Les apparences

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître ». Ce sont là les mots qui m'ont fait bénéficier d'une très bonne raclée de la part des trois gosses de riches qui s'en prennent à moi.

Parmi mes trois agresseurs, deux sont ceux qui sont dans la même faculté que moi mais le troisième franchement, sa tête ne me dit absolument rien.

Je me demande bien ce que j'ai pu leur faire pour mériter d'être traîné dans une maison inachevée alors qu'à cette heure-ci je devrais déjà être en train de réviser mon cours de droit administratif pour le contrôle prochain.

Cela fait plus d'une année depuis que je suis venu dans ce pays pour étudier et je n'ai réussi à me faire que deux amis dont l'un est mon colocataire et l'autre celui avec qui je traîne en cours. De là, je ne vois absolument personne qui voudrait se venger de moi pour je ne sais quelle raison qui m'échappe.
Ce qui mène principalement à ce genre de situation est le fait de piquer la copine d'un autre qui réclame alors sa vengeance à tout prix. Mais à ce que je sache, je n'ai pas de copine ou du moins, même pas une seule amie du sexe opposé alors je ne vois pas. Peut-être que je suis amnésique mais sinon, aucune raison ne justifie le fait que je sois allongé là par terre au milieu de trois garçons aussi baraqués qui à leurs regards ne sont pas là pour m'inviter à jouer au foot avec eux.

Au lieu que je me taise, par pure déformation professionnelle, je me défends en refusant de céder à leur caprice de bourges qui nécessite que je puisse les appeler "maître".

- Qu'est-ce-que vous me voulez ? Je demande à ceux ci.
En réponse, ils me regardent avant de s'esclaffer devant ma mine défaite.

Et puisque je suis en quelque sorte ce qu'on appelle en terme de boxe un poids léger, le second coup que me donne l'un de mes agresseurs me fait cracher un peu de sang et s'ensuit après une bonne gifle sur ma joue bien rasée. Si je savais qu'une chose pareille aurait pu m'arriver, je me serais mis au kick boxing depuis bien longtemps mais hélas, comme on le dit si bien, c'est de nos erreurs que l'on apprend.
Ceci dit, si je réussi à m'en sortir indemne de ce merdier, la première des choses que je ferai en arrivant à mon appartement sera de prendre illico rendez-vous dans un club de je ne sais quel art martial.

Mon petit frère qui se trouve à une centaine de kilomètres de la ville où je me trouve actuellement confirmerait une fois de plus à quel point "je suis une poule mouillée" s'il me voyait dans une telle position de faiblesse.
Il a commencé à me traiter ainsi depuis la fois où, alors que nous étions encore au collège, je lui avais fait la honte de sa vie en me faisant tabasser par un de ses camarades qui l'enquiquinait. Lui ayant un grand frère, il avait jugé bon de venir m'appeler afin de le défendre. Et comme le ciel ne m'a pas fait don d'une force surdimentionnelle, j'ai été vaincu.

Je me secoue de l'endroit où je suis allongé comme un agneau prêt à être donné en sacrifice car au lieu de penser aux choses pouvant me remonter, je ne fais que me remémorer des choses qui me font sentir encore plus bas que terre.
Je me frotte la joue qui, il y'a à peine une minute a souffert le martyre et donc me renvoie des picotements au point de me ramener vers une certaine époque bien lointaine où mon maître de CE2 adorait me fouetter avec sa petite chicotte qu'il surnommait "petit piment". Et honnêtement, je dois avouer que cette chicotte piquait bien plus qu'un pauvre petit piment.

Je me donne une bonne baffe tout seul sur cette même joue pour ainsi reprendre mes esprits car je divague carrément là.
Au lieu de m'inquiéter de mon sort, tout ce que j'arrive à faire c'est jouer l'autruche.

Mes agresseurs, n'ayant rien raté de mon geste si abrupte se regardent entre eux comme pour se demander ce qui ne va pas avec moi. Et alors en voyant leurs mines mimant carrément l'incompréhension, une idée malicieuse me vient en tête.

