Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle-ci s’achève dans les rues désertes de paris par une nuit d’hiver. Un homme vêtu de noir entre dans un immeuble.
Pour situer le lecteur, une légère description des lieux s’impose. Nous étions dans le centre du Paris de la première moitié du XIXe siècle, l’emblématique tour Eiffel n’étant point là pour nous servir de repère, nous nous servirons du champ-de-mars pour nous orienter. L’immeuble en question se situe à la pointe australe du champ, dans le dédale de rues du faubourg Saint-Germain.
Cette nuit-là, la ville était plongée dans un brouillard aux allures de fumée mystique, aussi le gardien de l’immeuble qui guettait l’arrivée de l’homme citez plus haut, ne vit la voiture que quand elle se trouva à quelques mètres de lui, il entendit les pas pesants des chevaux résonner lourdement sur le pavée et aperçut la petite lanterne émergée lentement des ténèbres, puis vit l’homme sauté de la diligence, il était coiffé d’un haut-de-forme, vêtu de noir et porté une mallette que l’on ne pouvait qu’apercevoir à travers sa gigantesque cape couleur nuit, il se précipita à l’intérieur de l’immeuble où le vieux gardien en robe de chambre l’attendait une lampe à pétrole à la main.
-Venez, il est au deuxième étage, s’enquit-il de lui dire tout en le précédent sur les escaliers.
L’ombre des deux hommes éclairés par la faible lumière de la lampe et des réverbères, par intermittence, glissa jusqu'à la porte d’un petit appartement.
-Figurez-vous qu’il allait très bien, dit le gardien sans préambule, puis du jour au lendemain il n’est plus sorti de chez lui, c’est à n’y rien comprendre, l’autre jour comme ma femme s’inquiétait, je suis monté le voir, il n’arrivait même plus à se lever, j’ai voulu appeler le médecin d’à côté mais il a refusé, il a demandé à voir un prêtre et c’est lui, si je ne me trompe pas, qui vous a appelé. Surement qu’il a réussi à le convaincre.
Tout en parlant le gardien confia la lampe à l’homme en noir pendant qu’il cherchait fébrilement dans son trousseau de clés celle qui ouvrirai la porte devant laquelle ils étaient.
-Il aurait pu demander au médecin qui habite juste à côté. Oh ! Ce n’est pas pour vous vexer, mais cela vous aurez évité de faire un si long trajet, mais s’il a fait cela c’est qu’il vous fait confiance.
Le médecin hocha négativement la tête et répondit :
-Du tout, je ne l’avais jamais vue avant aujourd’hui.
-Ah bon ! dit le gardien.
Quand il réussit enfin à ouvrir la porte de l’appartement, le nouveau venu se trouva devant un grand salon peu, pour ne pas dire, pas du tout meublé, seule une vielle table où deux chaises se faisaient face à face dans le noir, occupaient la pièce près d’un petit bahut où traînait de la vaisselle non ranger, devant se trouvait la cheminée encerclée entre deux fenêtres qui était seule source de lumière, l’âtre n’ayant point servi depuis longtemps.
-C’est la porte à gauche, dit le gardien.
Puis il reprit sa lampe et fit demi-tour. L’homme se dirigea vers une porte d’où s’échappait une lumière tremblante, entra dans une petite chambre et se trouva en présence d’un vieil homme aux cheveux gris et au visage ridé par le temps. Son regard vide fixé avec mélancolie un point lointain sans parvenir à le saisir.
La chambre était de même que la pièce précédente modestement meublée, seule différence, le feu brulait doucement dans le foyer et une bougie à moitié consumée posée sur le rebord de la table de nuit éclairait la pièce. La fenêtre était close et une forte odeur de renfermé emplissait l’espace.
Le vieillard ne bougeait pas, le nouveau venu craignant d’être arrivé trop tard dit d’une voix haute :
-Bonsoir monsieur, c’est le docteur.
