Le trail de la cabane du Bois Durat

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Victor calait son souffle avec une régularité de métronome. Il savait aborder une véritable épreuve en se lançant dans ce trail qui s'adressait aux seuls hommes de plus de 80 ans, mais son passé de sportif et l'envie de se surpasser l'avaient décidé. Au départ des Hodouls, à 894 mètres d'altitude, quinze participants s'étaient donné rendez-vous. Spectacle étonnant que celui de ces octogénaires aux jambes flétries, aux bras secs constellés d'ombre, au visage ridé. Ils étaient cependant nombreux à être venus les soutenir, attirés autant par l'étrangeté de ce défi que par le désir sincère de voir gagner son favori.

Il s'agissait de monter jusqu'à la cabane du Bois Durat, puis de revenir en boucle au point de départ. La course cumulait 16 kilomètres et près de 700 mètres de dénivelé, ce qui n'était pas rien pour de tels concurrents.

Après vingt minutes de montée en forêt, Victor était en tête. Tout en ralentissant pour stabiliser sa respiration, il jeta les yeux à gauche où la vue plongeait sur des pentes poudreuses hérissées de grandes colonnes calcaires casquées d'un couvre-chef de grès ; les Demoiselles coiffées de Saint-Crépin ne manquaient pas de panache, à l'instant illuminées de soleil.

Quelle bonne idée avait eue Pamela ! Sa chère Pamela, ronde et douce, encore fraîche à 45 ans, pleine d'attentions envers son mari. Elle venait de la ville et avait rencontré par hasard Victor au Casino de Briançon où il leur arrivait de passer la soirée devant les machines à sous. Elle lui avait raconté avoir hérité d'un petit chalet aux Guions et y avoir séjourné avec tant de plaisir qu'elle avait décidé de s'y fixer, n'hésitant pas à laisser la ville pour la montagne. Tous deux avaient sympathisé. Pamela coulait son regard myosotis dans les yeux noirs de Victor et parfois lui prenait la main dans le feu de la conversation. Elle avait un petit rire en cascade qui picotait le cerveau de Victor et y déclenchait des soubresauts délicieux. Car leurs conversations étaient devenues très animées et avaient fini par prendre un tour personnel, puis intime et enfin sentimental. Victor avait senti dans ses veines couler un feu qu'il croyait éteint depuis longtemps et, de fil en aiguille, il en était venu à épouser Pamela. Il ne savait plus bien s'il en avait pris l'initiative ou si elle avait, par petites touches, suggéré cette union, mais la chose s'était conclue en mairie le 2 mai 2018.

Quelle bonne idée avait eue Pamela en organisant ce trail pour octogénaires ! Elle fourmillait d'idées en tous genres, ce qui parfois était un peu pesant pour Victor, mais en même temps cela le maintenait dans une relative verdeur de bon aloi.

Victor aperçut derrière lui Jean-Luc qui, à petites foulées un peu heurtées, se rapprochait. Il accéléra, sans excès afin de ne pas s'épuiser. La cabane du Bois Durat était encore loin, avant d'attaquer la grande descente en lacets qui formerait la boucle. Il arrivait à mi-montée, sur une petite plate-forme gaiement enrubannée de brillants conifères.

Merveilleuse Pamela, qui fourmillait d'idées ! Elle avait notamment suggéré à Victor de vendre quelques terrains pour les lotir, afin de leur garantir un revenu substantiel. Son mari, bien que désireux de lui plaire, s'y était refusé. Il n'avait pas besoin de revenu supplémentaire et souhaitait voir jusqu'à sa mort les grands espaces dont il était propriétaire peuplés de vaches et de moutons. Ce spectacle lui faisait grand bien et il comptait bien en jouir toujours. Devant ce ferme refus, Pamela avait d'abord manifesté du mécontentement, mais elle avait finalement opté pour la douceur et renfilé son gant de velours. Elle n'avait plus parlé de rien pendant quelque temps.

Ah ! Après un dernier lacet, Victor arrivait à la cabane, à 1585 mètres d'altitude, fier d'avoir avalé ce dénivelé assez conséquent sans trop souffrir. Certes, son rythme cardiaque s'était élevé à la limite de l'effort autorisé. Il y a quelques années, il avait subi un double pontage à la suite duquel il avait dû tempérer ses ardeurs sportives. Son médecin lui recommandait la modération. Quand il avait parlé de cette opération à Pamela, elle s'était émue et l'avait engagé à la prudence, d'autant plus que la pose de deux stents était peut-être envisagée pour corriger les méfaits de l'âge sur le système circulatoire de Victor.