Je réfléchis une, puis deux fois avant de me dire que c'est peut-être là une idée qui pourrait me sauver alors je me lance sans plus tarder.

Je me mets donc à ricaner d'une manière inappropriée comme une hyène puis l'instant d'après, je désigne de mon index un point imaginaire qui me fait rigoler de plus bel, décrochant par la même occasion des oeillades presque apeurées de la part de mes tyrans.

Mon moi intérieur se met à rire à gorge déployée tout en continuant mon cinéma jusqu'à même me rouler par terre comme un chien plein de puces.

Petit à petit mes agresseurs se mettent à reculer d'eux même me croyant peut-être possédé par un esprit malin.
Parfait ! Je devrais penser à m'inscrire aux cours de théâtre.

Je joue la comédie encore et encore et les trois garçons s'eloignent peu à peu, visages froissés et sueurs froides coulant de partout.

- Venez, on se tire les mecs ! Dit l'un des trois.

- On n'aurait jamais dû accepter ce défi débile. Boude l'autre avant qu'ils ne disparaissent tous les trois comme emportés par le vent.

Alors comme ça, j'étais un défi à relever ?

Après leur départ, je reste là à me remémorer encore la scène qui vient de se passer et je ne sais pas si je dois en rire ou plutôt m'inquiéter car, à ce que je sache, je n'ai aucun ennemi.

Je m'attendais au pire pour la suite des événements d'aujourd'hui mais il faut croire que mon talent caché de comédien m'a bien sauvé la mise.

Je me lève et j'allume donc la torche de mon téléphone puisqu'il commence à faire nuit. Ce que je vois autour de moi ne me dis absolument rien et alors, je commence à paniquer.
Je tourne en rond encore et encore jusqu'à ce qu'une illumination me tombe dessus.

Je prends mon téléphone et tape le numéro de mon colocataire qui ne décroche qu'à la troisième sonnerie.
Dès que l'appel démarre, je lui déballe tout sur ce qui m'est arrivé aujourd'hui et il est surpris et surtout inquiet au point de me demander s'il doit avertir la police.
Je lui dis de laisser tomber la police et de venir me chercher sans plus tarder.
Il me demande d'activer ma localisation, ce que je fais. Et dès qu'il me repère, il se met rapidement en route pour venir me chercher.

Après une vingtaine de minutes d'attente, mon ami arrive enfin à l'endroit où je me trouve et quand je le vois, l'émotion me pousse à le prendre dans mes bras et le remercier d'être venu me chercher aussi vite qu'il a pu.
Comprenant mon émoi, il me rend mon étreinte et après cela, nous nous mettons en route.

Une fois à la maison, je remercie le ciel d'être rentré chez moi sain et sauf. Et pendant ce temps, mon colocataire descend à la pharmacie d'en face de notre immeuble me chercher des antidouleurs.

Comme mon téléphone s'est déchargé en chemin parcequ'il a trop servi, je prends alors celui de mon ami pour vérifier l'heure car je somnole déjà. Mais, le message affiché sur la barre de notification de son téléphone manque de me faire avaler ma salive de travers car il cite:

«Désolé mec, ton pote etait trop bizarre alors on a laissé tomber».

Piqué par la curiosité, je decide d'en savoir plus et au lieu d'entrer dans le contenu de ce message encore sur la barre de notification, j'entre dans celui du contact avant ce dernier.
Et là, second choc.

«Bande d'imbéciles, pourquoi vous ne l'avez pas terminé ?».
C'est de mon ami que vient ce message et il date de quelques minutes avant qu'il n'arrive me chercher.

Je reste bouche bée face à cette révélation si choquante mais remets tout de même son téléphone à l'endroit laissé. Heureusement que je le fais car, il revient à ce moment-là et m'offre les antalgiques dont j'ai besoin comme si de rien n'était.
Je le remercie également comme si de rien n'était et ensuite, je pars m'enfermer dans ma chambre à double tour, jettant par la même occasion les fameux cachets à la poubelle.

Donc là, en plus de me trouver un très bon club de boxe, je dois également me mettre à la recherche d'une nouvelle maison.
Pas simple du tout cette vie !