Le vieillard resta un moment immobile, puis ferma lentement les yeux, peina à tourner sa tête vers le médecin et les rouvrit, un sourire s’esquissa sur ses lèvres desséchées et il dit dans un souffle :
-Ah ! Vous êtes là !
Le médecin qui sortait de sa mallette son stéthoscope, répondit :
-Oui, c’est le prêtre Delacroix qui m’a fait venir.
Le vieillard ne répondit rien, il souriait encore tout en regardant son interlocuteur fixement. Le médecin lui demanda s’il avait mal quelque part
-Non,répondit-il.
Le médecin sortit sa montre à gousset de sa poche et prit le pouls de son patient, puis lui demanda de se tourner et appliqua son stéthoscope sur son dos, après quoi, il l’aida à se remettre dans une position plus confortable sans rien dire. Le visage du médecin ne trahissait aucune émotion et pourtant son silence en disait bien long, il n’y avait nullement besoin d’être un spécialiste pour deviner que cet homme ne passera pas la nuit. Quand le silence devint trop pesant le vieillard dit soudainement, et en même temps très calmement :
-Je me sais mourant et vous aussi le savez !
En entendant son patient prononcer ces paroles, le médecin qui rangeait ses affaires s’arrêta un moment, baissa les yeux mais ne répondit rien.
-oh ! Je fus médecin aussi, et souvent j’ai eu la même expression que la vôtre devant un patient, bien trop souvent à mon goût !
Le jeune médecin toujours calme et silencieux, s’assit sur une chaise qu’il rapprocha du lit du mourant.
-Oui, continua le vieil homme, je crois que j’ai dû annoncer la mauvaise nouvelle une fois de trop.
Je n’ai pas toujours été ainsi, j’ai moi aussi, était jeune et j’ai jadis aimé vivre et être en vie. Oui, jadis j’ai goûté au bonheur et il ne m’en reste qu’un arrière-goût amer.
Je n’ai pas toujours vécu à Paris, j’ai longtemps habité en province, ma famille appréciait le calme et la tranquillité. Moi aussi d’ailleurs. Nous vécûmes dans un petit village sans histoire. Mon père qui tenait sa fortune de son père à lui, avait ouvert un petit magasin de vêtements, qui eut un grand succès et qui nous assurât une vie sans souci d’ordre économique, son frère habitait à quelques centaines de mètres de chez nous, c’était un homme qui avait le sens des affaires, il fit l’acquisition d’une raffinerie de sucre ici dans la capitale et de ce fait était rarement chez lui.
Mes parents n’avaient eu qu’un seul enfant, moi. Mon oncle, quant à lui, eut un enfant de plus que son frère, j’ai eu deux cousins. Non, un frère et une sœur, car nous étions inséparables du fait que nous vivions à proximité, à tels point que nous étudions ensemble, Paul l’aîné avait le même âge que moi, mon oncle avait engagé un précepteur qui nous faisait cours à tous les deux puis quand Eléonore, notre benjamine de trois ans fut en âge d’étudier, elle se joignit à nous. Dès que notre précepteur s’en allait Paul à l’imagination plus que fertile, nous entraînait, Eléonore et moi dans le jardin pour nous faire vivre je ne sais quelle aventure qui avait germé dans son esprit, c’est alors que le jardin se transformait en une jungle et Paul en jeune prince qui venait sauver Eléonore la belle princesse des griffes de sauvages. Mais malheureusement un jour, Paul ferma les yeux, s’enfonça dans un rêve où il vivait une aventure de plus, et ne se réveilla plus. Les médecins furent impuissants et une maudite fièvre l’emporta, son fuguasse passage dans ce monde nous marqua tous et son deuil je le porte encore aujourd’hui. Sur sa tombe auprès d’Eléonore en pleures je décidais de devenir médecin.
