Lettre à A.

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  • La Ville - Cycle 4

Chère A.,

Je me suis éveillé tôt ce matin.
Le soleil, l'odeur du printemps par la fenêtre ouverte.
Vous étiez là. Dans ma pensée. Ma pensée. Il m'est difficile d'expliquer ce qui pour moi est une évidence. Parfois je ne pense pas à vous, vous êtes ma pensée. Vous êtes avec moi.
J'ai décidé de profiter de cette journée avec vous.
Nous avons rapidement quitté la ville et ses rues désertes puis attaqué à VTT le chemin du tramway qui, de Grenoble, conduisait sur le plateau de Villard-de-Lans. Il n'en reste qu'une piste herbeuse, parfois même un simple sentier.
J'ai été heureux de vous montrer la beauté de la brume légère, naissant des champs au premier soleil, qui fraîchissait nos visages. Nous avons senti l'air du matin, parfumé d'herbes mouillées et de terre, brassé par notre passage.
La fatigue et la faim nous ont arrêtés à la Tour Sans Venin. Je vous ai fait goûter le plaisir du repos avec le fromage et le pain frais achetés en partant. Je vous ai raconté les légendes de cette tour. Certains disent que les serpents ne s'en approchent pas, d'autres que la terre de cet endroit guérit de leurs morsures.
Après la Tour Sans Venin, le chemin devient plus large ; nous avons traversé la forêt, passé les anciens tunnels du tramway puis, à Saint-Nizier, commencé la montée vers le Moucherotte.
C'était le but.
J'ai regardé la ville sous le couvercle gris-jaunâtre de pollution qui la couvre les jours de beau temps et vous m'avez quitté. J'ai su que vous étiez là, dans cette ville. Je pouvais voir l'immeuble où vous travaillez, je vous imaginais derrière votre bureau ou marchant dans la rue.
J'aurais voulu vous montrer le Mont-Blanc, énorme au bout de l'horizon, vous parler de cet hôtel détruit. Vous dire son histoire, vous parler de ses plafonds qui gardaient quelques fragments de fresques. Vous montrer ce carreau de faïence bleue pris dans une salle de bain si longtemps avant de vous connaître. Pour vous l'offrir.
Vous n'étiez plus là. Je vous savais dans la ville.
Le vent de la falaise était doux sur mon visage, je lui ai murmuré, pour qu'il vous le porte, ce poème de René Char. Ma prière quand je pense à vous, dix fois, cent fois, plus souvent sans doute, tous les jours.

« Dans les rues de la ville il y a mon amour. [...] Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas ? »

J'ai mangé, dormi au soleil sous cette couverture de vent qui vous portait mon espérance.
Je vous ai écrit cette lettre et suis retourné chez moi.

Vous attendre.

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