Nouvelles
5 min
Lève la tête!
Après une mi-temps au cours de laquelle, comme à l'accoutumée, les enfants avaient envahi le terrain et cherché à imiter leurs aînés pendant que les entraîneurs des deux équipes qui s'affrontaient avaient peaufiné tactiques de défense et stratégies d'attaque, les spectateurs regagnèrent les tribunes. Le groupe des moins de 13 décida de s'attarder un peu à proximité du terrain pour ne rien perdre du jeu. Il fallait absolument que les handballeurs de Nationale 1 de leur club recollent au score pour se maintenir dans le haut du classement ! Dès le début de cette seconde mi-temps, ceux-ci haussèrent leur niveau de jeu et réussirent rapidement à revenir à égalité.
Alors que la tension était montée d'un cran, les équipes se rendant coup pour coup, l'attention de Nathan fut attirée par la sensation d'une présence insolite dans son champ de vision, plus exactement de la présence d'un objet qui n'aurait pas dû s'y trouver. Ce fut le bruit de sa chute qui dirigea son regard vers la bouteille d'eau que l'ailier avait déposée de l'autre côté de la barrière en reprenant sa place sur le terrain. De l'eau de source locale certes, mais dans une bouteille en plastique... Nathan la redressa.
« On remonte, le prévint Yann, tandis que le petit groupe se dirigeait vers l'encadrement des fenêtres en haut des tribunes, point de vue panoramique sur la salle et le terrain.
- Regarde! Tu avais remarqué qu'autant de joueurs n'avaient pas de gourde?
Son co-équipier scruta à son tour le banc et écarquilla les yeux d'étonnement.
« Ça craint ! Je croyais que depuis le dernier match de la saison passée, les bouteilles en plastique c'était fini ! » s'exclama-t-il. Il faisait allusion à un match emporté sur le fil par l'équipe adverse et dont les joueurs avaient manifesté leur joie en balançant leurs bouteilles d'eau sur le parquet, insouciants à la fois de l'impact concret et de la dimension symbolique de leur geste, geste qui avait choqué et suscité une désapprobation unanime. D'ailleurs, ce ne fut que sous les huées d'un public outré et les vertes réprimandes du speaker qu'une partie d'entre eux avait fini par accepter de prendre des serpillères.
« On va en discuter avec les autres », proposa Nathan en remontant.
Le match s'acheva par une très honorable égalité et, après avoir tapé dans les mains des joueurs, les enfants se mirent d'accord pour aborder lors de la séance suivante le sujet avec leur coach, Baptiste, qui n'était autre que l'un des piliers de l'équipe, auteur ce soir-là de six beaux buts.
Deux jours plus tard, avant de commencer l'entraînement, Romain leva la main pour poser une question.
« On ne comprend pas pourquoi vous n'avez pas tous des gourdes comme nous et on se demandait aussi ce qu'étaient devenus les anciens maillots », débita-t-il à toute allure, tandis qu'une légère rougeur envahissait ses joues.
Quelque peu dérouté, Baptiste prit quelques minutes de réflexion avant de répondre :
« C'est vrai, certains d'entre nous n'ont pas de gourde, pour des raisons pratiques. Comme généralement on a besoin de boire beaucoup pendant les matchs et que les gourdes dépassent rarement un litre, il faudrait les remplir souvent. Pour les maillots, les nôtres sont nouveaux comme nous avons changé de sponsors et les autres avaient été rendus inutilisables lors des intempéries.
- Ça fait quand même beaucoup de déchets, rétorqua Nathan.
- Est-ce que vous recyclez? renchérit Yann.
Devant les mines renfrognées de plusieurs jeunes joueurs, et après avoir entendu l'argumentation de ceux qui avaient participé à des ateliers de La fresque de la Terre, il leur proposa d'interpeler directement le coach de l'équipe fanion, qui était en train de préparer l'entraînement. Il alla le chercher et lui fit un bref résumé que complétèrent Nathan, Yann et Romain. Fred, l'entraîneur des adultes, les écouta attentivement et ne put s'empêcher de sourire lorsqu'ils avancèrent leur argument ultime, imparable et définitif : « Nikola Karabatic lui aussi utilise une gourde, il a dit qu'il fallait bannir le plastique et améliorer les pratiques du hand ».
