Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne prend place lors du nouvel Âge d’or spatial. Dans les années 2030-50, une succession de missions habitées ont pris le relais pour poser les bases de la colonisation. La victoire étant à celui qui mettrait son drapeau sur le plus d’objets célestes. Hélas avec beaucoup trop d’optimisme, et laissant bien trop de cadavres derrière eux. Ces corps orphelins, souvent trop loin pour être ramenés, finissaient par errer entre Mars et Jupiter. On attribuera alors à cette zone le nom de cimetière des Héros comme une sorte d’hommage. Avec le temps, il devint légende.
C’était le cas jusqu’à ce que je tombe dessus. Mais pour cela, il me faut raconter mon périple dans le bon ordre. Alors que l’ESA, l’agence spatiale européenne, cherchait de nouveaux volontaires pour explorer l’espace. Je me présentais du haut de mes 22 ans, à la recherche d’aventure et de richesse. Devant la grande demande de recrue, nous fûmes tous sélectionnés malgré l’écart de compétences flagrantes entre candidats. De mon petit village aux abords de Tours, je me retrouvais au centre d’entrainements en Guyane française. Là-bas, dans la base spatiale de Kourou, je rencontrais la signification des mots douleur et fatigue. Tout était fait pour que l’on soit prêt à braver l’inconnu en solitaire ou en petite compagnie. Je dois dire que j’y ai appris la majeure partie de mon savoir durant cette période. Surtout sur la psychologie humaine et ses limites.
Après plusieurs années de mise à niveau et de spécialisation, j’embarquais pour ma première mission. Un hivernage lunaire en tant qu’ingénieur électrotechnicien. Nous devions relever une équipe de 20 personnes dans la base scientifique, logée dans la mer de la Sérénité. Le début de la mission était fixé à 02h52 du matin, heure de Paris. Mon équipage, constitué de 10 hommes et 10 femmes, se dirigeait vers la navette qui devait nous placer sur la Lune. Le vaisseau spatial, le Corbus MKV, véritable monstre de puissance, faisait gronder ses réacteurs prêts à affronter le vide interstellaire. Nous nous installions à son bord, et une fois tous sanglés, le capitaine Markot annonçait le traditionnel listage des éléments à bord. Les vérifications faites, tout le monde parés et enfoncés dans son siège, le capitaine actionna la mise à feu des réacteurs. Et bon sang, je n’aurais assez de mot pour caractériser la déferlante de puissance qui nous arracha à la conscience. Durant 35 secondes, la navette effectua son accélération pour atteindre la vitesse mirobolante de 32 000 KM/H ! Et ce n’est qu’à cet instant, quand le torrent d’énergie pure a cessé son cataclysme vengeur, que nous pûmes nous raccrocher à la réalité.
Je venais de prendre conscience à la fois de la brillance de l’esprit humain pour permettre ce progrès ; mais aussi de sa pleine fragilité dans laquelle il peine à suivre ses inventions. Ce fut la première fois que je quittais notre bonne vieille Terre. Notre navette glissait avec grâce sur l’océan de noirceur. Les milliards d’étoiles étaient comme autant de sirène pour nos yeux, attirés par leurs lumières. Et cette majestueuse Lune qui englobait peu à peu notre horizon. Le coup de grâce vint avec l’alunissage et l’accueil de l’ancienne équipe, une scène complètement surréaliste pour des débutants comme moi. Tout cela figure encore dans mes meilleurs souvenirs.
Plusieurs missions plus tard, on m’accorda le rôle de vétéran, la confiance avec. Je pus sortir de nos traditionnels hivernages lunaires pour explorer le système solaire. Je pus prendre les commandes d’un autre navire, un Epiosis. Avec des appartements pour une personne et du matériel scientifique à bord. Je devais parcourir de long mois l’obscurité, en solitaire. A partir de la septième mission, je ne revis plus le sol terrestre. La neuvième mission, on m’orienta vers Jupiter pour analyser ses ondes radio. Ce fut une autre expérience. Au début, la fébrilité du voyage vers l’inconnu me transporta. Puis, très vite, la boucle infernale de la routine vit pointer l’ennui. Mes seuls compagnons étant les étoiles, les planètes et l’ordinateur Nadia. Pas très bavards.