Je me demande quelle sotte idée m’est passée par la tête à ce moment-là, quel idiot j’ai pu être, peut- être ai-je pensé que j’aurais pu sauver mon jeune frère décédé. mais c’était trop tard. Où encore aurai-je voulu protéger ceux qui m’étaient chers. Peut-être ai-je eu l’audace de vouloir combattre la mort, mais j’aurais dû savoir que la mort ne joue pas, j’aurais dû comprendre que mon combat était perdu d’avance et que tout ce que j’allais entreprendre j’allais le faire en vain.
Je suis donc venu étudier à Paris. Quand j’appris à Eléonore la nouvelle de mon futur départ dans le but d’étudier la médecine, elle me souhaita bonne chance et me demanda de lui écrire souvent, ce n’est que quand le train siffla le départ, que j’aperçus derrière la vitre et la vapeur qui s’élevait, le visage d’Eléonore en larmes et plein de reproches en même temps. Je l’avais abandonné, seule dans une maison vide dans une campagne isolée, sa mère avait succombé au chagrin de la mort de son fils, quelque temps avant mon départ, mon oncle de son côté était presque toujours en déplacement, à mes retours pour les vacances je la retrouvais toujours chez mes parents elle était devenu très proche de ma mère. Et à l’un de mes retours quelques années plus tard elle m’apprit ses fiançailles avec Charles Lepidus un écrivain qui s’était installé dans le village, c’était un gentil jeune homme toujours souriant et qui rendit la joie de vivre à cette chère Eléonore, ils eurent un petit garçon, Paul, qu’ils adoraient par-dessus tout.
Plusieurs années passèrent où j’exerçais comme médecin au village, quand je dus constater le décès de Charles mort d’une tuberculose qu’il contracta après être rentré à pied sous la pluie deux ans plus tôt, j’ai assisté impuissant à son agonie et j’ai dû faire une chose bien pire ; annoncer sa mort à Eléonore. Elle tomba à genoux en me voyant sortir de la chambre du défunt, je courus vers elle, la trouvant en pleures, je me suis agenouillé à mon tour c’est alors qu’elle relava son doux visage ses yeux couleur d’émeraude et sa magnifique forêt de boucle blonde, et pâle comme un linge, les larmes aux yeux, elle me dit d’une voix que je n’oublierais jamais, douce et teintée de mélancolie à la fois: « je t’en prie, dis-moi qu’il vit encore, je t’en supplie dit moi que je n’aurais pas à apprendre à mon fils qu’il est à jamais privé de son père » qu’aurais-je pu faire ? Qu’aurais-je pu dire ? Je suis resté muet et immobile écoutant en silence les pleures déchirant d’Eléonore. A l’époque le jeune Paule n’avait que trois ans.
Eléonore se remaria avec un certain John Saevus, un anglais qui avait un jour fait affaire avec son père, j’étais heureux pour elle, cependant quelque chose en cet homme ne m’inspirait pas confiance.
A peine deux mois après leurs épousailles on m’appela en urgence ; Eléonore venait de faire une chute dans les escaliers, heureusement il y avait eu plus de peur que de mal. Je lui demandais comment elle était tombée mais elle me répondit seulement qu’elle avait perdu l’équilibre. Je la quittais perplexe et questionnais Paul qui ne m’apprit rien sur l’accident or il me dit « mère est poursuivi par le mauvais sort, il y a deux jours l’une des deux épées croisées ornant la cheminée l’avait frôlé de peu ». En quittant la maison je vis Saevus me guettant du balcon du premier étage et malgré cela je décidais d’oublier ces incidents et de chasser toute mauvaise pensée de mon esprit.
Quelque temps après, Paul fut envoyé étudier la médecine à Paris, j’étais très proche de cet enfant et j’ai dû l’influencer inconsciemment.
Peu de temps après son départ sa mère a failli mourir noyer. A ce moment-là je ne pouvais plus faire comme si de rien n’était, c’était évident qu’on voulait attenter à la vit d’Eléonore et il n’y avait nul doute concernant l’identité du criminel, quant au mobile c’était bien sûr l’argent.
Je ne pouvais rien faire, je me sentais une fois de plus impuissant et je voyais Eléonore me glisser entre les mains et s’échouer dans un profond abîme où je ne pouvais la suivre.
