Le village de Noël

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A l'occasion des fêtes de Noël, le centre du village, qui ressemblait à n'importe quel centre de village en hiver – triste et abandonné –, revêtait ses plus belles décorations. Les rares et maigres platanes étaient mis en valeur par des guirlandes lumineuses dernier cri, à LED, dans un souci écologique mais surtout financier : c'est que le maire, doyen du bourg, avait vécu les restrictions d'une guerre au siècle dernier et était féru des dernières avancées high-tech.
De part et d'autre des ruelles, flottaient, sur des fils transparents, des étoiles argentées et des cloches aux teintes d'or plus vraies que nature. La mairie, ancien bureau de Poste, exposait crânement de haut en bas de sa façade une immense tenture aux effigies de Noël : le Père Noël, ses rennes et son traîneau traversant un paysage de neige immaculée sur fond de ciel étoilé. Une oeuvre d'un artiste, un enfant du pays qui avait fait les Beaux-Arts avant de se lancer dans l'élevage de lama.
Cette tenture, quelle fierté tout de même !
C'est que la mairie, cette année, se donnait les moyens. Elle voulait faire bonne impression : en effet, elle organisait son tout premier marché de Noël ! Le succès prévu, espérait-on, serait une aubaine touristique pour les années à venir.
Elle avait donc ajouté, à intervalles réguliers, des enceintes, celles-là même utilisées pour le bal du 14 juillet, mais, pour l'occasion, camouflées ingénieusement avec des branches de sapin factices. Tout au long de la journée, elles diffusaient des chants de Noël d'une playlist élaborée par la femme du maire, chef de choeur de l'église. La programmation de la musique était peu variée et donc très répétitive. Ainsi, il n'était pas rare que Tino Rossi chante son « Petit Papa Noël » plusieurs fois dans une journée. Ou qu'il ne le chante pas quand la version acoustique remplaçait inlassablement la version originale.
Si certains avaient des lacunes dans les paroles de ce titre classique, le soir, il n'y paraissait plus.
Par contre, la diffusion sonore était toujours très élevée. Trop élevée pour les habitants devant chez qui avait été placée une de ces enceintes.
Malgré son âge avancé, quand la veuve du président de l'association de chasse commença à s'attaquer à coup de balai à l'enceinte disposée à côté de sa fenêtre, la police, clémente, la sermonna. Quand elle recommença le lendemain, la vieille dame fut menacée d'être embarquée pour atteinte à l'ordre public.
C'est qu'on ne plaisantait pas avec l'avenir du village.
Elle fut naturellement mise en examen lorsqu'elle réussit à rendre silencieuse l'enceinte perturbante.
En l'explosant... à la chevrotine.

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