Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. J'ai les ténèbres qui ont élu domicile en moi depuis quelques temps. Je les sens m'envahir sans compassion et le décor à l’extérieur ne m’intéresse plus. Lorsque je me réveille d’une nuit longue, il n'y a plus de soleil qui qui frappe les carreaux de mon âme à petits coups ou s'infiltre par tous les interstices. Je ne sais plus jamais quel jour on est. Il y a quelques temps que j'ai perdu l’habitude d'identifier les jours, ils sont tous jumeaux. Ils se donnent la main et forment un cercle infernal dans lequel je reste prisonnier.
Je n'ai plus la tête pour charpenter des projets. Je ne dirai pas que mes journées pètent la forme mais je déteste beaucoup plus les nuits à présent. Au soir, il fait une chaleur à crever, comme une punition, un feu pour rôtir les enfants du BonDieu, les chrétiens vivants. Mais ce n'est pas la vraie raison. En fait, quand la nuit vient, elle apporte avec elle les soucis comme si ces derniers l’attendaient à son seuil.
Chaque seconde que le temps me file retombe lourdement comme du plomb sur le sol, alors que toute la félicité d’un moment peut être happée par un éclair de chagrin aussi dévastateur qu’un météorite. Voilà pourquoi je me suis construit un fragile hameau de nos plus beaux souvenirs. Je les questionne l’un après l’autre, essayant d’en habiller le présent car la peur du futur m’habite comme une véritable hantise. En réalité, je n’ai pas peur. J’ai juste un sentiment de recul face à demain, une sorte de prise de bec continue avec ce qui n’est pas encore. Je dois te dire que je suis ainsi : souvent moi-même mais toujours fou.
Comment en suis-je arrivé là ? J'ai fouillé dans tous les recoins de ma mémoire pour te tenter de comprendre. J'ai pioché dans les vieilles archives de ma pensée. J'ai creusé. J'ai creusé. Rien de très significatif sinon cet épisode, une partie de l'histoire, qui repasse en boucle dans me tête comme une musique seule sur un playlist.
Et ce soir, je me retrouve une fois de plus dans le vaste royaume de mes pensées. Tu y sièges. J’ai promené un regard prudent sur la pièce. Je la vois comme un musée exposant tes plus belles pièces: ton regard, ton sourire, ta démarche... Assis dans mon coin préféré (je n’ose pas me livrer au lit avec sa forme de moule à tristesse), la tête enfouie dans le creux de mes mains comme si elle cherchait ta présence dans les lignes de mes paumes. Mais non ! Peut-être que mes mains, elles, essayent de toucher à cette forme qui se dessine, se balade à l’intérieur. Tout autour de moi s’est vêtu de noirceur mais je suis comme auréolé rien qu’en pensant à toi. Comme si tu mettais pieds à terre, sortie tout droit de l’un de mes rêves pour m’illuminer. Ce soir, je ne veux pas de douleur, sauf celle que m’inflige la morsure de ton absence. Et c’est une entaille profonde qui s’envenime. Je n’ai jamais été client des vendeurs de miracles pourtant j’ai toujours cru à la magie des étoiles, à cette coulée de lumière qu’elles provoquent à l’intérieur quand on s’en abreuve. C’est peut-être pour cela que tes yeux m’ont capturé dès le premier contact. Comme une ruelle dans laquelle on se précipite sans se questionner, une passerelle qui donne sur un autre monde. Comme une mélodie à laquelle on ne résiste pas, qui saisit le corps et les sens tout carrément.
Ce soir, mon ange, j’ai pris soin d’allumer quelques bougies dans les coins les plus sombres de mon être. Je les ai disposées en cœur mais sans vin, sans fleur. Pour la peine, quelques bonnes notes de musiques jouent dans ma tête mais se posent, se superposent et finissent par s’opposer et se battre. Je ne les entends plus. A vrai dire, je préfère dix mille fois le beau désordre de ton rire qui détale dans mes tympans comme des enfants bruyants. Alors tout cela pour te forcer à sortir de ta cachette, de ce grand pays d’illusions où tu es allée te promener éternellement. Moi, je suis là, encore une fois avec cette leçon que j’ai récitée plus de mille fois déjà. Seul à compter minute après minute chacune de ces heures qu’on a eu à assujettir à l’amour. Toutes ces pages que tu m’as écrites et que je relis sans cesse. Les unes avec nos folies, les autres avec nos écarts; cette espèce de mélange qui fait des sentiments une douce prison. Ça et là sont dispersées quelques parties d’incompatibilités et de quête de soi, de l’autre et ces jeux d’amour, ces pierres taillées dans l’extase qui refusent de s’effriter même sous l’effet de mes larmes. Il faut dire que tu n’es pas partie toute entière. Je n’ai pas pu t’empêcher de te disséminer un peu partout. Il y a un bout de toi à chaque coin de l’univers. L’aube a reçu ton visage comme un nouveau soleil et ton sourire est resté collé à mes rétines. A présent, je le peins sur toutes les surfaces dignes de le recevoir.
