Toute histoire commence un jour, quelque part.
Chez mes parents, ce n'est pas pareil. La fenêtre de ma chambre ne donne que sur les éclairages d'un petit stade de foot. Depuis la rue, on peut s'apercevoir que ça grimpe bien au dessus des arbres.
Teddy a décidé de rester là-haut pour la soirée. Il avait pour mission de retoucher quelques ampoules au sommet des éclairages avant d'être autorisé à rentrer chez lui, mais il s'est laissé avoir par le coucher du soleil. C'est agréable de sentir la vie au ralenti. Depuis son perchoir, il entend les arbres pencher et les voitures passer. Aucun oiseau.
Si j'ai vraiment envie, depuis ma chambre, je peux tendre l'oreille et capter quelques bribes des matchs du samedi matin. On peut deviner les entraîneurs en train de crier et l’arbitre en train de siffler. Sur le terrain, la concentration fait que les joueurs l'ouvrent moins. Il n'y a que les coups de pied dans le ballon qui se font entendre.
Les histoires commencent sûrement un jour quelque part et je me demande si certaines y sont restées. On n'a pas forcément envie d'aller ailleurs, un autre jour.
Je ne veux pas devenir une statue.
Teddy n'est pas resté là-haut. Après une dizaine de minutes de silence, il est redescendu vers le stade pour regagner le parking et rentrer chez lui. Skyrock à fond dans la voiture, il se sent bien. Il n'y a pas grand monde sur la route à cette heure-ci et il en profite pour chanter bien fort les paroles de Niska-Pululu. Il ne se souvient plus exactement du titre, mais c'est pas grave.
Teddy se couche, les choses continuent demain.
Et moi je regarde les Simpson, j'observe mes peintures et je retarde le moment où je prendrais plaisir à jouer à Dota 2. La peinture bleue accrochée dans ma chambre fait environ deux mètres de haut pour un peu moins de long. Dessus, il y a des lignes rouges, vertes et noires. Quand je la regarde, je trouve qu'il y a de quoi y croire.
Il me semble qu'un objet terminé est encore un objet sensible. Une fois une peinture achevée, il lui reste encore le long voyage de la maturation à traverser. Il faut laisser le temps aux yeux et aux mains de travailler autant que le cerveau.
Aude est une peintre reconnue, elle a un atelier spacieux mais sans plus. Juste ce qu'il faut pour faire des grands formats, juste ce qu'il faut pour ne pas payer le chauffage trop cher.
Certaines histoires ne commencent jamais.
Aude aime se promener dans les musées, elle aime aussi prendre part aux manifs. Les deux choses la repose. Son souvenir le plus agréable c'était face aux tableaux bleus d'Yves Klein dans lesquels elle s'est sentie baignée. Jean-Pierre Brisset, qu'elle n'a jamais lu, dit que l'homme ne descend pas du singe, mais de la grenouille. C'est sûrement vrai.
Depuis mon lit, le vasistas fait des monochromes dans le ciel.
J'ai toujours les mêmes idées dans la tête. Pas toujours non plus, parce que le temps avance et il faut bien grandir. Au mieux, la peau et les sentiments muent et laissent une bonne carcasse derrière mais j'ai l'intuition que les nouvelles écailles repoussent exactement au même endroit. Il n'y a pas à avoir de regrets.
Foncer dans la vie comme un taureau, j'essaie. Aude aussi, Teddy ce n'est pas le cas.
Aude ignore comment ça fait d'avoir des frères et des sœurs. Elle est fille unique et c'est comme ça. Ça ne lui a jamais posé de problèmes.
Son plus gros soucis, c'est la gueule de la société. Elle aimerait la voir autrement, moins bouffie et moins bouchée. Il y a des jours où le soleil lui serre le cœur parce qu'elle se demande bien ce qu'il faudrait faire pour y arriver. Elle participe à des choses là dessus quand elle en a le courage. Elle a souvent le courage.
La peinture est en étroite relation avec tout ça, mais il ne s'agit pas de peindre le combat politique. Il y a toujours le risque pour qu'un message dans une œuvre soit de l'ordre de l'anecdote. Et puis plutôt que de travailler par réaction, Aude essaie d'être dans l'affirmation. Quand à moi, je crois que si la peinture ne donne pas d'opinion, c'est parce qu'elle montre bien plus qu'elle ne dit. Ses conditions se situent davantage du côté du regard que de celui de la parole.
Mais peindre est une action politique, tout comme n'importe quel geste à partir du moment où celui-ci résulte d'un choix.
Aude n'est pas bien sûre d'avoir envie de sauver le monde.
Si les histoires commencent quelque part un jour et si elles se mettent à avancer, où donc vont elles comme ça ?
J'ai la musique d'Interstellar dans la tête et je n'ai jamais vu le film.
Le rôle d'un acteur et celui d'un spectateur se brouillent parfois. Celui qui regarde de loin, celui qui n'est pas au centre de l'action ou du conflit ne représente pas forcément la neutralité. Il arrive que les yeux s'affolent et que le cerveau panique en silence. Une peinture est immobile et pourtant je la vois bien en train de me plonger la tête et le cœur dans une bassine d'eau chaude.
L'acteur joue. C'est doux. Alors la statue tranche. Je me garde le droit de décider que l'un est plus ancré dans la réalité que l'autre.
Teddy se réveille, Aude travaille.
Il y a de quoi hausser les épaules. On verra bien.