C’est alors que germa dans mon esprit une pensée macabre, mais qui sur le moment me parut la seule solution, j’étais alors jeune et impulsif et je voulus sauver la vie d’Eléonore en ôtant celle de son mari !
J’organisais alors une petite soirée entre amie et j’invitais bien sûr Eléonore et Saevus, je profitais de cette occasion pour éliminer ce dernier, j’avais au préalable préparé un jus avec des fruits d’if que je mélangeais au verre de vin que je posais devant Saevus. Je m’assis, un moment après, je levais mon verre en disant : « à Eléonore », cette dernière souriante leva son verre « au bonheur d’être ensemble » quant à Saevus il me regarda avec ses yeux de fourbe et un sourire machiavélique aux lèvres et clama haut et fort « à la vie » je souris alors et nous bûmes.
J’attendais avec anxiété. Oui ! Moi l’homme qui avait juré de consacrer ma vie à sauver des vies, j’attendais avec impatience une mort que je venais de provoquer.
Oh ! Je fus bien punie de mon acte, car cette nuit-là, j’ai bien pris une vie. Oui, en cette maudite soirée, j’ai ôté la vie à ma sœur.
A malin, malin et demi comme on dit. Saevus m’avait vu verser le poison et profita d’un moment d’inattention pendant le dîner pour échanger son verre avec celui d’Eléonore, c’était surement pendant la confusion qui régna lorsqu’on parla de politique.
Cela étant je n’avais aucun antidote, et Eléonore mourut « d’une crise cardiaque » et la pensée d’avoir aidé cet homme à arriver à ces fins ne me quitte plus dès lors.
J’avais invité la mort, et elle s’est joué de moi.
Je l’ai pleuré deux jours et trois nuits lorsqu’on m’annonça la mort de Saevus, il était mort en voulant quitter le pays, sa voiture tomba dans un ravin et ainsi cet homme disparut dans les ténèbres auquel il appartenait.
C’est alors que j’ai compris, bien tardivement que ma profession consistait à être l’oiseau de mauvaise augure qui précédait le passage de la mort, j’ai appris la mort d’une fille à son père et la mort d’un frère à mon père puis celle d’une femme à son mari et quand mon père mourut à son tour je n’avais personne à qui l’annoncer.
Après bien des années, je suis donc venu ici à Paris pour revoir mon neveu et lui apprendre la vérité sur la mort de sa mère, mais j’en fus incapable, je n’ai pas eu le courage de le faire, reportant au lendemain cette affaire.
C’est alors qu’il ya deux ou trois semaines de cela en me promenant, ne cessant de réfléchir à ma vie, me la représentant comme une suite de morts les unes après les autres. Sans m’en rendre compte j’avais traversé la seine et me trouvais près d’un opéra, je ne sais pourquoi je m’en approchais et j’entendis le Lacrimosa de Mozart, poignant, déchirant et je devins fou, je restais là debout effaré réalisant que j’étais la cause de la mort d’une personne, qu’allai-je faire maintenant ? Comment allai-je répondre de mon acte ? Je ne le savais pas ! Et depuis lors je suis hanté par cette question
Oh ! Pardonnez, pardonnez-moi !
Le jeune médecin qui avait écouté les aveux de ce vieil homme en silence, interdit et étonné ne put retenir une larme, puis rompit son long silence pour dire
-Vous êtes pardonné ! Allez en paix !
Les derniers mots qu’avait pu entendre le mourant, maintenant mort.
La bougie s’était éteinte et l’aube pointait ses premiers rayons à travers les volés fermés.
Le médecin sortit de la chambre retrouva le gardien en bas et lui tendit le certificat de décès en lui disant qu’il s’occuperait des frais des obsèques.
-Oh ! S’étonna le gardien alors au revoir docteur... puis se souvenant qu’il ne connaissait pas le nom du médecin il jeta un coup d’œil au certificat qu’il lui avait remis plus tôt et repris, au revoir docteur Paul Lepidus.
