Ça a duré une bonne minute.Une vraie minute.Une éternité.L'orgueil humain venait de se déchaîner sur nos têtes.Sous formes de projectiles,il perforait les corps,les lascérait,les tranchait,parfois avidement.Les habitations ne tenaient plus face à l'impact de ces bombes.Quelques-unes,toujours fièrement dressées,semblaient s'accrocher à l'espoir d'être à nouveau habiter un jour...Un jour de paix peut-être.
Jamais ma ville n'a eu si mauvaise mine.La moitié du pays a connu le même sort d'après les infos.
Penché sur le bord de la fenêtre qui amuse le décor de la chambre où je loge , je laisse le vent me caresser le visage ,tandis que je ressasse le souvenir de la guerre qui fait rage dans mon pays .Oui,la guerre,car ce qui se passe en ce moment dans mon pays, n'est malheureusement pas le fruit d'un simple conflit gérable autour d'une bière.Nous aurions souhaité qu'il le fût. Hélas les êtres humains parlent beaucoup mais ne parviennent pas à se comprendre, pas parce qu'ils ne le peuvent, mais parce qu'ils défendent à tout prix un intérêt et veulent avoir chacun le fin mot de l'histoire.Il n'en résulte alors que des cycles interminables de conflits,foulant au pied les droits de l'homme et le laissant à la merci des armes . Je suis partagé entre le dégoût de cette "guerre des intérêts",et l'angoisse de ne savoir les miens sain et sauf.Les informations diffusées ça et là ne m'aident guère. Je crains d'apprendre qu'ils ont péris en voulant se sauver.
Le téléphone sonne,c'est mon père.Il a l'air détendu, mais je décèle une once d'inquiétude dans sa voix .Il me rassure que tout va bien se passer, que nous serons bientôt tous réunis.Il m'encourage à garder la foi,la foi en un avenir meilleur, loin des horreurs de la guerre.Cette confiance est factice , je le sais et le sens. J'acquiesce tout de même pour le réconforter.
La soirée se déroule sans encombre. Seul dans le studio que j'occupe dans une ville d'Europe,je ne sors qu'à peine et ne passe mon temps qu'à penser à ma famille.Tout un mois s'est écoulé depuis que la guerre a commencé et rien ne semble s'améliorer.Je crois même que les belligérants s'y plaisent bien. Ils me donnent l'impression que la guerre ça paye aussi. Chacun y trouve peut-être son compte.Et le reste, pauvres êtres faméliques que l'on retrouve ça et là est oublié . Je crois que la télé est restée allumée. C'est l'heure du journal.Ah,que le monde est petit !
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La scène se déroule dans une rue déserte. Un homme et une femme sont debout sur la chaussée et portent de gros sacs de voyage. À leur côté,deux gosses les yeux lourds de sommeil se tiennent par la main. L'homme adresse des paroles de réconfort à l'endroit de l'assistance.
Après plusieurs heures d'attente, une voiture surgit de la pénombre et s'arrête à la hauteur de la famille en attente. Tout se passe sans le moindre bruit .Ils sont hissés à bord de l'automobile qui redémarre pesque aussitôt.
La nuit est froide et sombre. La voiture , une vieille Peugeot encore dans la fleur de l'âge perce le noir de la nuit de ses puissants phares. Elle laisse derrière elle une fine poussière imperceptible. Ses passagers quant à eux ,fuient une ville qui ne s'arrête plus de pleurer. Ils craignent peut-être de périr dans les flots de larmes...
La voiture roule durant plusieurs heures et parvient à un poste de contrôle routier. Le chauffeur ralentit et pense passer inaperçu lorsqu'un strident coup de sifflet le contraint à s'arrêter. Il pousse un juron et donne un violent coup de frein qui immobilise l'engin. Les passagers ne tiennent plus en place . Ils s'agitent frénétiquement tandis que le chauffeur tente d'apaiser l'atmosphère. L'orsqun policier s'approche d'eux et tapote la voiture , ils se sentent comme des condamnés à mort que l'on conduit à l'échafaud. Certains récitent des litanies à toute la cour céleste .Les moins croyants se contentent d'écouter leurs voisins et d'hocher la tête .C'est un silence des jours de deuils qui règne désormais. L'officier de police s'adresse au chauffeur :
- Où te rends-tu à cette heure avec tout ce beau monde ?
- Dans la ville voisine. Je roule la nuit à cause du trafic , répondit-il .
Le policier semble peu convaincu et lui demande ses papiers qui sont en règles. Il demande à tous de descendre du véhicule qu'il inspecte scrupuleusement . La tension est palpable. Il s'apprête à interroger les passagers lorsqu'un homme s'écrit avant de prendre ses jambes à son coup : << Moi je ne mourrai pas ici >> .Le policier se met à vociférer et sort une arme qu'il braque sur l'assistance effrayée.
- Vous êtes des ennemis du régime répète -t-il sans cesse. Vous finirez tous derrière les barreaux.
Il sort un talkie-walkie et lance un appel à d'autres unités .Les visages sont crispés . Les poumons peinent à assurer la gestion de l'air qui se fait rare . Des pleurs d'enfants s'élèvent dans la nuit.
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La nuit tombe sur Paris . J'ai passé toute la journée au bord de cette grande étendue d'eau dont je ne retiens toujours pas le nom . Qu'importe ! Elle sait tout de même écouter celle-là. Par moment , elle bruise comme pour me dire qu'elle comprend . Que j'ai raison et que les autres ont tord . Je lui ai promis de revenir.
Les mains dans les poches de mon jean , j'entre dans le studio et me laisse choir sur un canapé près de moi . Comme d'habitude , j'ai laissé la télé allumée . Le générique du journal de 20h attire mon attention . Je me rapproche pour mieux comprendre ce" français de blanc".
- Des échauffourées ont éclaté dans la ville de Zak-land. Des pertes en vie humaines sont à déplorer. Par ailleurs , la police a déclaré avoir arrêté des opposants au régime en place dont les identités sont encore inconnues...
Je ne sais plus ce qui s'est passé par la suite. Je crois que le journaliste a appelé mon prénom : Samuel . Je me suis évanoui .