Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Comment savoir ? Je suis l’un des rares à aimer cette solitude. Agathe avait voulu suspendre des lanternes, j’avais dit non. Radicalement. C’est tant mieux qu’elle se soit barrée avec les gosses. La pension alimentaire est moins contraignante que les caprices d’une femme et de trois mômes ! Au contraire, pour le grand directeur que je suis, une chambre plongée dans le noir est extrêmement appréciable. Cela me rassure, me fait sentir unique. Tu sais, cette impression d’être seul sur Terre, que je les emmerde les autres... Quand ils auront besoin de moi, je les sortirai d’affaire grâce à mon pognon. Pour l’instant, je suis peinard. Je m’endors avec une dernière amie : la conviction qu’on est mieux seul que mal accompagné.
T’as pas un brin dans la caboche, mon vieux patron ! Tes machines à débiter la viande, elles sont plus intelligentes ! Ah ça, t’as l’mépris de choisir quand tu veux être seul, à l’abri des regards, dans ta tour d’ivoire aux lames brillantes comme des torrents, et ça se croit unique, ma parole ! Mais les bourges, c’est leur luxe de s’couper du reste du monde ! Crois pas que t’es l’premier ni l’dernier ! Demande plutôt aux bestiaux, dans leurs cages, comment ils se sentent ! Et quand la faucheuse viendra, pas pour eux mais pour toi, j’rirai bien moi, ton simp’ employé, de t’voir crever seul, tout seul comme un pauv’ con ! Moi, j’suis pas dans le noir, non, mais dans le rouge, et c’est pas demain la veille que j’dormirai tranquille au fond d’mon lit !
Sommes-nous dans le noir ou avons-nous les yeux fermés ? Assurément, dans le noir. Difficile de dormir, car depuis longtemps, nous avons abandonné ce rêve de fermer les yeux sous la nuit d’étoiles sauvages. Aujourd’hui, vous nous forcez à nous tenir immobiles dans le noir artificiel de vos abattoirs, de vos zoos, de vos aquariums. Toujours plus de noir, puis toujours plus de néons grésillant le matin, et la journée les échos tapageurs de vos courses à la consommation. Que c’est épuisant ! Mais nous n’aurons pas le temps de mourir d’épuisement : vos mécaniques nous auront entassés, étiquetés, millimétrés ; vos poisons nous auront gazés ; vos instruments nous auront découpés, mis en conserve, servis dans vos assiettes.
Hello, les gens ! Dans vos bourrasques de blabla, plus personne ne s’entend ! Je vois qu’on ne m’a pas invité à prendre part au débat, mais je vous le dis net : je n’ai besoin d’aucune invitation, je m’incruste ! Alors, me voilà. Où suis-je ? Dans vos assiettes précisément, et dans vos poils, vos larmes, vos fientes, vos salives ! Qui suis-je ? Celui qui adore parasiter vos systèmes sans queue ni tête, qui se régale de vos viscérales révoltes, qui fait beuguer vos intestinales pompes à fric, jusqu’aux artères de vos cœurs. Je finirai par éradiquer du globe votre inhumanité. Alors, c’est à vous que je m’adresse, messieurs, mes bêtes. À la question, êtes-vous dans le noir ou avez-vous les yeux fermés, je réponds : oui, vous êtes plongés dans le noir de l’univers décomposé qui s’effrite et franchit vos portes bleues, vous êtes plongés dans les abysses pollués que vous avez creusés, plongés dans le gouffre sidéral qui vous engloutit... Et oui, vous avez les yeux fermés sur la réalité pourtant si simple ; vous restez aveugles aux milliers de mondes qui s’écroulent de l’autre côté de vos paupières closes. Toi, le directeur, tu t’endors au murmure d’une certitude égoïste, mais tu rêves de ton succès planétaire, persuadé d’être, comme un dieu, celui qui nous sauvera. Il n’en est rien. À l’heure triste du réveil, je serai le virus qui vous tuera tous, et je commencerai par toi.
T’as pas un brin dans la caboche, mon vieux patron ! Tes machines à débiter la viande, elles sont plus intelligentes ! Ah ça, t’as l’mépris de choisir quand tu veux être seul, à l’abri des regards, dans ta tour d’ivoire aux lames brillantes comme des torrents, et ça se croit unique, ma parole ! Mais les bourges, c’est leur luxe de s’couper du reste du monde ! Crois pas que t’es l’premier ni l’dernier ! Demande plutôt aux bestiaux, dans leurs cages, comment ils se sentent ! Et quand la faucheuse viendra, pas pour eux mais pour toi, j’rirai bien moi, ton simp’ employé, de t’voir crever seul, tout seul comme un pauv’ con ! Moi, j’suis pas dans le noir, non, mais dans le rouge, et c’est pas demain la veille que j’dormirai tranquille au fond d’mon lit !
Sommes-nous dans le noir ou avons-nous les yeux fermés ? Assurément, dans le noir. Difficile de dormir, car depuis longtemps, nous avons abandonné ce rêve de fermer les yeux sous la nuit d’étoiles sauvages. Aujourd’hui, vous nous forcez à nous tenir immobiles dans le noir artificiel de vos abattoirs, de vos zoos, de vos aquariums. Toujours plus de noir, puis toujours plus de néons grésillant le matin, et la journée les échos tapageurs de vos courses à la consommation. Que c’est épuisant ! Mais nous n’aurons pas le temps de mourir d’épuisement : vos mécaniques nous auront entassés, étiquetés, millimétrés ; vos poisons nous auront gazés ; vos instruments nous auront découpés, mis en conserve, servis dans vos assiettes.
Hello, les gens ! Dans vos bourrasques de blabla, plus personne ne s’entend ! Je vois qu’on ne m’a pas invité à prendre part au débat, mais je vous le dis net : je n’ai besoin d’aucune invitation, je m’incruste ! Alors, me voilà. Où suis-je ? Dans vos assiettes précisément, et dans vos poils, vos larmes, vos fientes, vos salives ! Qui suis-je ? Celui qui adore parasiter vos systèmes sans queue ni tête, qui se régale de vos viscérales révoltes, qui fait beuguer vos intestinales pompes à fric, jusqu’aux artères de vos cœurs. Je finirai par éradiquer du globe votre inhumanité. Alors, c’est à vous que je m’adresse, messieurs, mes bêtes. À la question, êtes-vous dans le noir ou avez-vous les yeux fermés, je réponds : oui, vous êtes plongés dans le noir de l’univers décomposé qui s’effrite et franchit vos portes bleues, vous êtes plongés dans les abysses pollués que vous avez creusés, plongés dans le gouffre sidéral qui vous engloutit... Et oui, vous avez les yeux fermés sur la réalité pourtant si simple ; vous restez aveugles aux milliers de mondes qui s’écroulent de l’autre côté de vos paupières closes. Toi, le directeur, tu t’endors au murmure d’une certitude égoïste, mais tu rêves de ton succès planétaire, persuadé d’être, comme un dieu, celui qui nous sauvera. Il n’en est rien. À l’heure triste du réveil, je serai le virus qui vous tuera tous, et je commencerai par toi.