L'enfant de la Lune et le vieil homme

Je m'appelle Nathan, j'ai 12 ans. Je suis atteint de Xeroderam Pigmentosum. Pour faire bref, je suis « un enfant de la lune », mon corps étant dans l'incapacité de réparer les dégâts des UV sur ma peau. Je ne sors donc presque jamais, sauf équipé tel un astronaute qui sort dans l'espace. Je passe donc mes journées perdu dans la contemplation que mes fenêtres anti-UV m'offrent sur la forêt.
 
Depuis ma rentrée au collège, je suis des cours par correspondance, car aucun établissement n'était en mesure de m'accueillir. Ma vie sociale se résume donc à ma famille, mais mes parents travaillent d'arrache-pieds 10 heures par jour, et mes frères et soeurs sont absents tout au long de la journée, étant scolarisés. Depuis le début de cette nouvelle année scolaire, je reste seul passant le plus claire de mon temps sur mon ordinateur ou devant ma fenêtre rêvant d'une vie sans filtres ni combinaison. 
Lors d'une journée ordinaire, un mouvement venant de la forêt m'arrache de ma contemplation. Un vieux monsieur au dos courbé traine une longue hache sur le sol, formant un sillon dans les feuilles au fur et à mesure qu'il avance. Je colle mon nez contre la vitre, absorbé par cette distraction qui s'offre à moi. Mes pensées se bousculent dans ma tête,  cherchant à savoir : où va ce monsieur et que va t-il faire ? Je suis resté le nez sur ma fenêtre toute la journée, dans l'espoir de l'apercevoir à nouveau mais aucun signe de lui... Je décide de m'aventurer dans la forêt le soir même, pour suivre sa trace.
 
C'est ainsi qu'une fois toute ma famille endormie, prenant soin de ne pas faire de bruit, ma combinaison pliée dans mon sac à dos au cas où mon escapade s'éterniserait, je sorts discrètement de la maison en refermant doucement le portail de fer clôturant notre maison. Grâce à  mes nombreuses heures d'observation et le clair de lune particulièrement lumineux, j'arrive sur le lieu tant attendu et retrouve la trace laissée par l'outil tranchant en question. Prenant mon courage à deux mains, j'inspire fortement, et me lance sur la piste du sillon à la destination mystérieuse.
 
Après plus de 20 minutes de marche, la trace s'arrête nette. La mystérieuse hache est plantée dans une souche d'arbre, devant une vieille maison en bois défraichie. Caché derrière un buisson, j'examine la maison. Toutes les fenêtres sont closes, comme si personne n'était à l'intérieur. Or, en levant les yeux, je m'aperçois qu'une légère fumée grisâtre sort par la cheminée. Serait-ce la demeure du vieux monsieur ? Pourquoi est-il si loin de toute civilisation, pourquoi est-ce tout fermé ? A présent, assis sur un parterre de feuilles et adossé à un arbre, à l'abris des regards, caché par un arbuste, une seule pensée occupe mon esprit embrumé par la fatigue : rencontrer ce vieux monsieur pour en savoir plus...
 
C'est ainsi que je me réveille quelques heures plus tard, non pas dans mon lit douillet, mais à même le sol. Il me faut quelques secondes pour me souvenir de mes aventures de la nuit passée. Affolé, mon premier réflexe est d'enfiler ma combinaison. Au premier regard, je m'aperçois que la hache a disparue.
 
« Je l'ai raté ! » Plus aucune fumée ne sort de la cheminé, et un second sillon, probablement formé par la hache, est apparu. Avec prudence, je me remets à suivre cette trace, qui allait sûrement me mener au vieux monsieur énigmatique. J'arrive finalement à la lisière d'une petite clairière, où, cette fois-ci, caché derrière un arbre, je peux voir le monsieur mystère couper du bois. Ses mains sont noueuses, ses jambes frêles, et ses mouvements saccadés. Il a l'air très fatigué. Avec des mouvements las, il effectue cette tâche qui lui parait si pénible. Puis après une bonne heure, il attache les morceaux de bois ensemble, les hisse sur son dos courbé, et repart vers la maison défraîchie, trainant toujours sa hache derrière lui.
 
Je rentre chez moi le pas lent, perdu dans mes pensées, ressentant beaucoup d'empathie pour le vieux monsieur. Il semblait triste, fatigué et bien seul. Alors, après plusieurs heures de sommeil et avoir beaucoup réfléchi, je pris une décision. Dès le lendemain matin, une fois ma famille partie, entièrement équipé pour faire face à mon ennemi juré, le soleil, je prend une hache ainsi qu'une corde, entreposées dans notre garage, et je pars couper du bois. Au début, ce n'était pas facile. Mais je finis par prendre le coup de main. Imitant le vieux monsieur, j'attache le bois, et je l'emmène devant chez lui. J'ai à peine le temps de dénouer la corde, qui unit les quelques morceaux de bois, que la porte s'ouvre lentement en grinçant. Je me précipite vers le buisson, et je me cache derrière. Avec délice, je peux observer nettement le vieux monsieur observer le petit tas de bois d'un œil interrogateur, puis scruter les alentours. Ne voyant personne, le vieillard ramasse deux morceaux de bois, le sourire aux coins des lèvres. Son regard s'illumine, ses traits se dérident laissant apparaître quelque seconde un sentiment de satisfaction, tel un enfant recevant un cadeau d'anniversaire.
 
Me sentant utile, je parts dès que possible couper du bois, afin de l'apporter au vieux monsieur. Même si on ne se parle pas, et que je ne me montre pas, je me sens moins seul. Quelques semaines plus tard, lorsque j'arrive devant la vieille maison défraîchie comme à mon habitude, le vieillard est m'attendant devant la porte. Mon coeur est tiraillé entre la peur et la joie. Il me sourit, pousse la porte, me fait signe d'entrer, et ajoute : « Bienvenue mon jeune ami, entre donc prendre une tasse thé. Au fait, je m'appelle Jean ».
 
Au détour d'une conversation, je découvre que Jean est un ancien instituteur, il devint donc mon professeur. Je me suis mis à passer la plus grande partie de mon temps libre avec lui. Nous avons aménagé la maison pour que je puisse y être entièrement à mon aise. Lui et moi, nous nous sommes bien trouvés. De cette rencontre est née une réelle complicité et amitié.
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