Les gens ici, ils s’arrogent le droit de tout dire. Certains se contentent de parler. D’autres écrivent. (Comme je fais pour combler ton silence poignant) Plein de mots sur l’amour. L’on aime qu’une fois, paraît-il. D’autres disent non. Aussi me poussaient-ils à sortir et flirter, à me « dégourdir le cœur », disaient-ils. Ils ont oublié que j’avais arrêté de courir pour ton innocence, ton charme virginal. Ils ont oublié que ma puissance avait été réduite à néant par ton doux regard. Et ils t’ont oubliée, eux. Moi, non! Comment oublier Katrina: ce nom qui résonne telle une promesse à mes oreilles? Comment oublier ce matin de juillet qui allait être mon second anniversaire? Toute cette grâce que tu déversais sur ton passage et que les fleurs du chemin ramassaient en abondance. Jour béni des cieux car comme toi on n’en trouve pas à chaque coin de rue. Je l’ai su tout de suite. J’ai mordu hardiment dans la lune et je n’ai pas voulu recracher le morceau. Bouche pleine, gosier aidant.
Ce soir, je pense à cette journée dans la forêt quand tu as gravé nos deux noms sur le torse puissant d’un arbre, enlacés par un cœur et suivis d’un simple « Bonheur ». Comme si tu mettais la vie en garde contre le danger de nous approcher, comme une défense contre ses prochains assauts. Mais au final, elle a eu raison de nous. Je suis là encore ce soir et toi? Puis-je te toucher? Tu es passée à l’autre bord. Je continue la marche seul, sans arme efficace contre les aspérités du chemin. Tu ne peux plus écrire sur les arbres et les murs mais je refuse de dire que tu n’es plus. Parce que depuis je te sens dans les frémissements du zéphyr qui murmure. Je te vois au beau milieu de l’arc-en-ciel. Je t’entends dans le froufrou de l’immense robe saline de l’océan. Bonheur. Je reprends. Etais-je heureux avec toi? Comment arriver à signifier le bonheur? Peut-on l’apprivoiser et le mettre dans la petite cage de la poitrine? Merde. Je n’en sais plus rien. Je ne suis pas heureux sans toi. Je me nourris des miettes de joies de nos instants déjà vieux. Toi qui me chuchotais ta promesse d’éternité au soir. Moi qui disais t’avoir rencontrée trop tard et tu es partie trop tôt, laissant le monde amoureux de ton sillon et emportant le cœur où tu vivais. Ce soir, je te dis une fois de plus que tu me manques trop violemment, chaque seconde est une aiguille géante qui s’enfonce sous ma carapace qui n’en peut plus. Et moi non plus, mon ange.
Ah voilà ! Je me souviens de tout à présent. Je leur ai pourtant bien dit que tu n'es plus vivante. Je t'ai vue mourir sous mes yeux, cet après-midi dans l'escalier. Et je t'ai demandé pardon, non ? Je n’avais pas voulu te pousser si brutalement, je ne voulais pas de cette dispute inutile. Un jour, en passant, Maman m'avait annoncé que tu étais sortie du coma. Que voulait-elle dire ? Je ne connais pas ce mot. Cette personne qui s'est mariée l’année dernière n'est pas toi. Moi, je sais que ça fait -ah je ne sais plus combien de temps- que tu as quitté ce monde pour être avec moi là où tu es. Maman, papa, le docteur. Je le leur ai dit, Flona mais ils ne m'ont pas cru. Peux-tu passer les voir dans leur sommeil comme tu le fais pour moi ?