Pour situer le lecteur, une légère description des lieux s’impose. Nous étions dans le centre du Paris de la première moitié du XIXe siècle, l’emblématique tour Eiffel n’étant point là pour nous servir de repère, nous nous servirons du champ-de-mars pour nous orienter. L’immeuble en question se situe à la pointe australe du champ, dans le dédale de rues du faubourg Saint-Germain.
Cette nuit-là, la ville était plongée dans un brouillard aux allures de fumée mystique, aussi le gardien de l’immeuble qui guettait l’arrivée de l’homme citez plus haut, ne vit la voiture que quand elle se trouva à quelques mètres de lui, il entendit les pas pesants des chevaux résonner lourdement sur le pavée et aperçut la petite lanterne émergée lentement des ténèbres, puis vit l’homme sauté de la diligence, il était coiffé d’un haut-de-forme, vêtu de noir et porté une mallette que l’on ne pouvait qu’apercevoir à travers sa gigantesque cape couleur nuit, il se précipita à l’intérieur de l’immeuble où le vieux gardien en robe de chambre l’attendait une lampe à pétrole à la main.
-Venez, il est au deuxième étage, s’enquit-il de lui dire tout en le précédent sur les escaliers.
L’ombre des deux hommes éclairés par la faible lumière de la lampe et des réverbères, par intermittence, glissa jusqu'à la porte d’un petit appartement.
-Figurez-vous qu’il allait très bien, dit le gardien sans préambule, puis du jour au lendemain il n’est plus sorti de chez lui, c’est à n’y rien comprendre, l’autre jour comme ma femme s’inquiétait, je suis monté le voir, il n’arrivait même plus à se lever, j’ai voulu appeler le médecin d’à côté mais il a refusé, il a demandé à voir un prêtre et c’est lui, si je ne me trompe pas, qui vous a appelé. Surement qu’il a réussi à le convaincre.
Tout en parlant le gardien confia la lampe à l’homme en noir pendant qu’il cherchait fébrilement dans son trousseau de clés celle qui ouvrirai la porte devant laquelle ils étaient.
-Il aurait pu demander au médecin qui habite juste à côté. Oh ! Ce n’est pas pour vous vexer, mais cela vous aurez évité de faire un si long trajet, mais s’il a fait cela c’est qu’il vous fait confiance.
Le médecin hocha négativement la tête et répondit :
-Du tout, je ne l’avais jamais vue avant aujourd’hui.
-Ah bon ! dit le gardien.
Quand il réussit enfin à ouvrir la porte de l’appartement, le nouveau venu se trouva devant un grand salon peu, pour ne pas dire, pas du tout meublé, seule une vielle table où deux chaises se faisaient face à face dans le noir, occupaient la pièce près d’un petit bahut où traînait de la vaisselle non ranger, devant se trouvait la cheminée encerclée entre deux fenêtres qui était seule source de lumière, l’âtre n’ayant point servi depuis longtemps.
-C’est la porte à gauche, dit le gardien.
Puis il reprit sa lampe et fit demi-tour. L’homme se dirigea vers une porte d’où s’échappait une lumière tremblante, entra dans une petite chambre et se trouva en présence d’un vieil homme aux cheveux gris et au visage ridé par le temps. Son regard vide fixé avec mélancolie un point lointain sans parvenir à le saisir.
La chambre était de même que la pièce précédente modestement meublée, seule différence, le feu brulait doucement dans le foyer et une bougie à moitié consumée posée sur le rebord de la table de nuit éclairait la pièce. La fenêtre était close et une forte odeur de renfermé emplissait l’espace.
Le vieillard ne bougeait pas, le nouveau venu craignant d’être arrivé trop tard dit d’une voix haute :
-Bonsoir monsieur, c’est le docteur.
Le vieillard resta un moment immobile, puis ferma lentement les yeux, peina à tourner sa tête vers le médecin et les rouvrit, un sourire s’esquissa sur ses lèvres desséchées et il dit dans un souffle :
-Ah ! Vous êtes là !
