et de leur incompréhension. Je ne fais pas que te lire, je te ressens. Tu as cette façon unique de façonner tes histoires , tu ne le fais comme personne d'autre. Et s'il le faut, je sacrifierai chaque centimètre carré de ma peau afin que ton art s'épanouisse. Tu es l'écrivain qui ravive mes sens. Tu me ramènes à la vie , même à travers la violence. Et rien que pour toi, je serai le plus beau des manuscrits. »