Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? peut-être les deux. J’essayais de me refaire le film de ce qui venait de m’arriver. Je n’en avais aucune idée mais une chose était certaine : c’était grave, très grave. En faisant un effort surhumain pour ressentir mon corps, je constatais que j’avais le bras gauche broyé, de nombreuses blessures et un estomac en rogne contre moi de l’avoir sevré depuis trois jours maintenant.
Les idées me revinrent en place progressivement tel un puzzle entre les mains d’un bon joueur. Le village Messam connaissait un moment important de son histoire. Kono le sorcier le plus redoutable est mort. On ne saurait dire si c’est grâce aux interminables prières de Monsieur L’abbé, le jeune prêtre qui vient d’être affecté au village par le diocèse Notre dame de cœur de Messam-centre, ou alors si c’est grâce à un affrontement mystique entre les frères Zé et lui. Ils sont aussi redoutables que Kono en matière de sorcellerie. Plusieurs fois déjà ils ont avoué au grand jour avoir dégusté l’enfant d’un tel ou tel au village sur le principe de la cotisation. En sorcellerie, les principes sont plus que sacrés. Personne ne mange de la « viande » de l’autre sans rembourser.
Ce soir-là, Kono préparait son voyage de la nuit comme d’habitude. Il fit le plein de sang humain en guise d’essence dont il a toujours une bonne quantité en réserve sous ce vieux brancard qui lui sert de lit. Le rituel est le même : il se couche nu, entre dans un sommeil profond, comme toi et moi n’en avons jamais dormi, et attend six heures du soir. Et dès qu’il est l’heure, son esprit prend de l’envol à bord de son avion personnel qui n’est en réalité qu’une vielle chaussure dont on ne saurait vraiment déterminer l’époque de fabrication. Il a dans son avion un pilote assidu et de jolies hôtesses à son service. Tu l’auras donc compris, Kono le misérable est un seigneur la nuit tombée.
- Kono je veux ma part ce soi-même ! Tu as mangé mon fils, le tient c’est ce soir ou jamais ! dit Zeyang le frère ainé de la fratrie Zé.
- Zeyang tu ne toucheras pas à un poil de mon fils ! J’ai encore la tête pleine d’os de ton fils, si tu la réclames tant je te la remets. Je n’ai pas mangé de ton fils. Un homme averti en vaut deux.
Une pluie de glaçons tomba toute la nuit sur le village et nous on profitait bien du sommeil. Le matin venu, un énorme cri sortit du taudis du pauvre Kono. C’était son petit-fils de six ans qui criait le regard plein de larmes et de peur :
«Papa est mort ! Papa ne respire plus !»
Le monde remplit aussitôt la cour du sexagénaire et le constat fut surprenant : Kono était mort et déjà en décomposition. Il fallut organiser ses obsèques le plus tôt possible. Le village se mobilisa pour enterrer la dépouille ce soir même. On lui fabriqua un coffre, on ne peut pas appeler ça un cercueil, où on devait l’enterrer. Comme on dit chez nous : comme tu dresses ton lit, comme tu dors. Donc, le corps de Kono se décomposait tout en prenant hyperboliquement des dimensions on dirait de la pâte levée pour les beignets. Si on ne l’enterrait pas au plus vite, bientôt il n’y aurait plus de cercueil à sa taille.
Il était déjà trois heures du soir. On se dirigeait en procession au bosquet mythique du village à un kilomètre environ du domicile de Kono. Le prêtre suivait le cercueil muni de sa Bible, du sel béni et un petit seau contenant de l’eau bénite. Des chants se reprenaient en chœur. D’autres égrainaient un chapelet pour que la Vierge Marie accueille le mort du jour dans le royaume de Dieu.
À l’arrivée au tombeau, le ciel commençait à s’obscurcir et les esprits nocturnes se joignirent à la cérémonie. Ils étaient là derrière le rideau invisible. On réussit à le mettre en terre dans la tombe que les jeunes avaient préalablement creusée et on referma le sol sur lui. Monsieur L’abbé fit l’aspersion au sel et à l’eau bénite. Au moment de dire la bénédiction finale, un énorme tremblement de terre fut déclenché de nulle part. c’était le retour de Kono à la vie. Les morts ne sont donc pas morts. Sauf que lui, par réincarnation, avait maintenant des cornes, une queue et trois mètres de hauteur. Un diable.Pendant que nous constations encore ce qui se passait sous nos yeux, monsieur l’abbé avait déjà une avance considérable sur nous. J’engageai une course désespérée avec la foule et, sans savoir comment, je perdis la vue et tous mes sens m’abandonnèrent : on me propulsa dans la brousse...
