L'éternel regret.


« Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité ». Il a fallu juste une minute pour que je comprenne que la vie ne vaut rien ; qu'elle ne tient qu'au bout d'un fil qui peut se briser d'une seconde à une tierce. J'ai compris que la vie est semblable à une portée de musique ; elle faite d'une armature qui impose une certaine cadence à la mélodie mais ce qui importe beaucoup plus est le nombre pléthorique des altérations qui impactent les différentes notes. A la fin, la vie n'est que la mélodie que distillent toutes ces combinaisons. Juste une minute pleine pour comprendre que ce fameux accident modifia tel un bémol ou un dièse nos destins.
Après ma brillante réussite au Baccalauréat, je décidai un matin de me rendre à la capitale pour remplir les formalités en vue de mon inscription à l'université. Très tôt le matin, j'allai à la gare routière de Gobe pour prendre un taxi. J'étais l'un des premiers clients de mon chauffeur qui disputait violemment les clients avec ses pairs. Ici, chacun se bat pour pouvoir se trouver ses clients et vider les lieux. Après une courte durée de deux heures, finalement notre chauffeur prit départ avec à bord de sa 505 une garniture numérique de huit personnes lui-même y compris. Ce surchargement nous mettait dans un inconfort tant nous étions serrés. Le problème est que nous n'avons pas le choix : c'était le seul moyen pour quitter ce village perdu. Le chauffeur lui-même s'est taillé une mince place, accolé à sa portière. Difficilement, il avait accès aux commandes de conduite du taxi. A son entrée dans la voiture, un fumet désobligeant agressa nos odorats. Cette odeur provenait d'une liqueur dans lequel baignent les grandes personnes tôt le matin pour être pleins d'alan. Sportivement, nous prîmes notre mal en patience en espérant que la force centrifuge bientôt nous en délivre. Ce ne fut point un vœu pieu car quelques minutes après notre départ de la gare routière nous oublions cette impasse.
Nous échangeâmes les civilités en quelques minutes avant de nous verser dans des commentaires sur les actualités qui horripilent tout le monde. Chacun essayait de commenter ces informations en fonction de son ignorance et des informations qu'il croit détenir. L'opinion est la mère couveuse des mensonges et des erreurs.
Malgré le crépitement de la voiture, une véritable vieille carrosse diffusant une lourde et noirâtre nuée de fumée. Elle avançait à peine mais nous espérons parcourir en moins d'une journée les 400Km qui nous séparaient de la capitale. En dépit de l'état vieillot et moribond de la voiture qui polluait allègrement l'atmosphère, notre ingénieux chauffard essayait des acrobaties, fit des dépassements douteux qui mettaient notre vie en danger. Après un dépassement dans un tournant au cours duquel nous avons failli être renversés par un camion-citerne en vive allure ; un torrent de plaintes s'abattit sur notre chauffeur. Il nous rassura qu'il totalisait quinze ans d'expériences et qu'on n'avait rien à craindre. Qui maitrise bien le code de la route, est juste conscient que notre chauffeur se fout loyalement de la norme : ce qui l'y aide est l'état délétère voire mortifère de notre route auréolée d'effrayants nids de poule. Parfois, pour gagner du temps et aller plus vite, le conducteur est obligé de conduire dans le couloir opposé. Avec notre chauffeur, tout était permis, la courtoisie n'était point son fort. Ah oui, l'avenir appartient à ceux qui luttent. Il décrochait des appels au volant et conduisait avec une seule main. Chacun regrettait déjà d'avoir pris son billet pour voir planer sur sa tête l'épée de Damoclès.
Certains malgré l'état capricieux de la route, dialoguaient déjà avec Morphée ; ils ne purent point lui résister. Tout allait si bien jusqu'au moment où nous entrâmes dans un tournant couplé d'une descente à l'allure vertigineuse assaisonnée des crevasses. Notre chauffeur malgré ces indices se délectait d'une douce voix dans un appel et avait le toupet de doubler un autre véhicule. Ce dépassement nous sera bientôt fatal ! Ainsi, nous nous retrouvâmes nez à nez avec un autre véhicule. Le choc dura moins d'une minute mais les tonneaux qui suivirent durèrent une bonne minute. Nous fûmes projetés à une vingtaine de mètres des lieux de l'accident dans une vallée a peine consumée par les feux de brousse. L'autre véhicule brûlait déjà car il transportait des produits inflammables. De l'autre véhicule, personne ne sortit vivant. Ils étaient tous consumés par les flammes qui les dévoraient avant l'arrivée des secours. Chez nous, nous sortîmes inconscients avec de graves blessures pour certains et des infirmités pour tous.
Le traumatisme a duré à peine une bonne minute ; une qui ne dura pas soixante secondes mais bien plus, une éternité. A la fin des tonneaux, nous étions tous évanouis. Personne ne sut la suite des événements. Après des mois d'hospitalisation, nous eûmes notre exéat. Chacun de nous rentra chez lui avec des infirmités qu'il portera toute sa vie, des traumatismes avec lesquels il apprendra à vivre avec, un véritable mit sein. Certes le propre de l'homme est de s'adapter aux événements qui s'imposent à lui mais il est des situations dont le grimoire échappe à l'homme dont ni les paroles ni le silence ne peuvent point expliquer.
En moins d'une bonne minute, j'ai compris que la réussite d'une vie ne dépend pas seulement de nos efforts personnels mais aussi des convictions et des comportements des autres de tous ceuus qui nous entourent. Nul ne peut s'en dérober car l'homme est un animal politique et est de fait condamné à vivre en société avec les autres. L'imprudence de notre chauffeur nous valut ces infirmités et ces handicaps involontaires que nous portons encore aujourd'hui et sur lesquels nous devrions bâtir le royaume de notre bonheur. J'ai rêvé faire de grandes études après le bac ; pour cela je me suis adonné corps et âme pour réussir l'examen. Tel un feu de pagne tous mes projets se sont dissipés en cette funeste fin de matinée. De ces situations qui vous confèrent la carrure de philosophe, de théologien et de sociologue tant vous pensez la vie. Après ces élucubrations, l'évidence de la réalité s'impose à vous. La vie nous assène sans notre avis des uppercuts dont péniblement vous vous relevez. Il n'y a pas de situations malheureuses mais des situations mal vécues. Il nous fallait apprendre à vivre ; changer nos habitudes ; vivre au dépend des autres ; vivre avec des prothèses qui désormais font partie de nous et parfois nous imposent leur loi. Bien que machines, ces appareils participent désormais à la réalisation de notre être et à l'atteinte de notre bonheur. Nous ne sommes plus seulement des le fruit de la biologie mais aussi de celui de la science et de la technologie.
Dédicace à tous ceux et celles, victimes des accidents et rescapés des accidents sous toutes ses formes.
Ton dernier verre !
Son dernier jour sur terre !
Ton excès de vitesse !
Son voile de tristesse !
 
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