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Nouvelles - Littérature Générale
Le sucre.
C'était ce que je préférais dans les chouquettes qu'il m'achetait. Nous partions tous les deux faire les courses – tous les deux parce qu'elle, elle était « malade ». Elle était au lit, tout le temps, la nuit, le jour, des semaines entières.
Alors c'était lui qui faisait les courses. Lui qui faisait à manger. Lui qui m'amenait à l'école. Qui allait me chercher chez les copains. Qui faisait le beau devant ma maîtresse de maternelle.
Je voyais bien que c'était inhabituel. Que c'étaient les mères de mes copains qui faisaient toutes les choses de ce genre.
Du coup, j'étais fière, parce que mon père, il faisait tout.
Il faisait tout, et puis il était grand, beau, fort. Vieux aussi – il avait le même âge que le père de ma mère –, mais ça lui donnait un charme que n'avaient pas les autres pères.
Alors il faisait les courses, et pour que je ne la dérange pas, ne la réveille pas, pour que sa maladie n'empire pas, il m'emmenait.
Le rituel était toujours le même : sitôt arrivés sur le parking des Trois Mousquetaires, nous nous dirigions d'un pas décidé et enthousiaste vers la boulangerie d'à côté. Toujours, il demandait des chouquettes. Et nous faisions les courses en boulottant notre énorme sachet de chouquettes.
C'était doux, c'était sucré. C'était léger parce que dedans, c'était vide.
Alors on pouvait en manger tout plein.
C'étaient les chouquettes de mon enfance.
Et ce n'étaient que des chouquettes.
Parce que finalement, j'ai su, des années plus tard, qu'il n'y avait que ça de bon à retenir.
Du sucre... et du vide.
Je n'avais pas de mère, mais j'avais du sucre.
Elle, elle était là sans y être.
Lui, il était là en y étant trop. Une fois rentrés des courses, il réclamait son dû en échange des chouquettes.
Trop présent, trop collant, trop demandeur. Trop des tas de choses que ma mémoire a choisi d'oublier.
Du sucre et du vide.
En grandissant, j'ai chéri les deux seules racines qu'il me restait de mon enfance : du sucre et du vide.
Le sucre, je l'ai mis dans mon ventre.
Le vide, je l'ai fait dans ma tête.
Je me suis rempli les hanches, le cul, les cuisses, les bras de sucre de chouquettes.
Et j'ai vidé consciencieusement ma mémoire.
De mon enfance, ne reste rien.
Un peu de sucre de temps en temps.
Pour le reste, beaucoup de vide.
Le sucre.
C'était ce que je préférais, dans les chouquettes.
C'était ce que je préférais dans les chouquettes qu'il m'achetait. Nous partions tous les deux faire les courses – tous les deux parce qu'elle, elle était « malade ». Elle était au lit, tout le temps, la nuit, le jour, des semaines entières.
Alors c'était lui qui faisait les courses. Lui qui faisait à manger. Lui qui m'amenait à l'école. Qui allait me chercher chez les copains. Qui faisait le beau devant ma maîtresse de maternelle.
Je voyais bien que c'était inhabituel. Que c'étaient les mères de mes copains qui faisaient toutes les choses de ce genre.
Du coup, j'étais fière, parce que mon père, il faisait tout.
Il faisait tout, et puis il était grand, beau, fort. Vieux aussi – il avait le même âge que le père de ma mère –, mais ça lui donnait un charme que n'avaient pas les autres pères.
Alors il faisait les courses, et pour que je ne la dérange pas, ne la réveille pas, pour que sa maladie n'empire pas, il m'emmenait.
Le rituel était toujours le même : sitôt arrivés sur le parking des Trois Mousquetaires, nous nous dirigions d'un pas décidé et enthousiaste vers la boulangerie d'à côté. Toujours, il demandait des chouquettes. Et nous faisions les courses en boulottant notre énorme sachet de chouquettes.
C'était doux, c'était sucré. C'était léger parce que dedans, c'était vide.
Alors on pouvait en manger tout plein.
C'étaient les chouquettes de mon enfance.
Et ce n'étaient que des chouquettes.
Parce que finalement, j'ai su, des années plus tard, qu'il n'y avait que ça de bon à retenir.
Du sucre... et du vide.
Je n'avais pas de mère, mais j'avais du sucre.
Elle, elle était là sans y être.
Lui, il était là en y étant trop. Une fois rentrés des courses, il réclamait son dû en échange des chouquettes.
Trop présent, trop collant, trop demandeur. Trop des tas de choses que ma mémoire a choisi d'oublier.
Du sucre et du vide.
En grandissant, j'ai chéri les deux seules racines qu'il me restait de mon enfance : du sucre et du vide.
Le sucre, je l'ai mis dans mon ventre.
Le vide, je l'ai fait dans ma tête.
Je me suis rempli les hanches, le cul, les cuisses, les bras de sucre de chouquettes.
Et j'ai vidé consciencieusement ma mémoire.
De mon enfance, ne reste rien.
Un peu de sucre de temps en temps.
Pour le reste, beaucoup de vide.
Le sucre.
C'était ce que je préférais, dans les chouquettes.
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Pourquoi on a aimé ?
Faussement simple, légèreté apparente, sucre amer… « Les chouquettes » use de toute sa poésie pour retracer sans le dire un événement
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