Nouvelles
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Université Abdou Moumouni - Niger
L'espoir entre les sillons invisibles
Je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié. Ou peut-être que je fais semblant. Oublier est parfois plus simple que de revivre. À force de silence, les souvenirs se sont effacés. C'est comme si ma mémoire avait été effacée d'un coup d'éponge. Des visages flous, des voix effacées, un lieu sans nom. Rien ne tient debout, tout flotte.
Dès l'aube, le coup de pilon se déclenche, dès le premier éclair qui chasse le noir de l'air. Des bribes d'images me reviennent parfois : un puits creusé dans la cour, un arbre tordu, le son d'un tambour au loin, l'odeur du sable mouillé et du mil grillé le matin. Parfois, je crois entendre le chant du coq, une voix qui m'appelle dans une langue que ma bouche ne parle plus.
Mon corps, lui, se souvient. D'un vent timide qui rend le corps fragile, d'un vent chaud du désert qui me frôle et d'une mélodie inconnue qui fredonne en moi. Quand je ferme les yeux, je vois des filles qui portaient des calebasses sur la tête, avec de petits pagnes attachés sur les hanches. Mais tout est flou, comme un rêve qui s'efface dès qu'on ouvre les yeux. Seule reste la voix de ma mère, dans son hymne : "L'honneur de la patrie."
Je me rappelle aussi les jeux, simples et vivants : courir pieds nus derrière un pneu, se cacher entre les branches d'un vieux baobab, rire sans raison sous un soleil qui ne nous jugeait pas. Mon frère fabriquait des chars en fil de fer, ma sœur chantait pour endormir les chèvres. Et puis, un jour, plus rien.
Je ne sais pas ce qui s'est passé. Un feu ? Une guerre ? Une tempête de cris ? Tout est allé trop vite. Il y avait des hommes en armes, des pleurs, des femmes qui couraient. On nous a poussés sur des camions. J'ai perdu une main, celle de mon frère, et je n'ai plus jamais revu ses yeux.
On dit que l'oubli est une fuite. Moi, je crois que c'est une armure. Je suis né du silence, élevé par l'absence. Je suis né plusieurs fois : une fois dans un village sans nom, une autre dans un carnet de réfugié, et une autre dans une salle de classe, loin de tout ce qui faisait sens.
C'est là, entre les pages d'un manuel corné, que j'ai rencontré une phrase : « Les mots sont les racines de l'homme. » Depuis, je les plante partout. J'ai eu un instituteur qui me disait : « Même sans passé, tu peux écrire ton avenir. » C'est lui qui m'a donné un cahier, un vrai. Pas pour faire des calculs, mais pour me raconter.
Mon identité ? Elle est faite de fragments, de morceaux recollés, de silences têtus et d'inventions nécessaires. Je m'invente une histoire quand on m'en demande une. Et si on insiste, je réponds : "Je viens d'un rêve qui a survécu."
Est-ce grave de ne pas savoir d'où l'on vient, si on sait où l'on va ? Entre les oublis et l'imaginaire, je me suis retrouvé : dans les mots, dans l'encre, dans les coups de cœur qui cognent plus fort que les coups de la vie.
Peut-être que je n'ai pas tout oublié. Peut-être que ma mémoire, comme les rivières souterraines, attend juste une faille pour rejaillir.
Alors j'écris. Pas pour me souvenir. Mais pour me reconstituer.
L'esprit de l'espoir me laisse couché entre les roches chaudes, quelques gouttes d'eau sur les feuilles encore vertes. Au milieu de la nature, ma vision grimpe vers une montagne lumineuse.
J'ai compris que le Niger n'est pas qu'un pays : c'est une blessure ancienne, une force silencieuse, un nom qu'on écrit parfois en larmes, parfois en feu. Mais c'est aussi un chant, une main tendue, une jeune pousse têtue qui perce le sol sec.
L'humanité croit en moi et en mon espoir pour faire rayonner nos identités culturelles, ramener la paix, la liberté, la souveraineté... Pour que ma mère, "Niger", dorme enfin en paix dans sa case.