Le sortilège

La poésie est ma véritable maîtresse mais je ne rechigne pas à quelques incursions dans le domaine de la nouvelle. J'aime viscéralement tout ce qui flirte avec l'onirique, l'étrange, le ... [+]

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Histoires Jeunesse :
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— NON !
Depuis quelque temps, c'était le mot préféré d'Arthur. Ces trois petites lettres étaient comme une télécommande de l'humeur des adultes. Arthur les savourait, les répétait à l'endroit et à l'envers : quel pouvoir ! Parfois, il n'attendait même pas qu'on lui pose une question pour claironner un...
— NNNNON ! 
Hélas ! Ce cri avait réveillé en sursaut une visiteuse qui se cachait à l'étage de la maison : la fée Carabosse. N'ayant plus de travail depuis l'affaire de la Belle au bois dormant, elle hibernait dans des chambres d'enfant. En ce mois de janvier, elle s'était invitée dans le placard d'Arthur, qui était tout à fait à son goût.
En bas, Arthur continuait de plus belle :
— NON ! Je veux paaaas aller me coucher ! 
 
La vieille fée, qui avait toujours eu mauvais caractère, explosa :
— C'est fini ce raffut, oui ! Ce môme a le don de troubler ma tranquillité ! Il va me le payer ! Alors comme ça, on aime dire « non » ? Eh bien, je vais t'en donner du « non », moi, petit malin ! Hin hin hin !  ricana-t-elle en feuilletant son grimoire. Aaaah, voilà ce qu'il nous faut ! Par-fait !  Elle s'était arrêtée sur la page d'un sortilège, qu'elle s'empressa de lire à haute voix :
— Ablabladinon, que tes « oui » se changent en « non », que tes lèvres entravent tes souhaits, par ce mot liées ! 
Arthur ne sentit pas tout de suite qu'on lui avait jeté un sort. Il ignorait que Carabosse s'était installée dans le placard de sa chambre. À vrai dire, il ne savait même pas qui elle était (ne le dites pas à Carabosse, elle prend facilement la mouche !).
 
Mais le lendemain matin, les choses commencèrent à se gâter. En voulant répondre à sa maman, Arthur s'aperçut que quelque chose clochait.
— Tu n'as pas école aujourd'hui, mon cœur : veux-tu aller au parc faire du toboggan, ou un autre jeu ?
— Non ! s'entendit répondre Arthur. Ce n'était pas du tout ce qu'il voulait dire ! Il essaya de se rattraper :
— Non !  fut encore la réponse qui jaillit de sa bouche, bien malgré lui.
— Non ? répéta sa maman, étonnée. Tu es sûr ?
Arthur, paniqué, se concentra de toutes ses forces pour dire « oui ». Bien sûr qu'il avait envie d'aller au parc ! Mais il ne put à nouveau retenir un « Noooon ! » retentissant.
— Bon bon, d'accord ! coupa sa maman. Nous n'allons pas te forcer ! Restons ici, alors. 
Arthur ne comprenait rien à ce qui lui arrivait.
Les jours suivants, la situation ne s'arrangea guère. À chaque fois que son papa ou sa maman lui proposait une activité qu'il mourait d'envie de faire, Arthur ne parvenait pas à prononcer le « oui » qu'il pensait !
— Arthur, il fait très beau, as-tu envie d'aller manger une glace ?
— Non.
— Et demain, si nous allions à la plage ? Tu pourrais faire un château de sable, et te baigner !
— Non, non et non ! 
 
Arthur commençait à perdre courage. Il en venait à détester ce mot qui sortait de sa bouche contre sa volonté, le privant de tout ce qu'il aimait ! Quant à Carabosse, elle était très contente de son coup. En cachette, elle riait du petit garçon qu'elle avait piégé et de ses parents, qu'elle trouvait bien naïfs. C'est ce qui la trahit.
 
Un soir, alors qu'Arthur allait se mettre au lit, il l'entendit glousser dans le placard. Le cœur battant, il s'approcha et ouvrit la porte d'un coup, tombant nez à nez avec la méchante fée. Celle-ci, il faut bien le dire, avait plutôt l'allure d'une sorcière.
Effrayé, il recula.
Carabosse ne se démonta pas.
— Une fée vieille de plusieurs siècles dans ton placard, ça te cloue le bec, hein, gamin ? Ah ah ! En tout cas, fini de jouer les petits rois : désormais, tu devras m'obéir au doigt et à l'œil !
— Non ! s'écria Arthur, pourtant terrorisé.
— Comment ça, « non » ? Tu ne manques pas de culot ! Sais-tu ce qu'il en coûte de s'opposer à la grande Carabosse ?
— Non ! ne put retenir Arthur.
— Quelle insolence ! Tu veux donc tâter de ma baguette ? Je te donne une dernière chance avant de te changer en crapaud : vas-tu... ?
— Nooon ! hurla Arthur au désespoir, alors qu'il se concentrait de toutes ses forces sur le « oui » qu'il voulait tant prononcer.
— Vas-tu donc dire « OUI », ou bien sois maudit ! 
 
La fée s'arrêta net. Sous le coup de la colère, elle avait prononcé la formule annulant le sortilège ! Et elle venait seulement de comprendre que l'enfant ne faisait pas exprès de lui répondre « non ». Elle avait été prise à son propre piège ! Vexée comme un pou, elle enfourcha sa grande baguette magique (les balais étant réservés aux vraies sorcières, comme chacun sait) et disparut par la fenêtre.
Le lendemain, Arthur tenta de raconter l'aventure à ses parents. Mais bien entendu, ceux-ci crurent qu'il avait tout imaginé. Les adultes ont parfois des idées limitées sur ce qui est possible (il ne faut pas leur en vouloir, ils ne le font pas exprès !).
 
Depuis lors, notre petit garçon tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de lancer un « non ». Il connaît le vrai pouvoir de ce mot : mot-poison si l'on en use et abuse, mot qui sauve si on le garde pour les moments où il est vraiment utile.
Mais surtout, Arthur a découvert la magie du « oui » ! Trois petites lettres pleines de promesses, qui ouvrent grand les portes du monde.
 
 

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Image de Le sortilège
Illustration : Mathilde Ernst