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« On y est ! Tu vas partir d'ici. Le chemin devant toi est droit et plat. C'est désert aussi, tu seras tranquille, et surtout, tu vois, il n'y a pas d'enfant. Pas de circulation non plus, c'est dimanche. »
En effet, ce dimanche de printemps 1984, le parking de Mammouth était désert. Une légère brise s'insinuait entre les feuilles des jeunes platanes, plantés là pour apporter une ombre rare et presque factice aux automobilistes suants et souffrants de la chaleur étouffante caractéristique de ce coin de Provence.
En selle sur mon vélo, mon père me donnait ses derniers et répétitifs conseils. Je n'écoutais déjà plus : j'essayais d'étouffer l'angoisse peu à peu croissante qui paralysait mon corps, qui engourdissait mes membres. Je ne devais surtout pas le décevoir. Déjà ce matin, dans son garage, il s'affairait sur mon vélo. Sur son visage fermé, je lisais une application concentrée. Moi, j'attendais et je voyais peu à peu ma bécane se transformer. Nous ne nous parlions pas, mais avec les années, je pense que ce jour-là, nous communions intensément : un projet commun, seulement mon père et moi ! Par intermittence, le bruit métallique des outils qu'il lâchait négligemment sur le sol me faisait sursauter et, par la même occasion, sortir de ma torpeur.
« Tu es prête ? »
Je hochais la tête en signe d'assentiment. La brise gagnait en intensité et quelques bogues des platanes tombaient. Pourvu que le pollen ne me fasse pas éternuer !
« Tu regardes droit devant toi. Le mieux, c'est que tu fixes un point précis au loin. Tu mets un pied sur ta pédale, l'autre, tu le positionneras une fois que tu seras lancée. Je vais te pousser, et quand je te sentirai prête, je m'écarterai... »
J'ai suivi ses conseils : j'ai fixé l'horizon, et j'ai pédalé. Forte de sa présence dans mon dos, j'ai regardé mes pieds et je suis tombée ! J'ai refoulé la douleur qui émanait de mes genoux écorchés, et mon père m'a prestement remise en selle. D'abord titubante, j'ai roulé, sa main sécurisante dans mon dos. Puis la confiance me gagnant, un coup de pédale après l'autre, j'ai pris de la vitesse. Mon père s'est peu à peu détaché. J'ai eu l'impression d'être abandonnée, mais il savait ce qu'il faisait.
Aujourd'hui encore, je me souviens de ce sentiment grisant de liberté, quand prenant enfin de l'allure, mes cheveux se sont affolés autour de mon visage concentré.
Je me souviens surtout de la fierté que j'ai perçue dans les yeux de mon père quand, vaillante, j'ai filé sans trembler sur ce parking déserté, sur mon vélo aux petites roues retirées.
En effet, ce dimanche de printemps 1984, le parking de Mammouth était désert. Une légère brise s'insinuait entre les feuilles des jeunes platanes, plantés là pour apporter une ombre rare et presque factice aux automobilistes suants et souffrants de la chaleur étouffante caractéristique de ce coin de Provence.
En selle sur mon vélo, mon père me donnait ses derniers et répétitifs conseils. Je n'écoutais déjà plus : j'essayais d'étouffer l'angoisse peu à peu croissante qui paralysait mon corps, qui engourdissait mes membres. Je ne devais surtout pas le décevoir. Déjà ce matin, dans son garage, il s'affairait sur mon vélo. Sur son visage fermé, je lisais une application concentrée. Moi, j'attendais et je voyais peu à peu ma bécane se transformer. Nous ne nous parlions pas, mais avec les années, je pense que ce jour-là, nous communions intensément : un projet commun, seulement mon père et moi ! Par intermittence, le bruit métallique des outils qu'il lâchait négligemment sur le sol me faisait sursauter et, par la même occasion, sortir de ma torpeur.
« Tu es prête ? »
Je hochais la tête en signe d'assentiment. La brise gagnait en intensité et quelques bogues des platanes tombaient. Pourvu que le pollen ne me fasse pas éternuer !
« Tu regardes droit devant toi. Le mieux, c'est que tu fixes un point précis au loin. Tu mets un pied sur ta pédale, l'autre, tu le positionneras une fois que tu seras lancée. Je vais te pousser, et quand je te sentirai prête, je m'écarterai... »
J'ai suivi ses conseils : j'ai fixé l'horizon, et j'ai pédalé. Forte de sa présence dans mon dos, j'ai regardé mes pieds et je suis tombée ! J'ai refoulé la douleur qui émanait de mes genoux écorchés, et mon père m'a prestement remise en selle. D'abord titubante, j'ai roulé, sa main sécurisante dans mon dos. Puis la confiance me gagnant, un coup de pédale après l'autre, j'ai pris de la vitesse. Mon père s'est peu à peu détaché. J'ai eu l'impression d'être abandonnée, mais il savait ce qu'il faisait.
Aujourd'hui encore, je me souviens de ce sentiment grisant de liberté, quand prenant enfin de l'allure, mes cheveux se sont affolés autour de mon visage concentré.
Je me souviens surtout de la fierté que j'ai perçue dans les yeux de mon père quand, vaillante, j'ai filé sans trembler sur ce parking déserté, sur mon vélo aux petites roues retirées.
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