Le médecin qui sortait de sa mallette son stéthoscope, répondit :
-Oui, c’est le prêtre Delacroix qui m’a fait venir.
Le vieillard ne répondit rien, il souriait encore tout en regardant son interlocuteur fixement. Le médecin lui demanda s’il avait mal quelque part
-Non,répondit-il.
Le médecin sortit sa montre à gousset de sa poche et prit le pouls de son patient, puis lui demanda de se tourner et appliqua son stéthoscope sur son dos, après quoi, il l’aida à se remettre dans une position plus confortable sans rien dire. Le visage du médecin ne trahissait aucune émotion et pourtant son silence en disait bien long, il n’y avait nullement besoin d’être un spécialiste pour deviner que cet homme ne passera pas la nuit. Quand le silence devint trop pesant le vieillard dit soudainement, et en même temps très calmement :
-Je me sais mourant et vous aussi le savez !
En entendant son patient prononcer ces paroles, le médecin qui rangeait ses affaires s’arrêta un moment, baissa les yeux mais ne répondit rien.
-oh ! Je fus médecin aussi, et souvent j’ai eu la même expression que la vôtre devant un patient, bien trop souvent à mon goût !
Le jeune médecin toujours calme et silencieux, s’assit sur une chaise qu’il rapprocha du lit du mourant.
-Oui, continua le vieil homme, je crois que j’ai dû annoncer la mauvaise nouvelle une fois de trop.
Je n’ai pas toujours été ainsi, j’ai moi aussi, était jeune et j’ai jadis aimé vivre et être en vie. Oui, jadis j’ai goûté au bonheur et il ne m’en reste qu’un arrière-goût amer.
Je n’ai pas toujours vécu à Paris, j’ai longtemps habité en province, ma famille appréciait le calme et la tranquillité. Moi aussi d’ailleurs. Nous vécûmes dans un petit village sans histoire. Mon père qui tenait sa fortune de son père à lui, avait ouvert un petit magasin de vêtements, qui eut un grand succès et qui nous assurât une vie sans souci d’ordre économique, son frère habitait à quelques centaines de mètres de chez nous, c’était un homme qui avait le sens des affaires, il fit l’acquisition d’une raffinerie de sucre ici dans la capitale et de ce fait était rarement chez lui.
Mes parents n’avaient eu qu’un seul enfant, moi. Mon oncle, quant à lui, eut un enfant de plus que son frère, j’ai eu deux cousins. Non, un frère et une sœur, car nous étions inséparables du fait que nous vivions à proximité, à tels point que nous étudions ensemble, Paul l’aîné avait le même âge que moi, mon oncle avait engagé un précepteur qui nous faisait cours à tous les deux puis quand Eléonore, notre benjamine de trois ans fut en âge d’étudier, elle se joignit à nous. Dès que notre précepteur s’en allait Paul à l’imagination plus que fertile, nous entraînait, Eléonore et moi dans le jardin pour nous faire vivre je ne sais quelle aventure qui avait germé dans son esprit, c’est alors que le jardin se transformait en une jungle et Paul en jeune prince qui venait sauver Eléonore la belle princesse des griffes de sauvages. Mais malheureusement un jour, Paul ferma les yeux, s’enfonça dans un rêve où il vivait une aventure de plus, et ne se réveilla plus. Les médecins furent impuissants et une maudite fièvre l’emporta, son fuguasse passage dans ce monde nous marqua tous et son deuil je le porte encore aujourd’hui. Sur sa tombe auprès d’Eléonore en pleures je décidais de devenir médecin.
Je me demande quelle sotte idée m’est passée par la tête à ce moment-là, quel idiot j’ai pu être, peut- être ai-je pensé que j’aurais pu sauver mon jeune frère décédé. mais c’était trop tard. Où encore aurai-je voulu protéger ceux qui m’étaient chers. Peut-être ai-je eu l’audace de vouloir combattre la mort, mais j’aurais dû savoir que la mort ne joue pas, j’aurais dû comprendre que mon combat était perdu d’avance et que tout ce que j’allais entreprendre j’allais le faire en vain.