Chez mes parents, ce n'est pas pareil. La fenêtre de ma chambre ne donne que sur les éclairages d'un petit stade de foot. Depuis la rue, on peut s'apercevoir que ça grimpe bien au dessus des arbres.
Teddy a décidé de rester là-haut pour la soirée. Il avait pour mission de retoucher quelques ampoules au sommet des éclairages avant d'être autorisé à rentrer chez lui, mais il s'est laissé avoir par le coucher du soleil. C'est agréable de sentir la vie au ralenti. Depuis son perchoir, il entend les arbres pencher et les voitures passer. Aucun oiseau.
Si j'ai vraiment envie, depuis ma chambre, je peux tendre l'oreille et capter quelques bribes des matchs du samedi matin. On peut deviner les entraîneurs en train de crier et l’arbitre en train de siffler. Sur le terrain, la concentration fait que les joueurs l'ouvrent moins. Il n'y a que les coups de pied dans le ballon qui se font entendre.
Les histoires commencent sûrement un jour quelque part et je me demande si certaines y sont restées. On n'a pas forcément envie d'aller ailleurs, un autre jour.
Je ne veux pas devenir une statue.
Teddy n'est pas resté là-haut. Après une dizaine de minutes de silence, il est redescendu vers le stade pour regagner le parking et rentrer chez lui. Skyrock à fond dans la voiture, il se sent bien. Il n'y a pas grand monde sur la route à cette heure-ci et il en profite pour chanter bien fort les paroles de Niska-Pululu. Il ne se souvient plus exactement du titre, mais c'est pas grave.
Teddy se couche, les choses continuent demain.
Et moi je regarde les Simpson, j'observe mes peintures et je retarde le moment où je prendrais plaisir à jouer à Dota 2. La peinture bleue accrochée dans ma chambre fait environ deux mètres de haut pour un peu moins de long. Dessus, il y a des lignes rouges, vertes et noires. Quand je la regarde, je trouve qu'il y a de quoi y croire.
Il me semble qu'un objet terminé est encore un objet sensible. Une fois une peinture achevée, il lui reste encore le long voyage de la maturation à traverser. Il faut laisser le temps aux yeux et aux mains de travailler autant que le cerveau.
Aude est une peintre reconnue, elle a un atelier spacieux mais sans plus. Juste ce qu'il faut pour faire des grands formats, juste ce qu'il faut pour ne pas payer le chauffage trop cher.
Certaines histoires ne commencent jamais.
Aude aime se promener dans les musées, elle aime aussi prendre part aux manifs. Les deux choses la repose. Son souvenir le plus agréable c'était face aux tableaux bleus d'Yves Klein dans lesquels elle s'est sentie baignée. Jean-Pierre Brisset, qu'elle n'a jamais lu, dit que l'homme ne descend pas du singe, mais de la grenouille. C'est sûrement vrai.
Depuis mon lit, le vasistas fait des monochromes dans le ciel.
J'ai toujours les mêmes idées dans la tête. Pas toujours non plus, parce que le temps avance et il faut bien grandir. Au mieux, la peau et les sentiments muent et laissent une bonne carcasse derrière mais j'ai l'intuition que les nouvelles écailles repoussent exactement au même endroit. Il n'y a pas à avoir de regrets.
Foncer dans la vie comme un taureau, j'essaie. Aude aussi, Teddy ce n'est pas le cas.
Aude ignore comment ça fait d'avoir des frères et des sœurs. Elle est fille unique et c'est comme ça. Ça ne lui a jamais posé de problèmes.
Son plus gros soucis, c'est la gueule de la société. Elle aimerait la voir autrement, moins bouffie et moins bouchée. Il y a des jours où le soleil lui serre le cœur parce qu'elle se demande bien ce qu'il faudrait faire pour y arriver. Elle participe à des choses là dessus quand elle en a le courage. Elle a souvent le courage.
La peinture est en étroite relation avec tout ça, mais il ne s'agit pas de peindre le combat politique. Il y a toujours le risque pour qu'un message dans une œuvre soit de l'ordre de l'anecdote. Et puis plutôt que de travailler par réaction, Aude essaie d'être dans l'affirmation. Quand à moi, je crois que si la peinture ne donne pas d'opinion, c'est parce qu'elle montre bien plus qu'elle ne dit. Ses conditions se situent davantage du côté du regard que de celui de la parole.
Mais peindre est une action politique, tout comme n'importe quel geste à partir du moment où celui-ci résulte d'un choix.
Aude n'est pas bien sûre d'avoir envie de sauver le monde.
Si les histoires commencent quelque part un jour et si elles se mettent à avancer, où donc vont elles comme ça ?
J'ai la musique d'Interstellar dans la tête et je n'ai jamais vu le film.
Le rôle d'un acteur et celui d'un spectateur se brouillent parfois. Celui qui regarde de loin, celui qui n'est pas au centre de l'action ou du conflit ne représente pas forcément la neutralité. Il arrive que les yeux s'affolent et que le cerveau panique en silence. Une peinture est immobile et pourtant je la vois bien en train de me plonger la tête et le cœur dans une bassine d'eau chaude.
L'acteur joue. C'est doux. Alors la statue tranche. Je me garde le droit de décider que l'un est plus ancré dans la réalité que l'autre.
Teddy se réveille, Aude travaille.
Il y a de quoi hausser les épaules. On verra bien.