Dix sept heures... la libération enfin, après un enième cours du vendredi soir avec les 3B aussi infernal que les précédents et Alice comatait derrière son bureau, épuisée. « Finir la semaine sur une heure de math ne sera pas facile avait reconnu le principal en lui révélant son emploi du temps mais je n'ai pas réussi à le caser ailleurs ».
Pas facile... facile à dire pour celui qui passait ses journées bien à l'abri dans son bureau avec sa réplique culte au bout des lèvres : soyez bienveillants !
La petite prof de math rangeait livres et cahiers dans son cartable, bien décidée cette fois à donner sa démission après à peine deux mois de combat dans le pire collège du département face à une meute de gamins aussi intéressés par les chiffres qu'elle même l'était par les exploits de Booba.
Elle laissait la tension retomber doucement, sortit sa trousse de maquillage et découvrit un visage cramoisi dans le miroir : la tête d'une marathonienne en fin de parcours après 41 km à courir derrière... derrière quoi en fait ? Son salaire de misère ? Le sentiment de n'être là que pour garder 29 gosses perdus et les empêcher de trainer dans la rue dès midi ? Cinq ans de fac pour décrocher un CAPES qu'elle allait sans doute troquer contre un CAP de technicienne de surface mais au moins sur un aspirateur il y avait un bouton STOP, introuvable chez les élèves.
Par la fenêtre elle voyait ses petits monstres se regrouper devant l'entrée, la plupart scotchés à leurs smartphones exceptés quelques garçons en mode scooter sans casque et sur une roue. Au fond vus de loin ils n'étaient pas méchants et si on enlevait Kevin, Tariq et Camélia la classe serait sans doute tenable mais l'effet de meute...
Elle avait tout essayé, la bienveillance, puis la sévérité, le dialogue enfin qui se résumait à un concours de conneries et de lancer de crayons mais aujourd'hui après avoir vu Kevin lui montrer son sexe en érection elle disait stop. Elle sortit son téléphone et appela Samuel, comme tous les soirs :
— Alors ma cocote, dure journée je sens !
— Je démissionne !
Un soupir désabusé au bout du fil : son ancien conseiller pédagogique, le seul qui avait su lui donner les bons conseils pendant son année de stage ne paraissait pas surpris et sortit la réponse prévisible :
— Déconne pas Alice, ça fait deux mois, tu vas piger peu à peu des trucs, et puis...
— Piger quoi ? C'est de pire en pire, dans un mois je file à l'hosto psy ou au cimetière.
— Mais non... tu as juste une classe qui t'emmerde, les autres ça se passe bien non ?
— Bien... disons moins mal. Mais mes 3B je sais plus quoi faire.
— Passe chez moi demain matin. Tu as enregistré ton cours ?
— Oui. Enfin, juste le son. S'ils avaient su que je les filmais ça finissait sur Instagram !
— Ouiiii... super bonne réplique ! Tu as toujours ton humour et ça va te sauver la mise. À demain !
Un peu réconfortée elle regagna son triste appartement au 14 ème étage de la tour HLM.
Samedi. Elle s'était pomponnée et maquillée, espérant qu'à défaut de mettre en place une stratégie pédagogique efficace elle pourrait trouver une consolation avec Sam. Après tout il n'était pas si vieux, et puis il était seul lui aussi.
Ils écoutèrent l'enregistrement du cours, un brouhaha épouvantable dans lequel on entendait quelques « taisez vous » désespérés au milieu de cris et de rires dignes d'une fin de soirée dans un club de foot. Samuel compatissait, prenait quelques notes, releva un « va te faire enculer, je baise ta mère fils de pute » pas vraiment en rapport avec les triangles isocèles au menu du jour et quand le cirque s'arrêta enfin il tenta de consoler la petite prof en larmes :
— Bon, c'est vrai que c'est un peu le Bronx mais il y a du bon, tiens ici, écoute :
Il revint en arrière et repassa la séquence :
— Madame, Kevin il se branle !
