Cela fait déjà treize jours que chaque soir, Margot se retrouve nez à nez avec cette trace et que, chaque matin quand elle se réveille, elle n'y est plus. La première nuit, elle s'était rassurée en se disant que ce n'était qu'une hallucination. Vous savez, c'est une de ces traces de mains ensanglantées qui vous figent sur place... mais celle-ci était invisible le jour. Elle suintait le soir sur la vitre de la chambre de Margot, qui n'arrivait pas à donner un sens à cette vision.
Mais ce soir là était étrange. Quand Margot aperçut dans l'obscurité de minuit cette empreinte de main, un frisson glacé la traversa. À 23h59, elle ne dormait pas encore, car ce sang qui ruisselait venant de nulle part lui faisait de plus en plus peur. Plus elle y pensait, plus elle se sentait faible, vulnérable, dans un tête à tête avec l'impossible qui semblait l'appeler dans un autre monde.
Elle avait décidé d'en avoir le cœur net, d'en finir avec cette trace qui la hantait sans arrêt. Elle attrapa une lampe torche dans sa table de nuit et s'approcha, non sans méfiance. Elle tenait devant son cœur un livre bien épais pour se protéger de toute chose qui pourrait la traverser, car cette main ne cessant de couler sur sa fenêtre ne lui faisait penser à autre chose qu'à un tueur en série qui voudrait l'attirer dans son piège.
C'est alors que l'inimaginable se produisit, comme si on se trouvait dans un film d'horreur et de fiction en même temps.
Un instant, Margot sentit un vent froid digne d'une tempête en furie entrer dans sa chambre, aspirant sur son passage des feuilles de dessin, des livres, même des meubles étaient pris dans une tornade folle, toute sa vie tournait autour d'elle comme une toupie. Notre fillette voulait reculer, revenir en arrière, et que cette trace de main rouge foncé s'efface, comme si on avait fait une faute d'orthographe sur un cahier et que l'on voulait la réécrire correctement. Mais rien ne pouvait retenir Margot, et elle se sentit aspirée dans l'empreinte qui brillait presque dans la nuit. Des larmes mouillaient sans arrêt ses joues pâles de terreur. Et dans un dernier cri, elle traversa comme par magie la fenêtre, passant à travers la main qui semblait l'empoigner.
Elle rapetissait petit à petit pour passer à travers la trace rouge. En un éclair elle se retrouva assise dans un jardin en friche, apparemment abandonné.
Elle se retourna pour examiner les alentours et découvrit une maison peinte en noir dont les planches de bois se décrochaient tant elle paraissait vieille. On aurait cru qu'elle avait au moins 1000 ans.
Elle se laissa tomber au sol, épuisée par ce voyage sans fin et les gouttes d'eau salées qui continuaient de dégouliner sur son visage achevaient de l'exténuer.
Après un long soupir, elle leva des yeux brillants amplis de tristesse vers les cieux ; de légères nues masquaient l'éclat des étoiles. Tout paraissait sombre autour d'elle. Les idées et angoisses contenues dans la tête de Margot étaient à présent floues, incertaines. Elle était perdue.
Puis, le trou noir.
Margot ouvrit ses délicates paupières avec une infinie précaution. Elle était allongée sur un sofa délavé qui laissait traverser des épais ressorts.
« Alors, comme ça on entre chez les gens sans sonner ? » a dit une voix dans la pièce. D'un coup elle prit peur : elle n'était pas seule. Elle regarda autour d'elle pour voir de qui il s'agissait, mais ne vit personne. Avait-elle rêvé ?
Un léger vent frôla ses épaules et agita sa chevelure brune.
« Qui est là ? » réussit-elle à articuler en tremblant. Mais seul l'écho des murs lui répondit.
Malgré la transparence de son interlocuteur, Margot distinguait péniblement une ombre de forme inhumaine qui faisait des va et vient dans la salle plongée dans l'ombre. Un coup de tonnerre retentit. Les nuages du passé s'étaient rassemblés pour donner un orage grondant dans la nuit.
« Montrez-vous ! » suppliait Margot d'une voix presque inaudible.
Une silhouette jaunâtre et chancelante apparut dans l'obscurité de minuit tandis que le ciel continuait de se déchirer, embrasant la pièce de ses éclairs mauves. La flamme qui était auparavant à plusieurs mètres d'elle était maintenant plantée en face de la collégienne.
Cette lueur à présent semblable à du feu ouvrit ce qui ressemblait à une bouche béante, dévoilant une grande rangée de crocs et mordit Margot, déjà en train de s'évanouir.
Lorsqu'on la secoua, elle était attachée à un lit. Autour d'elle se trouvait comme une réunion de flammes orangées, qui attendaient impatiemment qu'elle se réveille.
« Qui es-tu, jeune étrangère ? Que viens-tu faire dans le royaume des morts, ici, aux enfers ? demanda une première flamme.
Où suis-je ? » se contenta de répondre Margot. Elle perçut une voix presque inaudible :
« Maître, même elle ne sait pas où elle se trouve. Elle ne pourra pas nous informer sur ses terres, tout comme nous ne nous confions pas aux vivants ! Nous ferions mieux de la relâcher, avant qu'on s'aperçoive qu'elle a disparu... si vous le désirez. »
Malgré elle, Margot avait l'impression que tout allait devenir plus clair et qu'elle allait finir par s'en sortir. Après tout, la vie n'est qu'un assemblage de hauts et de bas, mais au final on s'en sort toujours !
On lui dit : « Bien, après une décision commune, nous te laissons repartir dans le monde des vivants. Mais n'oublie jamais ce voyage au pays des morts, car nous sommes là éternellement, et nous en voulons toujours aux Hommes... La fin n'est pas encore arrivée, un jour viendra où nous combattrons les vivants, et ce jour là sera un jour de gloire pour nous ! Ne l'oublie pas... nous reviendrons. »
Margot s'éveilla en sursaut, des gouttes de sueur perlant sur son front. Sa mère attendait qu'elle se réveille pour l'aider à se lever.
« J'ai fait un drôle de cauchemar cette nuit, dit Margot. C'était une trace de main... ».