Après plusieurs mois, les premiers ennuis vinrent. Nadia semblait perturbée par des ondes étranges. Des erreurs naquirent dans le programme de la mission, mettant en péril celle-ci. Inutile de demander de l’aide à la Terre, j’en étais trop éloigné. Livré à moi-même, j’assistais impuissant à la mort lente et progressive de mon navire. Pour une panne aussi subtile que bête. Mes panneaux solaires qui devaient approvisionner mes batteries en énergie, avaient rendu l’âme. Leurs connectiques avaient vraisemblablement souffert.
Alors je gisais là, sur mon siège, au poste de pilotage, dans mon scaphandre. J’avais éteint tous les appareils électroniques dans l’ordre. D’abord ceux servant à mon confort, puis ceux régulant chauffage et lumière à bord, et finalement les outils critiques pour ma survie. Je m’en tenais à ma tenue spatiale, la seule disposant de sa propre source d’énergie. Il n’y avait plus que les réacteurs qui fonctionnaient à bord, mais le vaisseau n’était plus contrôlable. Il dévierait tôt ou tard de sa trajectoire en l’absence d’ordinateur de bord. J’allais finir par m’écraser.
Toujours plus loin dans ma malchance, des débris d’anciennes missions vinrent à ma rencontre. Les réacteurs accusèrent le coup et rendirent l’âme également. J’errais donc dans le vide stellaire entre Mars et Jupiter, près de la ceinture d’astéroïdes. Je préfère vous passer mes crises de nerfs. D’abord la colère puis les pleurs avant d’accepter mon destin funeste. C’était le résultat de plusieurs mois de voyage en solitaire.
C’est alors, mon regard se perdant dans l’immensité du vide spatial, que je les vis. Les centaines de corps se déplaçant en ballet. Le cimetière des héros vint à moi comme un rappel de ma mort imminente. Je décidais de sortir les rejoindre. J’effectuais la sortie extravéhiculaire, et là je pus voir l’étendue des dégâts sur mon navire. Une pluie de micrométéorites avait percé les panneaux solaires et autres conduites en des milliers de trous. Seul le blindage avait résisté suffisamment pour sauver ma peau. Une piètre consolation quand-on sait que l’on va tout de même mourir.
J’accompagnais le mouvement élégant des cadavres dans leur périple délicieusement glaçant. J’attendais la mort. Plus que quelques heures. J’enregistrais mes dernières volontés avec l’espoir qu’on retrouverait mon corps.
Voilà maintenant quelques heures que je m’occupais à fixer les étoiles. Je tenais la discussion avec Henry, c’était mon nouveau copain. D’après sa tenue, il était mort il y a au moins 10 ans. Son navire avait dû exploser. D’ailleurs, j’en croisais les débris plus tard. C’était l’un des plus gros vaisseaux de minage à son époque. C’est à ce moment que j’eus une idée salvatrice.
En suivant la danse perpétuelle des macchabées, je pus m’en rapprocher. Je pénétrais en son sein via l’ouverture béante laissée lors de l’impact mortel. Je trouvais ce que je cherchais. D’abord de l’oxygène liquide pour mes réserves. Puis un tissu réfléchissant et enfin un canon à électrons avec ses panneaux solaires.
Je venais de bricoler mon moyen de retour vers la Terre. J’arrimais ma voile solaire sur mon radeau de fortune, la carcasse d’une ancienne capsule de sauvetage. Je branchais le canon à électrons. Et le voyage commença. Je décidais de ramener la douzaine de corps sur orbite avec moi. Parce qu’ils avaient droit à une sépulture et surtout parce qu’ils me tiendraient compagnie.