— Kevin, criait Alice, tu te trompes de cours : on n'est pas en biologie !
Explosions de rires, des « ca-ssé ! Super, Madame ! » et puis un court instant de calme.
— Tu vois lui expliquait Sam, là tu les as déstabilisés. À ce moment là si tu avais pu enchainer sur ton cours c'était gagné ! Faut que tu prépares des exercices qui rebondissent sur leurs conneries et tu vas t'en sortir !
Ils déjeunèrent ensemble dans le logement poussiéreux envahi de livres de classes et de brochures pédagogiques et s'il n'y eut pas de miracle côté drague elle rentra néanmoins chez elle un peu regonflée par les conseils de son dernier soutien.
Le dimanche matin elle ouvrit son cartable et prépara le cours à venir en 3B : le cylindre... Elle se repassa en boucle toutes les conneries entendues pendant la semaine, l'exhibition de Kevin et peu à peu un plan se dessina, risqué mais si ça marchait... Elle bossa jusqu'au soir et se coucha surexcitée, bien décidée à jouer le tout pour le tout.
Lundi onze heures, les 3B, l'heure de vérité. Elle avait testé sa méthode avec les 4A et oui, elle avait réussi à casser Steve avec une petite vacherie qui avait calmé tout le monde mais bon, les 3B c'était la taille au dessus, et ce qu'elle leur avait préparé aussi. Elle pénétra en tremblant dans la salle en mâchant ostensiblement un chewing-gum, se plaça debout face à la classe au milieu de l'estrade et attendit. Les élèves s'installaient à leurs places en papotant, certains scotchés à leurs smartphones, tous indifférents à leur prof qui restait immobile les mains dans les poches, comme étrangère au groupe et cette étrange attitude finit par les intriguer : peu à peu le cirque se calma de lui même.
— Salut les d'jeunes sortit Alice d'un air faussement indifférent, bien consciente qu'elle jouait sa carrière sur ce coup là. Aujourd'hui on va parler du cylindre.
Elle tenait entre deux doigts un bâton de craie :
— Voici un cylindre, d'accord ? Bon, vous le reconnaissez, Kevin nous l'a montré l'autre jour, c'est son zizi.
Stupéfaction ! Quelques filles avaient pouffé mais on se méfiait, Kevin était le mâle dominant et se moquer de lui exposait à des représailles sévères. Pourtant cette fois il restait muet, pulvérisé par la moquerie et puis il éclata :
— N'importe quoi ! Tu veux que je te la mette ?
— Désolé Kevin, je l'ai très bien vu avant hier, il a cette taille là et moi je ne joue pas avec des miniatures mais ce n'est pas la question : prenez vos calculettes, on va calculer le volume de son zizi. Qui se rappelle la formule pour le cylindre ?
— Pi fois R au carré fois H, sortit quelqu'un après un long temps mort empli de menaces.
— Très bien coupa Alice sans laisser le temps de réagir, je mesure les dimensions du zizi : elle posa la craie contre sa règle graduée et annonça : diamètre 8 millimètres – donc rayon 4, d'accord ? – hauteur 6 centimètres. Alors le volume est... attention aux unités !
Tous sauf Kevin trituraient leur calculette dans un silence invraisemblable et la réponse fusa : « 3,015928947 cm3 ! ».
— Bravo ! On va arrondir à 3. Bon Malika, tu écris dans le journal du collège et tu vas pouvoir annoncer à tout le monde que le zizi de Kevin fait 3 cm3 ! Allez, vous prenez votre cahier d'exercices et numéro 12 page 138. Le premier qui trouve, je lui donne le zizi de Kevin !
Elle posa le bâton de craie debout sur son bureau et avança entre les tables, tremblante : le calme anormal la terrorisait, comme une accalmie incompréhensible annonçant une explosion imminente mais non, tous étaient plongés dans leur travail et même Kévin restait sans réaction. Elle revint vers le bureau, saisit le morceau de craie et le posa sur la trousse du garçon :
— Tiens, je te le rends mais laisse le dans ton slip. En math il vaut mieux utiliser son cerveau que sa teub. Et on oublie tout.