- C'est vrai les garçons, plusieurs clubs de Starligue et de Proligue ont fait ces efforts. Avec les soucis que nous avons traversés ces derniers temps et qui vous ont concernés vous aussi, je reconnais que cela n'a pas été notre préoccupation. Mais il n'est pas trop tard, vous avez raison, il est temps qu'on lève un peu la tête pour voir ce qu'il se passe autour de nous et éviter de faire encore plus de dégâts. Avant le débrief de ce soir, je vais aborder le sujet avec les gars, ajouta-t-il en se redressant. S'ils réagissent bien, on organise une réunion avec la direction du club pour regarder concrètement commet s'y prendre et vous y participerez. Ça vous va? »
C'était plus que n'en espéraient les garçons et c'est avec un large sourire qu'ils remercièrent Fred et attaquèrent leur entraînement avec enthousiasme.
Mais cette partie n'était pas gagnée d'avance. Plusieurs joueurs manifestèrent des réticences et n'apprécièrent pas de recevoir une leçon de blancs-becs. Certains, toutefois, étaient plus sensibles aux enjeux environnementaux et abondèrent dans le sens des enfants. L'un des arrières, très écouté et respecté de ses coéquipiers, leur fit également part de ce qui avait été fait dans son précédent club et leur montra que ce n'était pas très difficile et qu'il pouvait y avoir des avantages à en tirer, pour eux et pour le club. Au final, l'abandon des bouteilles et l'adoption de gourdes écologiques en inox furent acceptés par l'équipe. Comme promis, une assemblée générale extraordinaire du club fut convoquée et les trois représentants des moins de 13 conviés. Ceux-ci intégrèrent le comité développement durable (DD) qui fut créé, composé également du Président et du trésorier, de deux volontaires de chacune des équipes masculine et féminine évoluant en Nationale, de Frédéric et des deux salariés du club. Après avoir consulté d'autres clubs, échangé avec l'équipementier, contacté des fournisseurs potentiels et réalisé une grande enquête auprès des adhérents, un programme baptisé Lève la tête fut présenté et voté en conseil d'administration. Lève la tête, on l'entend souvent sur le terrain, pour être toujours en alerte, trouver des solutions, servir l'autre et l'équipe. Lève la tête, car cela résume bien les valeurs de ce sport : l'entraide, la coopération, l'amitié, la prise en compte et le respect d'autrui, l'effort. Lève la tête, aussi, car on allait informer au sein du club sur les enjeux du développement durable et parce que le soutien de la Fédération ainsi que l'appui financier des collectivités territoriales permettraient de mener cette action à bien. Ou plutôt ces actions. En effet, des gourdes en inox d'une capacité de 1,5 litres avec le logo du club allaient être fabriquées par un ESAT[1] de la région ainsi que des eco-cups sur le même mode, afin de mettre fin aux gobelets qui circulent à la mi-temps. Pour traiter le point noir de l'habillement, le comité DD se rapprocha de deux clubs de hand avancés sur le sujet mais aussi de l'équipe voisine de Top 14 de rugby qui avait réussi à faire produire des maillots supporters écoresponsables, et demanda à l'équipementier de travailler sur des matériaux plus naturels et/ou recyclés en maintenant les aspects techniques. En parallèle, les anciens maillots encore en bon état constitueraient la dotation des adhérents, de manière à éviter le gaspillage et la fabrication d'objets ou de vêtements superflus. Ils seraient dédicacés à leur nom - à l'encre spéciale textile - par le joueur ou la joueuse de Nationale de leur choix ! Les maillots trop abîmés seraient dirigés vers une filière de recyclage de textile. Un beau programme en perspective ! Et à tout seigneur tout honneur, sur l'affiche préparée pour communiquer sur cette action d'envergure, devant l'équipe fanion, on pourrait voir au premier plan Nathan, Yann et Romain, balle à la main et tête levée!
[1]Établissement et service d'aide par le travail