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Histoires Jeunesse - 11-14 Ans (Cycle 4)
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- Histoires De Cœur Et D'amitié - Cycle 4

Je pensais que mon entrée en première dans un nouveau lycée (pour une histoire d'option, selon la version officielle), allait changer ma vie. En fait, oui. Ça l'a changée. Mais pas comme je l'avais imaginé. Jusqu'ici j'avais immanquablement fait partie des deux-trois filles qu'on choisissait en dernier pour faire les équipes en sport, personne ne se battait pour se mettre à côté de moi en classe, et le beau Lucas ne s'était jamais intéressé à moi. Le problème, c'est que je n'ai vraiment rien de particulier, comme une intelligence hors norme, un talent exceptionnel, voire un super-pouvoir. Entre nous, j'adore le truc du super-pouvoir. En apparence t'es quelconque, et en fait t'as un truc énorme, qui te rend cent fois plus intéressante que la jolie blonde qui attire tous les mecs du lycée, beau Lucas compris.
Les filles comme moi, elles ont pas le choix. Il faut à tout prix qu'elles s'intègrent au gros du peloton, même si c'est à l'arrière. Du coup, comme je changeais de lycée, je me suis dit que c'était l'occasion ou jamais de TOUT changer. Mon physique, pas grand-chose à en dire : brune, yeux marron, corpulence moyenne, des traits qu'on oublie facilement. Par contre mon prénom... Je m'appelle Olive. (Olive ! franchement ! et pas un employé de mairie pour s'opposer à ça !). Et puis, je ne me suis jamais trop intéressée aux fringues. Ma mère, une femme élégante, toujours impeccable, m'a toujours acheté des vêtements super démodés genre chemisiers à fleurs avec col claudine et pantalons en velours côtelé, endossés jusque-là avec résignation. Quant à mes cheveux, frisés sans être bouclés, ils s'obstinaient à partir dans tous les sens, quelle que soit la coupe adoptée. Enfin, « last but not least », comme dirait mon père, l'acné faisait aussi partie du tableau. Dès que je restais un peu toute seule, ce qui m'arrivait souvent, je ne pouvais pas m'empêcher de me gratter le visage, histoire de passer le temps... avec le résultat que vous imaginez.
Nouveau lycée, nouvelle vie, donc. Dès la sortie des classes, début juillet, je m'y suis attelée : prise de rendez-vous chez le dermato, investissement de tout l'argent gagné à faire la caissière à me transformer en quasi-réplique de la fille qui avait séduit Lucas : jean large, sweat flashy, boucles d'oreille, baskets « stylées »... Pour finir, je me suis aussi fait défriser les cheveux. Des cheveux raides. Voilà ce que je voulais. Comme Morgane, ma voisine, une jolie brune au teint mat.
Ainsi, c'est pleine d'espoir que je fis ma rentrée en première. En plus de changer d'apparence, je décidai d'adopter le comportement le plus susceptible, a priori, de favoriser mon intégration : je feignais de trouver drôles les blagues des élèves les plus délurés de ma classe, même lorsqu'elles frôlaient la méchanceté ; de détester l'intégralité des lectures imposées par la prof de français, et d'adorer (avec un résultat sans doute peu convaincant), les séances de sport collectif.
Au bout de quelques semaines, il a bien fallu que je me rende à l'évidence. Rien n'avait changé. Je faisais toujours partie des deux–trois filles qu'on choisissait en dernier en sport. Il n'y avait toujours personne pour vouloir se mettre à côté de moi en classe, et malgré mes innombrables prêts de gommes et matériels en tout genre, le beau David semblait ne jamais devoir s'intéresser à moi. Le principal responsable de ce ratage intégral, selon moi, n'était autre que mon voisin de classe : un individu sinistre au teint blafard, aux cheveux longs et gras et à la voix bizarrement haut perché. Ce sosie de Rogue, le sorcier poisseux d'Harry Potter, s'appelait Thomas.
Thomas, donc, arrivé quelques minutes en retard le jour de la rentrée, avait eu la mauvaise idée de s'installer à côté de moi (je dois cependant reconnaître, à sa décharge, que c'était la seule place qui restait). Tout le monde avait dû déduire de ce funeste coup du sort que nous étions amis. Et donc me croire aussi infréquentable que lui. Pourtant, je refusai obstinément, de lui adresser ne serait-ce qu'un mot. Mais avec le temps, il devint clair que si je refusais de parler à mon voisin de table, je n'aurais bientôt plus personne à qui parler dans cette classe. Or, malgré mes difficultés persistantes d'intégration, j'ai besoin, de temps à temps, de parler à quelqu'un. Ma première tentative d'interaction avec Thomas eut lieu en cours d'histoire, où l'ennui d'une longue lecture anéantit mes plus fermes résolutions. Mon voisin était en train de dessiner de petits personnages sur un cahier. Thomas sortait ce cahier à chaque fois que le cours l'ennuyait, mais ma détermination à l'ignorer m'avait interdit jusqu'ici la moindre marque d'intérêt pour cette activité. Cette fois, regardant plus attentivement ses dessins, je reconnus avec surprise les élèves de notre classe. Je chuchotai :
— Mais... Tu nous dessines ?
— Oui , fit-il en me fixant d'un air de défi.
— Mais... Tu nous dessines ?
— Oui , fit-il en me fixant d'un air de défi.
Je ne pus alors m'empêcher de lui demander s'il pouvait me montrer son cahier. De manière inattendue, il me le confia. Cependant j'étais loin de m'imaginer le choc que j'étais sur le point de recevoir. Thomas avait en effet créé une véritable histoire. Une histoire qui racontait la vie d'une jeune fille dont le rire aux blagues de ses camarades sonnait faux ; d'une fille qui ne parvenait pas à faire croire qu'elle détestait le français, ni qu'elle aimait le sport ; et qui évitait de parler à son voisin de classe par peur de se faire mal voir. L'histoire racontait aussi que cette fille, contrairement aux apparences, était capable de remarquer l'estime et l'amitié que son voisin de classe lui portait en silence depuis des semaines et de lui rendre son amitié, pour peu qu'elle accepte, simplement, de le regarder VRAIMENT. J'aurais sans doute dû me sentir en colère d'être aussi brutalement mise à nue. Mais, après des semaines à tenter en vain de m'intégrer à cette classe, je n'en n'avais plus la force. Je remarquai alors que les cheveux de Thomas étaient devenus propres (mais avaient-ils jamais été gras ?). Supposant, à la chaleur de mon visage, que mon trouble était déjà suffisamment visible, je me contentai de rendre le cahier à mon voisin sans le regarder, en murmurant d'une voix tremblante :
— C'est bon, j'ai compris.
— C'est bon, j'ai compris.
Dès ce moment, je ne fis plus semblant d'aimer le sport plus que le français, ou de rire aux blagues douteuses. Je ne repris pas les chemises achetées par ma mère, mais j'abandonnai les sweats et les boucles d'oreilles : autant quitter le costume d'un rôle que je ne saurais jamais jouer. Tant pis pour David. De toutes façons, je préfère Thomas.
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Illustration : Mathilde Ernst