Il la regarda avec un sourire penaud et elle comprit que c'était gagné.
Pas facile... facile à dire pour celui qui passait ses journées bien à l'abri dans son bureau avec sa réplique culte au bout des lèvres : soyez bienveillants !
La petite prof de math rangeait livres et cahiers dans son cartable, bien décidée cette fois à donner sa démission après à peine deux mois de combat dans le pire collège du département face à une meute de gamins aussi intéressés par les chiffres qu'elle même l'était par les exploits de Booba.
Elle laissait la tension retomber doucement, sortit sa trousse de maquillage et découvrit un visage cramoisi dans le miroir : la tête d'une marathonienne en fin de parcours après 41 km à courir derrière... derrière quoi en fait ? Son salaire de misère ? Le sentiment de n'être là que pour garder 29 gosses perdus et les empêcher de trainer dans la rue dès midi ? Cinq ans de fac pour décrocher un CAPES qu'elle allait sans doute troquer contre un CAP de technicienne de surface mais au moins sur un aspirateur il y avait un bouton STOP, introuvable chez les élèves.
Par la fenêtre elle voyait ses petits monstres se regrouper devant l'entrée, la plupart scotchés à leurs smartphones exceptés quelques garçons en mode scooter sans casque et sur une roue. Au fond vus de loin ils n'étaient pas méchants et si on enlevait Kevin, Tariq et Camélia la classe serait sans doute tenable mais l'effet de meute...
Elle avait tout essayé, la bienveillance, puis la sévérité, le dialogue enfin qui se résumait à un concours de conneries et de lancer de crayons mais aujourd'hui après avoir vu Kevin lui montrer son sexe en érection elle disait stop. Elle sortit son téléphone et appela Samuel, comme tous les soirs :
— Alors ma cocote, dure journée je sens !
— Je démissionne !
Un soupir désabusé au bout du fil : son ancien conseiller pédagogique, le seul qui avait su lui donner les bons conseils pendant son année de stage ne paraissait pas surpris et sortit la réponse prévisible :
— Déconne pas Alice, ça fait deux mois, tu vas piger peu à peu des trucs, et puis...
— Piger quoi ? C'est de pire en pire, dans un mois je file à l'hosto psy ou au cimetière.
— Mais non... tu as juste une classe qui t'emmerde, les autres ça se passe bien non ?
— Bien... disons moins mal. Mais mes 3B je sais plus quoi faire.
— Passe chez moi demain matin. Tu as enregistré ton cours ?
— Oui. Enfin, juste le son. S'ils avaient su que je les filmais ça finissait sur Instagram !
— Ouiiii... super bonne réplique ! Tu as toujours ton humour et ça va te sauver la mise. À demain !
Un peu réconfortée elle regagna son triste appartement au 14 ème étage de la tour HLM.
Samedi. Elle s'était pomponnée et maquillée, espérant qu'à défaut de mettre en place une stratégie pédagogique efficace elle pourrait trouver une consolation avec Sam. Après tout il n'était pas si vieux, et puis il était seul lui aussi.
Ils écoutèrent l'enregistrement du cours, un brouhaha épouvantable dans lequel on entendait quelques « taisez vous » désespérés au milieu de cris et de rires dignes d'une fin de soirée dans un club de foot. Samuel compatissait, prenait quelques notes, releva un « va te faire enculer, je baise ta mère fils de pute » pas vraiment en rapport avec les triangles isocèles au menu du jour et quand le cirque s'arrêta enfin il tenta de consoler la petite prof en larmes :
— Bon, c'est vrai que c'est un peu le Bronx mais il y a du bon, tiens ici, écoute :
Il revint en arrière et repassa la séquence :
— Madame, Kevin il se branle !
— Kevin, criait Alice, tu te trompes de cours : on n'est pas en biologie !
Explosions de rires, des « ca-ssé ! Super, Madame ! » et puis un court instant de calme.