Je ne voulais plus voyager seul, avoir à affronter l’immensité du vide. Son obscurité et sa saloperie de silence. Un truc amusant, j’avais trouvé une antiquité à bord du navire de minage. Un baladeur MP3 à brancher sur la combinaison. Quelle joie, que dis-je quel délice que de retrouver l’abondance de couleurs et de profondeurs dans la musique. Je me voyais comme un conquérant des étoiles à bord de son embarcation. Mes camarades éteints, accrochés sur les flancs comme des ballasts. Je dirigeais la barque mortuaire vers son retour.
Tout ne fut pas simple, je dois l’admettre. Si j’avais des réserves d’oxygène et d’énergie à foison. Ce ne fut pas le cas de la nourriture. J’avais pillé les scaphandres des cadavres pour avoir leurs poches de liquide nutritif de survie. Avec ça, je pus tenir quelques semaines. Mais très vite, je dus recourir au cannibalisme. C’est avec tristesse que je voudrais vous narrer cet accident. Si l’eau pouvait être recyclée avec ma combinaison de survie. Il n’en était pas de même avec la nourriture.
Alors que je dépassais Mars et voyais la Terre grossir doucement. La faim me rongeait depuis plusieurs jours, jusqu’à fouiller mes entrailles les plus profondes. L’abîme de mes pensées ne reflétait que des pensées morbides à propos de festin. Je me rêvais nageant dans des océans de jus de fruits, les arbres donnant des morceaux de viande cuite et juteuse. La crème des plages inondant mes papilles. A cheval entre la folie des songes et la réalité, je n’avais pas réalisé que j’en étais venu à manger un de mes malheureux camarades.
Mon inconscient avait réalisé ce que j’avais en tête depuis plusieurs jours. J’avais cassé un bras à l’un d’eux, emballé soigneusement et passé sous le faisceau d’électrons pour le chauffer à la manière d’un four micro-onde. J’avais ouvert la visière de mon scaphandre pour manger le morceau de chair cuite. Perdant de grandes quantités d’oxygène, je ne pus continuer mon effroyable entreprise.
Ce ne fut que lorsque je dépassais la Lune que je revins à la réalité. Une sortie d’adrénaline du désespoir. Le dernier sprint. On me prit aussitôt en charge quand j’arrivais sur orbite. Je pus raconter ma mésaventure et souligner la naïveté alarmante de nos ingénieurs qui sacrifiait un nombre important de vies humaines sans sépulture. Cela avec le concours des agences spatiales.
Mon histoire servie sans nul doute de leçon pour tout explorateur intrépide. Mais une chose est sure, seuls les plus créatifs en improvisation seront à même de mériter la splendeur de notre système solaire. Il est loin le temps des expérimentations, maintenant, nous en sommes à la maturité naissante.
Et moi ? Eh bien, en plus d’avoir accompli le miracle de survivre plusieurs mois dans le vide stellaire et de rapatrier les cadavres sur Terre, on me félicita pour ma bravoure responsable de mon record. J’avais démontré que les combinaisons de survie étaient plus qu’efficaces. Je repris mes missions avec une majoration de mon salaire.
Bien sûr, ce voyage m'aura marqué plus que je ne voudrais l’accepter. D’abord les radiations ont fragilisé mon ADN, le manque de gravité a fragilisé mon corps et enfin les meurtrissures de mon cannibalisme ont entaché les tréfonds de mon esprit. Je ne pouvais plus retourner sur Terre sinon pour mourir. En refusant ma mort dans l’espace, j’en étais devenu son locataire. Je fus l’être humain accomplissant la plus longue sortie en mission. A savoir plusieurs années avant d’être rattrapé par ma condition de simple mortel. Je n'ai qu'un seul regret, celui de n'avoir pu ramener tous les corps encore sur orbite.
