Ça a duré une bonne minute. Une vrai minute. Une éternité. "One eternity later", comme l'aurait dit Sponge Bob. L'avion a enfin décollé. Ma vie déferla devant mes yeux, tel un flashback. Le goût salé de mes larmes m'éveilla de mon doux rêve. Je ne pouvais plus faire marche arrière à présent. Une toute nouvelle vie m'attendait à l'autre bout du monde, au sud de la France. Destination? Montpellier, une ville étudiante avec excellence, connue pour sa fameuse faculté de médecine âgée de plus de 800 ans. Bien que j'étais sur le point d'exhausser mon voeu, je quittais le Liban avec un coeur lourd. Mon pays saignait et je ne pouvais rien y faire_du moins c'est ce que je pensais_. Crise économique et sociale, corruption, lois laxistes, escroqueries et cacophonie politique rongeaient mon Liban. Désespérée, je partais à la recherche de ma propre légende, de la potion magique qui pourra remédier aux maux de mon pays. Cependant, j'ignorais bien que je cherchais au mauvais endroit, que je me perderai en route...
Le 29 Août 2021, je devins "étrangère". Il est vrai qu'être Libanais est un statut extrêmement exigeant, mais qu'en dire de l'étranger ? Un dictionnaire vous dira qu'il s'agit « d'une personne qui n'a pas la nationalite du pays où il réside, qui vient d'un autre pays », mais il ne mentionnera pas que celui-ci a déjà goûté à la froide solitude des appartements minuscules de 10 m², au mal du pays atroce et à la nostalgie insurmontable qui les accompagne, qu'il a été critiqué à cause de son accent trop "libanisé", de ses "R" roulés et pire parfois, insulté à cause de son identité qu'il cherche à cacher.
Comme tout expatrié, Je cherchais à me construire loin de mes racines et recommençant de zéro. Des milliers de jeunes Libanais rêvaient d'être à ma place. "Considère-toi chanceuse de pouvoir quitter le pays !" me disaient-ils. En effet, j'avais profité d'une merveilleuse opportunité qui m'avait été présentée et qui m'ouvrirait les portes de l'avenir, je déployai mes ailes et partis faire mes études dans l'une des universités les plus prestigieuses de France : l'Université de Montpellier 1. J'avais enfin la possibilité d'obtenir le diplôme européen tant envié.
Pourtant, je me sentais perdue, comme un enfant arraché aux bras de sa mère. Je me demandais bien quel est cet amour inconditionnel que je voue à ce pays de lumière, ce lien invisible qui m'attache au bercail , à ce pays si petit mais très grand ?
Arrivée à destination, où 3146 km me séparaient à présent de mon paradis, je me sentis tout de suite mal à l'aise. Un nouveau pays, une nouvelle ville, un nouvel appartement, une nouvelle culture... La voix des Libanais qui m'accompagnaient dans l'avion me soulageait incroyablement. Je sentais la langue de mon pays comme une douce mélodie à l'image de ma terre natale. Et les chansons de Feyrouz devinrent mes prières.
Le temps passait, les mois se mordaient la queue. Quelque temps plus tard, je commençais à m'habituer au rythme de ma nouvelle vie monotone et morose, et au désert affectif dans lequel je me trouvais. Le pays du Cèdre et ma famille me manquaient constamment, et la seule idée de les retrouver me redonnait espoir. Avec ardeur, j'essayais tant que possible de franchir les obstacles qui entravaient mon chemin.
Ma première année commune aux études de santé (aujourd'hui PASS) fut extrêmement dure. L'esprit compétitif anéantissait les relations amicales et plongeait les étudiants dans une solitude extrême et intolérable. Non seulement devions nous bosser comme des malades 12 heures par jour, mais encore nous étions des soldats solitaires et combattants, essayants de décrocher une place en deuxième année de médecine, en sachant très bien que nous n'avions que 10% de chance de réussite.
Le 5 Juin 2022, les résultats tombèrent. Après un moment d'attente interminable, je vis affiché sur mon écran d'ordinateur "AJ" qui veut dire ajourné, malgré de très bonnes notes . Mon univers s'écroula. Mon année tomba à l'eau. Peut être aurais-je dû bosser 15 heures au lieu de 12 , ou m'inscrire à une prépa privée? Bref, tout mon travail acharné n'aurait apparement pas suffit. Un 14,9 au lieu d'un 15 ferait de moi un mauvais médecin à ce qu'il paraît...
On a le droit de perdre, ce n'est pas grave. On dit que ce n'est pas l'échec qui façonne la personnalité, mais la façon dont on réagit. Tu te morfonds ou tu en sors plus fort. J'ai décidé de ne pas laisser tomber. J'allais devenir médecin. Je pris alors l'avion en direction du Liban et je ne baissai pas les bras aussi facilement. Je fonçai m'inscrire aux examens d'entrée de la faculté de médecine de l'Université Saint Joseph de Beyrouth, et je réussis mes épreuves haut la main. C'est ainsi que j'appris que la vie ne m'avais pas donné une claque, mais plutôt une leçon: ma place est ici, parmi les miens, dans le pays du miel et de l'encens. Mon pays a besoin de moi. J'ai autant besoin de lui d'ailleurs. Malgré toutes ses blessures, il ne m'avait pas laissé tomber. De nos jours, les jeunes adolescents sont malheureusement encouragés à quitter leur pays à la recherche de meilleures opportunités, mais ils ignorent les trésors que peuvent leur cacher leurs terres...