L'excision, une lame à couper là vie

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Dans tous les cas, je ne serai jamais mère avec tout le plaisir d’entendre la chair de notre chair nous dire : Maman.
Ma grande mère était une femme âgée et encrée dans la tradition léguée par nos ancêtres. À mes 12 ans, mes parents, installés depuis ma naissance à Dakar capitale du Sénégal, ont décidé que pour les vacances nouvelles, que j’allais rendre visite à mes grands-parents au village pour faire connaissance avec la famille.
Le temps devenait lent à ma montre cervicale et au fond de moi, telle une douce femme de fierté commençait à jaillir de mille étincelles de joie. Pour la première fois, j’allais être non pas assise à écouter ces belles descriptions et narrations que faisait mon père de son village natal, la souche de ma descendance. J’allais être un témoin oculaire de cette vie nouvelle qui se profilait à l’horizon.
Le bruit de ces oiseaux qui imitent l’audible mélodie résonante de la nature, les champs frénétiques de la savane ancestrale et les devinettes des ainés autour d’un feu du soir comme cela se passait dans les livres ; voici là une multitude de caractéristiques qui me rendaient impatiente d’arriver à destination, de vivre la vie du village.
Après une demi-journée de route, me voici à destination. Une foule d’acclamations m’accueille jusqu’à l’intérieur de la case en banco ou encore case faite de boue.
Le bonheur qui m’habitait à l’idée de découvrir mes sources était de courte durée. Je commençais déjà à m’intégrer, à me familiariser avec le climat et leur mode de vie.
Au bout d’une semaine, la grande mère Aminata me réveilla au premier refrain du coq pour l’accompagner dans un village voisin.
Après un court trajet en charrette muni d’un âne qui demeurait le moyen de transport le plus accessible de la zone, nous voici dans un autre endroit que je ne connaissais point, une vielle femme assise au milieu d’une case en état de délabrement accéléré me tendit une tasse d’eau puis m’ordonna de le boire. Cela n’avait rien d’anormal pour moi, une habituée même en ville d’accueillir les visiteurs et étrangers par de l’eau. Il m’a suffi d’une seule gorgée pour perdre connaissance, c’est comme si je n’existais plus. Quelques heures plus tard, je me suis réveillé chez moi avec une douleur au bas du ventre.
D’un geste tout brusque, j’incline ma tête en dirigeant mon regard vers mes jambes. Du sang, rien que du sang couvrait mon corps, mouillant toute la literie. C’est là qu’on m’annonça que je venais de me faire l’exciser et qu’il fallut m’endormir à cause de mon âge avancé.
Face à la douleur physique et vue la quantité de sang que je perdais, je me sentais anéanti et trahi par mes propres parents avec qui je venais de raccrocher au téléphone. Je n’avais que larmes pour exprimer mon mal.
Une semaine après ma cicatrisation, je suis rentré à la capitale. Désormais, cette épreuve de ma vie est clôturée, c’était comme si rien ne s’était passé autour de moi.
Des années sont passées, je suis devenu avocat après mon doctorat et en plus de cela, je suis marié depuis deux ans à un médecin généraliste en service à l’hôpital Principal de Dakar.
Chaque soir, après le travail, ma belle-mère me traitait de femme ratée, car je ne suis encore pas mère au bout de deux ans de mariage et que son fils ne voulait pas d’une seconde épouse.
La nuit, je rejoignais le lit conjugal et que je m’accouplais à mon homme, chaque geste se transformais en douleur. C’est à cela que se résume ma vie de famille depuis deux ans.

Un soir, mon mari et moi avons décidé de rompre le silence et de rendre visite le lendemain à un spécialiste gynécologue pour trouver une solution.

Ce jour-là, on m’a annoncé que du fait de l’excision que j’ai vécu dans mon passé, mon appareil génital est atteint de façon irréversible.
Et non seulement, je continuerai à ressentir des douleurs à chaque rapport sexuel, mais je devrais vivre en ayant la certitude que je ne serais jamais mère biologique.

Depuis ce jour, je me sers de ma blouse d’avocate pour combattre cette pratique qui existe encore dans les profondeurs de mon Afrique...