Maintenant, à vous de prendre la relève. Il reste tant de choses à faire dans l’espace. Tant de savoirs et merveilles qui nous attendent au lieu de remuer les mêmes conflits dans notre berceau.
Message de Yhan Poliveck et ses Héros.
C’était le cas jusqu’à ce que je tombe dessus. Mais pour cela, il me faut raconter mon périple dans le bon ordre. Alors que l’ESA, l’agence spatiale européenne, cherchait de nouveaux volontaires pour explorer l’espace. Je me présentais du haut de mes 22 ans, à la recherche d’aventure et de richesse. Devant la grande demande de recrue, nous fûmes tous sélectionnés malgré l’écart de compétences flagrantes entre candidats. De mon petit village aux abords de Tours, je me retrouvais au centre d’entrainements en Guyane française. Là-bas, dans la base spatiale de Kourou, je rencontrais la signification des mots douleur et fatigue. Tout était fait pour que l’on soit prêt à braver l’inconnu en solitaire ou en petite compagnie. Je dois dire que j’y ai appris la majeure partie de mon savoir durant cette période. Surtout sur la psychologie humaine et ses limites.
Après plusieurs années de mise à niveau et de spécialisation, j’embarquais pour ma première mission. Un hivernage lunaire en tant qu’ingénieur électrotechnicien. Nous devions relever une équipe de 20 personnes dans la base scientifique, logée dans la mer de la Sérénité. Le début de la mission était fixé à 02h52 du matin, heure de Paris. Mon équipage, constitué de 10 hommes et 10 femmes, se dirigeait vers la navette qui devait nous placer sur la Lune. Le vaisseau spatial, le Corbus MKV, véritable monstre de puissance, faisait gronder ses réacteurs prêts à affronter le vide interstellaire. Nous nous installions à son bord, et une fois tous sanglés, le capitaine Markot annonçait le traditionnel listage des éléments à bord. Les vérifications faites, tout le monde parés et enfoncés dans son siège, le capitaine actionna la mise à feu des réacteurs. Et bon sang, je n’aurais assez de mot pour caractériser la déferlante de puissance qui nous arracha à la conscience. Durant 35 secondes, la navette effectua son accélération pour atteindre la vitesse mirobolante de 32 000 KM/H ! Et ce n’est qu’à cet instant, quand le torrent d’énergie pure a cessé son cataclysme vengeur, que nous pûmes nous raccrocher à la réalité.
Je venais de prendre conscience à la fois de la brillance de l’esprit humain pour permettre ce progrès ; mais aussi de sa pleine fragilité dans laquelle il peine à suivre ses inventions. Ce fut la première fois que je quittais notre bonne vieille Terre. Notre navette glissait avec grâce sur l’océan de noirceur. Les milliards d’étoiles étaient comme autant de sirène pour nos yeux, attirés par leurs lumières. Et cette majestueuse Lune qui englobait peu à peu notre horizon. Le coup de grâce vint avec l’alunissage et l’accueil de l’ancienne équipe, une scène complètement surréaliste pour des débutants comme moi. Tout cela figure encore dans mes meilleurs souvenirs.
Plusieurs missions plus tard, on m’accorda le rôle de vétéran, la confiance avec. Je pus sortir de nos traditionnels hivernages lunaires pour explorer le système solaire. Je pus prendre les commandes d’un autre navire, un Epiosis. Avec des appartements pour une personne et du matériel scientifique à bord. Je devais parcourir de long mois l’obscurité, en solitaire. A partir de la septième mission, je ne revis plus le sol terrestre. La neuvième mission, on m’orienta vers Jupiter pour analyser ses ondes radio. Ce fut une autre expérience. Au début, la fébrilité du voyage vers l’inconnu me transporta. Puis, très vite, la boucle infernale de la routine vit pointer l’ennui. Mes seuls compagnons étant les étoiles, les planètes et l’ordinateur Nadia. Pas très bavards.