— Tu vois lui expliquait Sam, là tu les as déstabilisés. À ce moment là si tu avais pu enchainer sur ton cours c'était gagné ! Faut que tu prépares des exercices qui rebondissent sur leurs conneries et tu vas t'en sortir !
Ils déjeunèrent ensemble dans le logement poussiéreux envahi de livres de classes et de brochures pédagogiques et s'il n'y eut pas de miracle côté drague elle rentra néanmoins chez elle un peu regonflée par les conseils de son dernier soutien.
Le dimanche matin elle ouvrit son cartable et prépara le cours à venir en 3B : le cylindre... Elle se repassa en boucle toutes les conneries entendues pendant la semaine, l'exhibition de Kevin et peu à peu un plan se dessina, risqué mais si ça marchait... Elle bossa jusqu'au soir et se coucha surexcitée, bien décidée à jouer le tout pour le tout.
Lundi onze heures, les 3B, l'heure de vérité. Elle avait testé sa méthode avec les 4A et oui, elle avait réussi à casser Steve avec une petite vacherie qui avait calmé tout le monde mais bon, les 3B c'était la taille au dessus, et ce qu'elle leur avait préparé aussi. Elle pénétra en tremblant dans la salle en mâchant ostensiblement un chewing-gum, se plaça debout face à la classe au milieu de l'estrade et attendit. Les élèves s'installaient à leurs places en papotant, certains scotchés à leurs smartphones, tous indifférents à leur prof qui restait immobile les mains dans les poches, comme étrangère au groupe et cette étrange attitude finit par les intriguer : peu à peu le cirque se calma de lui même.
— Salut les d'jeunes sortit Alice d'un air faussement indifférent, bien consciente qu'elle jouait sa carrière sur ce coup là. Aujourd'hui on va parler du cylindre.
Elle tenait entre deux doigts un bâton de craie :
— Voici un cylindre, d'accord ? Bon, vous le reconnaissez, Kevin nous l'a montré l'autre jour, c'est son zizi.
Stupéfaction ! Quelques filles avaient pouffé mais on se méfiait, Kevin était le mâle dominant et se moquer de lui exposait à des représailles sévères. Pourtant cette fois il restait muet, pulvérisé par la moquerie et puis il éclata :
— N'importe quoi ! Tu veux que je te la mette ?
— Désolé Kevin, je l'ai très bien vu avant hier, il a cette taille là et moi je ne joue pas avec des miniatures mais ce n'est pas la question : prenez vos calculettes, on va calculer le volume de son zizi. Qui se rappelle la formule pour le cylindre ?
— Pi fois R au carré fois H, sortit quelqu'un après un long temps mort empli de menaces.
— Très bien coupa Alice sans laisser le temps de réagir, je mesure les dimensions du zizi : elle posa la craie contre sa règle graduée et annonça : diamètre 8 millimètres – donc rayon 4, d'accord ? – hauteur 6 centimètres. Alors le volume est... attention aux unités !
Tous sauf Kevin trituraient leur calculette dans un silence invraisemblable et la réponse fusa : « 3,015928947 cm3 ! ».
— Bravo ! On va arrondir à 3. Bon Malika, tu écris dans le journal du collège et tu vas pouvoir annoncer à tout le monde que le zizi de Kevin fait 3 cm3 ! Allez, vous prenez votre cahier d'exercices et numéro 12 page 138. Le premier qui trouve, je lui donne le zizi de Kevin !
Elle posa le bâton de craie debout sur son bureau et avança entre les tables, tremblante : le calme anormal la terrorisait, comme une accalmie incompréhensible annonçant une explosion imminente mais non, tous étaient plongés dans leur travail et même Kévin restait sans réaction. Elle revint vers le bureau, saisit le morceau de craie et le posa sur la trousse du garçon :
— Tiens, je te le rends mais laisse le dans ton slip. En math il vaut mieux utiliser son cerveau que sa teub. Et on oublie tout.
Il la regarda avec un sourire penaud et elle comprit que c'était gagné.