Je suis donc venu étudier à Paris. Quand j’appris à Eléonore la nouvelle de mon futur départ dans le but d’étudier la médecine, elle me souhaita bonne chance et me demanda de lui écrire souvent, ce n’est que quand le train siffla le départ, que j’aperçus derrière la vitre et la vapeur qui s’élevait, le visage d’Eléonore en larmes et plein de reproches en même temps. Je l’avais abandonné, seule dans une maison vide dans une campagne isolée, sa mère avait succombé au chagrin de la mort de son fils, quelque temps avant mon départ, mon oncle de son côté était presque toujours en déplacement, à mes retours pour les vacances je la retrouvais toujours chez mes parents elle était devenu très proche de ma mère. Et à l’un de mes retours quelques années plus tard elle m’apprit ses fiançailles avec Charles Lepidus un écrivain qui s’était installé dans le village, c’était un gentil jeune homme toujours souriant et qui rendit la joie de vivre à cette chère Eléonore, ils eurent un petit garçon, Paul, qu’ils adoraient par-dessus tout.
Plusieurs années passèrent où j’exerçais comme médecin au village, quand je dus constater le décès de Charles mort d’une tuberculose qu’il contracta après être rentré à pied sous la pluie deux ans plus tôt, j’ai assisté impuissant à son agonie et j’ai dû faire une chose bien pire ; annoncer sa mort à Eléonore. Elle tomba à genoux en me voyant sortir de la chambre du défunt, je courus vers elle, la trouvant en pleures, je me suis agenouillé à mon tour c’est alors qu’elle relava son doux visage ses yeux couleur d’émeraude et sa magnifique forêt de boucle blonde, et pâle comme un linge, les larmes aux yeux, elle me dit d’une voix que je n’oublierais jamais, douce et teintée de mélancolie à la fois: « je t’en prie, dis-moi qu’il vit encore, je t’en supplie dit moi que je n’aurais pas à apprendre à mon fils qu’il est à jamais privé de son père » qu’aurais-je pu faire ? Qu’aurais-je pu dire ? Je suis resté muet et immobile écoutant en silence les pleures déchirant d’Eléonore. A l’époque le jeune Paule n’avait que trois ans.
Eléonore se remaria avec un certain John Saevus, un anglais qui avait un jour fait affaire avec son père, j’étais heureux pour elle, cependant quelque chose en cet homme ne m’inspirait pas confiance.
A peine deux mois après leurs épousailles on m’appela en urgence ; Eléonore venait de faire une chute dans les escaliers, heureusement il y avait eu plus de peur que de mal. Je lui demandais comment elle était tombée mais elle me répondit seulement qu’elle avait perdu l’équilibre. Je la quittais perplexe et questionnais Paul qui ne m’apprit rien sur l’accident or il me dit « mère est poursuivi par le mauvais sort, il y a deux jours l’une des deux épées croisées ornant la cheminée l’avait frôlé de peu ». En quittant la maison je vis Saevus me guettant du balcon du premier étage et malgré cela je décidais d’oublier ces incidents et de chasser toute mauvaise pensée de mon esprit.
Quelque temps après, Paul fut envoyé étudier la médecine à Paris, j’étais très proche de cet enfant et j’ai dû l’influencer inconsciemment.
Peu de temps après son départ sa mère a failli mourir noyer. A ce moment-là je ne pouvais plus faire comme si de rien n’était, c’était évident qu’on voulait attenter à la vit d’Eléonore et il n’y avait nul doute concernant l’identité du criminel, quant au mobile c’était bien sûr l’argent.
Je ne pouvais rien faire, je me sentais une fois de plus impuissant et je voyais Eléonore me glisser entre les mains et s’échouer dans un profond abîme où je ne pouvais la suivre.