Après plusieurs mois, les premiers ennuis vinrent. Nadia semblait perturbée par des ondes étranges. Des erreurs naquirent dans le programme de la mission, mettant en péril celle-ci. Inutile de demander de l’aide à la Terre, j’en étais trop éloigné. Livré à moi-même, j’assistais impuissant à la mort lente et progressive de mon navire. Pour une panne aussi subtile que bête. Mes panneaux solaires qui devaient approvisionner mes batteries en énergie, avaient rendu l’âme. Leurs connectiques avaient vraisemblablement souffert.
Alors je gisais là, sur mon siège, au poste de pilotage, dans mon scaphandre. J’avais éteint tous les appareils électroniques dans l’ordre. D’abord ceux servant à mon confort, puis ceux régulant chauffage et lumière à bord, et finalement les outils critiques pour ma survie. Je m’en tenais à ma tenue spatiale, la seule disposant de sa propre source d’énergie. Il n’y avait plus que les réacteurs qui fonctionnaient à bord, mais le vaisseau n’était plus contrôlable. Il dévierait tôt ou tard de sa trajectoire en l’absence d’ordinateur de bord. J’allais finir par m’écraser.
Toujours plus loin dans ma malchance, des débris d’anciennes missions vinrent à ma rencontre. Les réacteurs accusèrent le coup et rendirent l’âme également. J’errais donc dans le vide stellaire entre Mars et Jupiter, près de la ceinture d’astéroïdes. Je préfère vous passer mes crises de nerfs. D’abord la colère puis les pleurs avant d’accepter mon destin funeste. C’était le résultat de plusieurs mois de voyage en solitaire.
C’est alors, mon regard se perdant dans l’immensité du vide spatial, que je les vis. Les centaines de corps se déplaçant en ballet. Le cimetière des héros vint à moi comme un rappel de ma mort imminente. Je décidais de sortir les rejoindre. J’effectuais la sortie extravéhiculaire, et là je pus voir l’étendue des dégâts sur mon navire. Une pluie de micrométéorites avait percé les panneaux solaires et autres conduites en des milliers de trous. Seul le blindage avait résisté suffisamment pour sauver ma peau. Une piètre consolation quand-on sait que l’on va tout de même mourir.
J’accompagnais le mouvement élégant des cadavres dans leur périple délicieusement glaçant. J’attendais la mort. Plus que quelques heures. J’enregistrais mes dernières volontés avec l’espoir qu’on retrouverait mon corps.
Voilà maintenant quelques heures que je m’occupais à fixer les étoiles. Je tenais la discussion avec Henry, c’était mon nouveau copain. D’après sa tenue, il était mort il y a au moins 10 ans. Son navire avait dû exploser. D’ailleurs, j’en croisais les débris plus tard. C’était l’un des plus gros vaisseaux de minage à son époque. C’est à ce moment que j’eus une idée salvatrice.
En suivant la danse perpétuelle des macchabées, je pus m’en rapprocher. Je pénétrais en son sein via l’ouverture béante laissée lors de l’impact mortel. Je trouvais ce que je cherchais. D’abord de l’oxygène liquide pour mes réserves. Puis un tissu réfléchissant et enfin un canon à électrons avec ses panneaux solaires.
Je venais de bricoler mon moyen de retour vers la Terre. J’arrimais ma voile solaire sur mon radeau de fortune, la carcasse d’une ancienne capsule de sauvetage. Je branchais le canon à électrons. Et le voyage commença. Je décidais de ramener la douzaine de corps sur orbite avec moi. Parce qu’ils avaient droit à une sépulture et surtout parce qu’ils me tiendraient compagnie.