Les idées me revinrent en place progressivement tel un puzzle entre les mains d’un bon joueur. Le village Messam connaissait un moment important de son histoire. Kono le sorcier le plus redoutable est mort. On ne saurait dire si c’est grâce aux interminables prières de Monsieur L’abbé, le jeune prêtre qui vient d’être affecté au village par le diocèse Notre dame de cœur de Messam-centre, ou alors si c’est grâce à un affrontement mystique entre les frères Zé et lui. Ils sont aussi redoutables que Kono en matière de sorcellerie. Plusieurs fois déjà ils ont avoué au grand jour avoir dégusté l’enfant d’un tel ou tel au village sur le principe de la cotisation. En sorcellerie, les principes sont plus que sacrés. Personne ne mange de la « viande » de l’autre sans rembourser.
Ce soir-là, Kono préparait son voyage de la nuit comme d’habitude. Il fit le plein de sang humain en guise d’essence dont il a toujours une bonne quantité en réserve sous ce vieux brancard qui lui sert de lit. Le rituel est le même : il se couche nu, entre dans un sommeil profond, comme toi et moi n’en avons jamais dormi, et attend six heures du soir. Et dès qu’il est l’heure, son esprit prend de l’envol à bord de son avion personnel qui n’est en réalité qu’une vielle chaussure dont on ne saurait vraiment déterminer l’époque de fabrication. Il a dans son avion un pilote assidu et de jolies hôtesses à son service. Tu l’auras donc compris, Kono le misérable est un seigneur la nuit tombée.
- Kono je veux ma part ce soi-même ! Tu as mangé mon fils, le tient c’est ce soir ou jamais ! dit Zeyang le frère ainé de la fratrie Zé.
- Zeyang tu ne toucheras pas à un poil de mon fils ! J’ai encore la tête pleine d’os de ton fils, si tu la réclames tant je te la remets. Je n’ai pas mangé de ton fils. Un homme averti en vaut deux.
Une pluie de glaçons tomba toute la nuit sur le village et nous on profitait bien du sommeil. Le matin venu, un énorme cri sortit du taudis du pauvre Kono. C’était son petit-fils de six ans qui criait le regard plein de larmes et de peur :
«Papa est mort ! Papa ne respire plus !»
Le monde remplit aussitôt la cour du sexagénaire et le constat fut surprenant : Kono était mort et déjà en décomposition. Il fallut organiser ses obsèques le plus tôt possible. Le village se mobilisa pour enterrer la dépouille ce soir même. On lui fabriqua un coffre, on ne peut pas appeler ça un cercueil, où on devait l’enterrer. Comme on dit chez nous : comme tu dresses ton lit, comme tu dors. Donc, le corps de Kono se décomposait tout en prenant hyperboliquement des dimensions on dirait de la pâte levée pour les beignets. Si on ne l’enterrait pas au plus vite, bientôt il n’y aurait plus de cercueil à sa taille.
Il était déjà trois heures du soir. On se dirigeait en procession au bosquet mythique du village à un kilomètre environ du domicile de Kono. Le prêtre suivait le cercueil muni de sa Bible, du sel béni et un petit seau contenant de l’eau bénite. Des chants se reprenaient en chœur. D’autres égrainaient un chapelet pour que la Vierge Marie accueille le mort du jour dans le royaume de Dieu.
À l’arrivée au tombeau, le ciel commençait à s’obscurcir et les esprits nocturnes se joignirent à la cérémonie. Ils étaient là derrière le rideau invisible. On réussit à le mettre en terre dans la tombe que les jeunes avaient préalablement creusée et on referma le sol sur lui. Monsieur L’abbé fit l’aspersion au sel et à l’eau bénite. Au moment de dire la bénédiction finale, un énorme tremblement de terre fut déclenché de nulle part. c’était le retour de Kono à la vie. Les morts ne sont donc pas morts. Sauf que lui, par réincarnation, avait maintenant des cornes, une queue et trois mètres de hauteur. Un diable.Pendant que nous constations encore ce qui se passait sous nos yeux, monsieur l’abbé avait déjà une avance considérable sur nous. J’engageai une course désespérée avec la foule et, sans savoir comment, je perdis la vue et tous mes sens m’abandonnèrent : on me propulsa dans la brousse...