Ah ! Pamela s'était émue ! Peu de temps après elle avait organisé le trail d'aujourd'hui. La plus grande difficulté pour elle avait été de trouver assez d'octogénaires pour y participer, mais elle y était parvenue. Pamela était très persévérante.

Victor fit une petite pause devant la cabane. Jadis il aurait continué à monter en direction du col de Moussière, mais aujourd'hui il n'en était plus question. Il but et attaqua la descente sans plus attendre, car deux concurrents se rapprochaient.

Cette victoire, Victor la dédierait à Pamela bien sûr, sa chère Pamela qui hier encore avait remis sur le plateau, pour la troisième fois, ce projet de vendre ses terrains. Bien sûr, cela avait grandement déplu à Victor, mais il savait que sa petite femme était têtue, cela faisait partie de ses défauts. Quelques amis de Victor lui en trouvaient beaucoup d'autres d'ailleurs, mais il leur répondait en riant qu'ils étaient jaloux de sa bonne fortune. Eux n'avaient à table et dans leur lit qu'une vieille femme ralentie, souvent percluse, alors que lui bénéficiait de la présence de cette charmante épouse, tombée du ciel bien à point. Il en bénéficiait d'ailleurs davantage à table qu'au lit, car Pamela s'était aménagé une jolie chambre à l'étage, prétextant que la vue y était plus belle. Cette petite désertion n'avait pas vraiment contrarié Victor, qui n'avait plus la vigueur de sa jeunesse.

Victor à présent sentait peser la fatigue. Il se désaltéra. La forêt s'ouvrait par endroits sur un panorama majestueux de plaines vertes et de montagnes acérées. Cependant, bien que la pente soit descendante, les battements de son cœur s'étaient accélérés sous la durée de l'effort. Jean-Luc et un autre concurrent se rapprochaient, Victor voulait cette victoire, quoi qu'il lui en coutât. Le lieu-dit Les Hodouls n'était plus si loin, il fallait avancer...

Vite ! Vite !
Un pompier présent à l'arrivée se rua sur Victor, étendu et exhalant un râle anarchique. Le pompier entreprit un massage cardiaque. Pamela, alertée, ne vint pas l'assister. Elle était pâle, se tenait difficilement debout et n'arrivait pas à parler. On voulut la réconforter, lui assurant que les jours de Victor ne semblaient pas en danger. Mais ces paroles optimistes n'avaient aucun effet sur elle, elle semblait prête à défaillir. D'aucuns s'étonnèrent que l'état de Victor lui causât un tel trouble.

A posteriori, ce trail ne fit pas l'unanimité : deux concurrents durent être emmenés d'urgence à l'hôpital, laminés par un effort excessif, ce qui plomba l'ambiance.

Victor, quant à lui, revint rapidement à la conscience et fut nommé vainqueur du Trail de la cabane du Bois Durat. Il gagna un dîner à la table de Gaspard, restaurant gastronomique renommé situé à Saint-Crépin. Il y alla quelques semaines plus tard, accompagné d'une sienne cousine. En effet, sa chère femme, la fraîche Pamela, était morte brutalement le soir même du trail, dans des convulsions violentes dont on ne parvint pas à déceler l'origine.
Une rumeur se fit qu'elle était déjà atteinte d'un mal sournois et mortel en arrivant dans la région.

Victor, après le décès de sa femme, avait bien vite jeté le fond de la boîte de germe de blé que sa femme consommait à son petit déjeuner quotidien. Il y avait soigneusement mêlé de la poudre de racine d'aconit, cet arsenic végétal récolté et préparé par ses soins. Le matin du trail, il avait constaté que Pamela avait versé dans son thé, comme d'habitude, une cuiller à soupe de germe de blé.

Le Dauphiné Libéré évoqua le Trail de la cabane du Bois Durat et le décès inexpliqué de son organisatrice, Mme Faure-Brac, épouse du lauréat du trail.

Victor garderait ses terrains tels quels, jusqu'à son dernier jour.

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