Je ne voulais plus voyager seul, avoir à affronter l’immensité du vide. Son obscurité et sa saloperie de silence. Un truc amusant, j’avais trouvé une antiquité à bord du navire de minage. Un baladeur MP3 à brancher sur la combinaison. Quelle joie, que dis-je quel délice que de retrouver l’abondance de couleurs et de profondeurs dans la musique. Je me voyais comme un conquérant des étoiles à bord de son embarcation. Mes camarades éteints, accrochés sur les flancs comme des ballasts. Je dirigeais la barque mortuaire vers son retour.
Tout ne fut pas simple, je dois l’admettre. Si j’avais des réserves d’oxygène et d’énergie à foison. Ce ne fut pas le cas de la nourriture. J’avais pillé les scaphandres des cadavres pour avoir leurs poches de liquide nutritif de survie. Avec ça, je pus tenir quelques semaines. Mais très vite, je dus recourir au cannibalisme. C’est avec tristesse que je voudrais vous narrer cet accident. Si l’eau pouvait être recyclée avec ma combinaison de survie. Il n’en était pas de même avec la nourriture.
Alors que je dépassais Mars et voyais la Terre grossir doucement. La faim me rongeait depuis plusieurs jours, jusqu’à fouiller mes entrailles les plus profondes. L’abîme de mes pensées ne reflétait que des pensées morbides à propos de festin. Je me rêvais nageant dans des océans de jus de fruits, les arbres donnant des morceaux de viande cuite et juteuse. La crème des plages inondant mes papilles. A cheval entre la folie des songes et la réalité, je n’avais pas réalisé que j’en étais venu à manger un de mes malheureux camarades.
Mon inconscient avait réalisé ce que j’avais en tête depuis plusieurs jours. J’avais cassé un bras à l’un d’eux, emballé soigneusement et passé sous le faisceau d’électrons pour le chauffer à la manière d’un four micro-onde. J’avais ouvert la visière de mon scaphandre pour manger le morceau de chair cuite. Perdant de grandes quantités d’oxygène, je ne pus continuer mon effroyable entreprise.
Ce ne fut que lorsque je dépassais la Lune que je revins à la réalité. Une sortie d’adrénaline du désespoir. Le dernier sprint. On me prit aussitôt en charge quand j’arrivais sur orbite. Je pus raconter ma mésaventure et souligner la naïveté alarmante de nos ingénieurs qui sacrifiait un nombre important de vies humaines sans sépulture. Cela avec le concours des agences spatiales.
Mon histoire servie sans nul doute de leçon pour tout explorateur intrépide. Mais une chose est sure, seuls les plus créatifs en improvisation seront à même de mériter la splendeur de notre système solaire. Il est loin le temps des expérimentations, maintenant, nous en sommes à la maturité naissante.
Et moi ? Eh bien, en plus d’avoir accompli le miracle de survivre plusieurs mois dans le vide stellaire et de rapatrier les cadavres sur Terre, on me félicita pour ma bravoure responsable de mon record. J’avais démontré que les combinaisons de survie étaient plus qu’efficaces. Je repris mes missions avec une majoration de mon salaire.
Bien sûr, ce voyage m'aura marqué plus que je ne voudrais l’accepter. D’abord les radiations ont fragilisé mon ADN, le manque de gravité a fragilisé mon corps et enfin les meurtrissures de mon cannibalisme ont entaché les tréfonds de mon esprit. Je ne pouvais plus retourner sur Terre sinon pour mourir. En refusant ma mort dans l’espace, j’en étais devenu son locataire. Je fus l’être humain accomplissant la plus longue sortie en mission. A savoir plusieurs années avant d’être rattrapé par ma condition de simple mortel. Je n'ai qu'un seul regret, celui de n'avoir pu ramener tous les corps encore sur orbite.
Maintenant, à vous de prendre la relève. Il reste tant de choses à faire dans l’espace. Tant de savoirs et merveilles qui nous attendent au lieu de remuer les mêmes conflits dans notre berceau.
Message de Yhan Poliveck et ses Héros.