C’est alors que germa dans mon esprit une pensée macabre, mais qui sur le moment me parut la seule solution, j’étais alors jeune et impulsif et je voulus sauver la vie d’Eléonore en ôtant celle de son mari !
J’organisais alors une petite soirée entre amie et j’invitais bien sûr Eléonore et Saevus, je profitais de cette occasion pour éliminer ce dernier, j’avais au préalable préparé un jus avec des fruits d’if que je mélangeais au verre de vin que je posais devant Saevus. Je m’assis, un moment après, je levais mon verre en disant : « à Eléonore », cette dernière souriante leva son verre « au bonheur d’être ensemble » quant à Saevus il me regarda avec ses yeux de fourbe et un sourire machiavélique aux lèvres et clama haut et fort « à la vie » je souris alors et nous bûmes.
J’attendais avec anxiété. Oui ! Moi l’homme qui avait juré de consacrer ma vie à sauver des vies, j’attendais avec impatience une mort que je venais de provoquer.
Oh ! Je fus bien punie de mon acte, car cette nuit-là, j’ai bien pris une vie. Oui, en cette maudite soirée, j’ai ôté la vie à ma sœur.
A malin, malin et demi comme on dit. Saevus m’avait vu verser le poison et profita d’un moment d’inattention pendant le dîner pour échanger son verre avec celui d’Eléonore, c’était surement pendant la confusion qui régna lorsqu’on parla de politique.
Cela étant je n’avais aucun antidote, et Eléonore mourut « d’une crise cardiaque » et la pensée d’avoir aidé cet homme à arriver à ces fins ne me quitte plus dès lors.
J’avais invité la mort, et elle s’est joué de moi.
Je l’ai pleuré deux jours et trois nuits lorsqu’on m’annonça la mort de Saevus, il était mort en voulant quitter le pays, sa voiture tomba dans un ravin et ainsi cet homme disparut dans les ténèbres auquel il appartenait.
C’est alors que j’ai compris, bien tardivement que ma profession consistait à être l’oiseau de mauvaise augure qui précédait le passage de la mort, j’ai appris la mort d’une fille à son père et la mort d’un frère à mon père puis celle d’une femme à son mari et quand mon père mourut à son tour je n’avais personne à qui l’annoncer.
Après bien des années, je suis donc venu ici à Paris pour revoir mon neveu et lui apprendre la vérité sur la mort de sa mère, mais j’en fus incapable, je n’ai pas eu le courage de le faire, reportant au lendemain cette affaire.
C’est alors qu’il ya deux ou trois semaines de cela en me promenant, ne cessant de réfléchir à ma vie, me la représentant comme une suite de morts les unes après les autres. Sans m’en rendre compte j’avais traversé la seine et me trouvais près d’un opéra, je ne sais pourquoi je m’en approchais et j’entendis le Lacrimosa de Mozart, poignant, déchirant et je devins fou, je restais là debout effaré réalisant que j’étais la cause de la mort d’une personne, qu’allai-je faire maintenant ? Comment allai-je répondre de mon acte ? Je ne le savais pas ! Et depuis lors je suis hanté par cette question
Oh ! Pardonnez, pardonnez-moi !
Le jeune médecin qui avait écouté les aveux de ce vieil homme en silence, interdit et étonné ne put retenir une larme, puis rompit son long silence pour dire
-Vous êtes pardonné ! Allez en paix !
Les derniers mots qu’avait pu entendre le mourant, maintenant mort.
La bougie s’était éteinte et l’aube pointait ses premiers rayons à travers les volés fermés.
Le médecin sortit de la chambre retrouva le gardien en bas et lui tendit le certificat de décès en lui disant qu’il s’occuperait des frais des obsèques.
-Oh ! S’étonna le gardien alors au revoir docteur... puis se souvenant qu’il ne connaissait pas le nom du médecin il jeta un coup d’œil au certificat qu’il lui avait remis plus tôt et repris, au revoir docteur Paul Lepidus.