Pétrichor est le premier mot qui lui vient à l'esprit. Arthur se réveille après une nuit d'orage. Pétrichor, c'est le nom donné à l'odeur de la terre après la pluie. Un mélange d'huiles végétales concentré dans la terre, une senteur apaisante. Arthur dort dans un van, un camion mal isolé qui laisse passer l'eau et l'air. Arthur se dresse sur sa couchette, se lève, attrape un manteau et frissonne en ouvrant la porte.
Hier soir, il s'est garé dans une clairière, près d'un petit étang. Arthur fait quelques pas dans l'herbe détrempée, il observe les hérons qui planent, les aigrettes qui se déplacent dans les herbes hautes, les feuilles des arbres qui bruissent avec le vent. Ce silence. Soudain, un bruit étrange. On dirait une voile qui claque sur un mât. Un son de port de pêche.
En contournant le van, il découvre, accrochée entre deux grands poteaux métalliques, une banderole. On peut y lire cette phrase en lettres rouges et capitales : « Ils détruisent, nous reconstruisons. » Une main sur son épaule. C'est un grand gaillard barbu qui demande : « ça te dirait un café ? ». Arthur est perplexe, frigorifié et son réchaud est cassé. Il répond « Ok ». L'autre l'invite à le suivre.
Arthur découvre au détour de petits sentiers des tentes et des cabanes avec des feux de bois devant. Un peu partout, des grappes de gens, des jeunes, des vieux, du linge étendu, des ballons, des fourgons. Son guide, Nicolas, explique qu'il est dans une Zad, une Zone à défendre : « Nous ne sommes pas des brigands, voilà tu peux te détendre. »
Les voilà installés dans la maison commune, autour d'un café fumant. Nicolas a une drôle de façon de parler, l'art de terminer toutes ses phrases, d'utiliser les termes appropriés. Il parle d'utopie concrète, cite Michel Foucault, dit « in fine ». Un projet d'autoroute insensé, la destruction de la biodiversité, le saccage des marais. Arthur aime bien les autoroutes. Il peut avaler des kilomètres en sécurité. Il aime la vitesse, les aires de repos toutes semblables, les chaînes de restaurants, les équipements standardisés. C'est rassurant et sans surprise. Il peut passer des heures sur un grand tabouret près d'une machine à café. Il reste là, il regarde les clients défiler. Il réfléchit, fait le point, s'entend penser. Arthur aime bien les autoroutes, il n'a rien à leur reprocher.
Nicolas plisse les yeux, répond « intéressant » en soufflant sa fumée.
— Où comptes-tu aller ?
— Aucune idée. Je n'ai pas d'objectif, pas de projet.
—Tu peux rester un peu, tu es le bienvenu.
— Merci, mais ce n'est pas mon truc, la vie en communauté.
Midi passé. Arthur est agenouillé dans un jardin boueux envahi de ronces et de mauvaises herbes. Nicolas l'a convaincu de participer au chantier permaculture. « Tu pourras partir après ». Ils sont un petit groupe à travailler la terre. Une femme à la longue chevelure bouclée et au regard intense leur explique l'art de tout mélanger : les tomates, les patates, les fraises, les radis, les poivrons. Elle rit « Mais pourquoi on s'emmerderait à faire des champs de poireaux tout alignés ? »
En semant les betteraves, Nicolas explique pourquoi il a quitté sa ville, son appart, son boulot. Il étouffait dans son studio. Il était las d'enchaîner les semaines de 45 heures, avec les vacances pour seul horizon. Se sentant piégé, il est parti sans rien dire à personne. Arthur sourit et continue à planter les salades.
Le groupe permaculture a invité Arthur à rester pour la soirée. Une petite fête est organisée. De grandes tablées sur une terrasse en palettes. Des enfants qui courent, des vieux qui jouent aux cartes, des familles, une femme qui gratte une guitare. En roulant ses clopes d'un air concentré, Nicolas raconte : « Tu sais, au début, nous étions juste un groupe d'amis, trois, quatre personnes. Ça a commencé avec un groupement d'achat. On voulait acheter ensemble nos légumes, manger bio alors qu'on était fauché. Le groupe s'est développé, on a aidé des maraîchers à s'installer. L'autoroute supprimait leurs terres, alors on a fait des tracts, on a commencé à organiser des manifs, d'autres nous ont rejoint et petit à petit on s'est installé ici. »
Plus tard, après avoir vidé deux bouteilles de muscadet, les deux amis se réchauffent près d'un brasero qui crépite. Arthur dit qu'il est fatigué, il va aller se coucher. En levant son verre, Nicolas lui demande « on te voit demain ? » Arthur ne répond pas, il part en agitant la main. Peut-être qu'il pourrait rester. Au moins le temps de voir les salades pousser.